11 - Dieu tourmente
"Dieu sous la forme Christ : Pitié, Douceur, Paix.
Dieu sous la forme Zeus... Zeus au bec de vautour qui dévore Prométhée.
Rejoindre ces deux figures.
Tous les Saints ont été dévorés de Dieu, détruits - humainement - par Dieu.
Et moi qui ne suis pas sainte, mais tant livrée depuis dix ans aux combats presque sans espoir de l'espérance, je sais bien que Dieu est Grâce, mais que Dieu est aussi tourment." (page 73)
Croire et se faire mal. Croire pour se faire mal. Dès lors, à quoi bon croire ? Mais est-on libre de croire ou de ne pas croire ? La vérité est qu'on n'est libre ni de croire quand on ne croit pas ni de ne pas croire quand on croit. La seule liberté, encore et toujours, c'est admettre son être, ses possibilités, ses limites. Pour le reste... Il y a un désespoir de l'espérance, un tourment de la grâce, une torture de la charité. Dieu ne nous lâche pas. Et c'est peut-être la meilleure chose qui pouvait nous arriver. Mais que de douleurs ! C'est comme crever de soif et être rongé par l'eau. Ma mauvaise nature religieuse. Ma mauvaise nature sexuelle. Ma mauvaise nature tout court. Il faut faire avec.
"Contradiction...
Dieu infini.
Toutes les religions : Dieu défini." (page 75)
La tentation (gnostique ?), ce serait de ne s'en tenir qu'au premier : un dieu infini et qui à force d'infini se révèlerait indéfini. La douceur de l'indéfini par rapport à la dureté du défini. C'est que le défini contraint, éprouve, oblige. Le Dieu défini renvoie à l'homme défini. Or, bien souvent, nous ne voulons pas être définis - nous ne voulons pas être réels. Et nous ne nous tournons vers l'infini que pour échapper au fini - ce que nous sommes malgré nous. Mais le fini, le défini nous rattrape toujours. Il faut donc l'admettre et même l'approuver.
Pareil pour Dieu. Si je crois en Lui, je dois admettre la définition qu'en donne mon église - et avec toutes les contrariétés que cela va impliquer. Un peu comme l'être aimé dont il faut admettre et même aimer les défauts. Et d'un point de vue humain, Dieu a plein de défauts (d'exigences, de contradictions, de violences). Dieu est éprouvant. Mais c'est ça ou rien (et parfois, on préfère le rien.... Mon Dieu, délivre-moi de toi.)
"Qu'il est petit celui qui ne s'est jamais perdu en soi-même comme dans un désert sans route ;
Celui qui vient à une place et dit : je suis là, je ne suis pas ailleurs...
Mais celui qui traverse le monde et ne peut pas gagner son propre rivage,
Celui qui fait plusieurs fois naufrage en soi-même,
Celui que Dieu ébranle et ne laisse pas reposer comme la lune qui fait son sans cesse osciller la mer,
Celui-là est l'homme...
Une grande misère." (p 79)
Misère pascalienne s'il en est de Marie Noël. Et qui rappelle aussi les catégories du désespoir selon Kierkegaard : celui qui ne veut que de l'infini, celui qui ne veut que du (dé)fini. J'ai un collègue au musée, chrétien fervent, qui ne veut que de l'infini dans le défini et du défini dans l'infini. Qui ne sait pas faire la part des choses et des registres, comme l'Ecclésiaste. Qui n'est pas athée avec la partie de son être qui est athée (et comme dirait Simone Weil). D'où ses troubles à ce pauvre bougre que je soutiens.
Pascal. Kierkegaard. Simone Weil.
Angoisse. Désespoir. Pesanteur.
Il n'y a que les auteurs chrétiens pour déprimer à ce point.
La déprime chrétienne du monde.
C'est pourquoi on a parfois envie de tout laisser tomber et de se remettre aux atomistes, à Spinoza, Montaigne, Nietzsche - et Heidegger. Ah la clairière de l'être ! Tellement plus détendant que l'autel.
La foi, c'est le travail, le pal, la peine et les larmes. La philo, c'est le club Med.
On a besoin des deux, sans doute.
Croix et soleil.
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