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De quoi les complotistes sont-ils le nom ?

L'infantilisme perversif des complotistes. La stupidité décomplexée des dissidents. L'imbécilité régressive des rebelles. L'océan de bêtises dans lequel tous ces gens veulent nous noyer avec eux. Ce n'est même plus une défaite mais un Titanic, un Terminator, un Abyss, un Avatar de la pensée.
 

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C’est quoi un complotiste ? C’est quelqu’un qui n’arrive pas à se mettre au niveau de l’événement, à le comprendre tel qu’il se présente et tel qu’il évolue et qui se place soit au-dessous de lui (« c’est une grippette qui tue moins que les autres maladies ») soit au-dessus (« c’est une pandémie organisée par les riches de ce monde pour faire crever les pauvres »). C’est quelqu’un qui ne supporte pas le nouveau, l’inconnu, l’incertain – soit tout ce qui oblige à l’expérimentation, au tâtonnement, au « peut-être », au « oui » puis au « non », au « on arrête ça et on réessaye ça ». C’est quelqu’un qui incarne à la lettre la première phrase de Masse et puissance d’Elias Canetti : « Il n’est rien que l’homme redoute davantage que le contact de l’inconnu ».

Mais c’est aussi un individualiste forcené souvent apolitique (ou trop politique) qui pense de lui-même par lui-même pour lui-même avec lui-même et contre le monde entier. En même temps, c’est un obsédé de la causalité, un hystérique de la culpabilité à qui il faut à tout prix et tout de suite un coupable et comme il n’est plus de bon ton d’être antisémite, il cherche alors un capitaliste, un politicien, un sataniste qui fera l’affaire  alors que le diabolique (c’est-à-dire la bêtise) est plutôt de son côté. Comme Keyser Söze dans Usual suspects, le complotiste est celui qui refait l’histoire, qui invente ses propres raisons, qui dramatise tel détail contre l’ensemble – quoiqu’interprétant tout de travers et allant jusqu’à inverser les affects. Car c’est un trouillard qui se croit très courageux et qui n’a pas compris que c’est bien parce qu’il crève de ne pas être « rassuré » qu’il est du côté des « rassuristes » – paumé paniqué qui rame devant l’adversité. C’est enfin quelqu’un qui soutient mordicus que l’Histoire lui rendra raison alors que c’est lui qui passera pour l’obscurantiste affolé de la période.

Je ne parle évidemment pas là de ceux qui sont réellement touchés dans leur vie professionnelle ou se retrouvent en danger de mort économique, mais de tous les donneurs de leçons : philosophes du dimanche qui donnent dans le cynisme de bazar (« la vie, c’est le risque de la mort ») ou le scepticisme autocentré (« les vaccins, ça ne marche pas, en tous cas pas sur moi ») ; festivus contrariés parce qu’ils sont privés de théâtre et d’opéra (parce que tu crois qu’ils y allaient tous les soirs comme toi, les gens, au Français ou à Garnier ?) ; occultistes récriminants qui se repassent Hold-up cent fois (et sans voir que le générique du film commence comme le Shining de Kubrick, tu parles du sérieux du truc !)

 

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Car le complotisme est un occultisme, un obscurantisme, un révisionnisme – une pensée magique et pleurnicharde, ésotérique et procédurière, incantatoire et rancunière et qui ne rêve que de se venger sur le « système » de sa propre impuissance.  Que l’État nous confine, nous déconfine, nous reconfine, nous vaccine, ne nous vaccine pas, il aura toujours tort et on portera plainte contre lui pour ce qu’il a fait, ce qu’il n’a pas fait, ce que nous aurions voulu qu’il fasse et que nous aurions condamné s’il l’avait fait.

Ce que cette année de confinement aura révélé est la fragilité immense de notre société – qui redécouvre avec stupeur la mort, la précarité, l’imprévisibilité tragique de l’existence et se fait un caca nerveux d’avoir à porter un masque et de respecter trois gestes barrières… tout en se réclamant, pour une partie d’entre elle, d’une politique dure à l’asiatique.

Elle est bien là l’incroyable et consternante schizophrénie de nos rebelles (souvent droitistes, il faut bien l’avouer) : ils accusent nos dirigeants de prendre des mesures « liberticides » tout en réclamant des mesures à la taïwanaise ou à la coréenne, qui, si on les prenait vraiment, leur paraîtrait comme un avant-goût du goulag. Eux qui dans le passé n’ont jamais eu de mots assez durs pour stigmatiser la perte d’autorité (des parents, des policiers, de l’Éducation Nationale), les voilà qu’ils se mettent à discréditer celle de l’État parce qu’on nous demande de limiter nos fêtes et de ne pas faire circuler le joint à plus de six. Les bonapartistes d’hier sont devenus les beatniks d’aujourd’hui. 

Pour autant, il ne faut pas désespérer de l’opinion. Avec ce deuxième confinement (dû à cette deuxième vague qu’un Didier Raoult n’a pas voulu voir), il semblerait que celle-ci abandonne progressivement les sirènes des « rassuristes » et retrouve un bon sens populaire qu’elle n’a jamais perdu – le peuple n’étant pas dissident par nature. Et si les gourous de Marseille et d’ailleurs se voient moins sur les plateaux de télévision, ce n’est pas tant parce qu’on les « censure », comme le croirait n’importe quel complotiste candide (pléonasme), que parce qu’ils ne font plus le buzz.

Si l’on se méfie encore du vaccin (y compris l’auteur de ces lignes), le vrai danger est que, comme l’a dit le sénateur Claude Malhuret, celui-ci ne soit pas boudé par les Français mais bien au contraire dévalisé dans les pharmacies, au risque de laisser beaucoup de monde en attente.

Même un Michel Onfray en fait désormais la promotion depuis qu’il a lui-même été atteint par le Covid (expérience qu’il a retranscrite dans un texte remarquable). Sans renier le protocole de Raoult (qu’il relativise quand même), notre toupie nationale refuse le nihilisme complotiste, moque les épidémiologistes du dimanche, blâme le « que pour ma gueule » et fait pour une fois œuvre de salubrité publique. On rétorquera que tout cela est de circonstance et bien la preuve d’un opportunisme professionnel. Mais quoi ? C’est aussi par la circonstance que l’on saisit les choses. Et un opportuniste qui a du flair vaudra toujours mieux qu’un idéologue qui a perdu le goût et l’odorat du réel.

 

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