"Les vrais chrétiens ont réalisé ce triomphe de la chair martyrisée" me disait par émail une amie catholique après la projection du film de Mel Gibson.
Il y a quelque chose qui se passe avec La Passion du Christ, quelque chose de bizarre entre ceux qui aiment ce film et ceux qui refusent de le voir, qui refusent même d'en parler, qui le fuient comme Caïn fuyait Dieu.
C'est la chère FB qui me racontait la dernière fois qu'elle était dans un bar parisien, et alors qu'elle était en train de faire l'apologie du film de Mel Gibson, une femme s'est levée, lui a jeté un "je ne parle pas avec quelqu'un comme vous" et a quitté la place, une pétition dans les yeux.
L'autre jour, où je dînais chez ma soeur en compagnie de nos amis gauchistes et où je comptais, bien entendu, faire mon dithyrambe christo-gibsonienne, c'est presque si l'on nous a, Sophie et moi, interdit de parler. "Vous ne comptez pas quand même aborder ce sujet ?"m'a même répliqué une vieille copine comme dans cette célèbre illustration de l'Affaire Dreyfus "ils en ont parlé." Oh que si, bien sûr, nous en avons parlé, et tant pis pour le tapage !
Mais tout de même, tant d'animosité à l'égard d'un film, un tel refus de communiquer, et cette façon incroyable de se boucher les oreilles ou de se cacher les yeux, en criant "facho, facho, facho" comme Caïphe criait "crucifie-le, crucifie-le, crucifie le !" ne laisse pas d'interroger. Quelque chose se passe avec ce film, quelque chose qui ne passe pas.
Et je crois que c'est la foi chrétienne. Si ce film apporte le glaive, c'est bien celui qui existe entre croyants et non-croyants.
Bien entendu, on dira que la foi est largement admise au sein de nos sociétés, et que ma foi, si un peu de foi peut faire du bien, pourquoi en priver les braves gens ? A condition, bien sûr, que cette foi reste privée, ne fasse pas de bruit, et se passe dans le secret. Bref, on l'admet comme une gentille superstition qui aide à vivre, un TOC de l'âme sympa, quelque chose qui dans tous les cas ne doit pas participer aux relations sociales et encore moins influer la vie de la cité (rappelez vous le raffut causé par Christine Boutin qui avait osé exhiber une Bible au parlement).
De même, une oeuvre d'art qui traiterait de la foi devrait le faire en sourdine, et surtout en tenant bien la distance critique qu'il convient d'avoir sur ce sujet. Comme l'a dit Régis Debray dans Arrêt sur image sur le ton de celui qui ne sait pas de quoi il parle, la spiritualité n'a droit d'existence qu'à travers "la suggestion, le souffle, le furtif, l'absence, le symbolique". Pour lui comme pour la plupart des intellectuels de la religion (Jean Delumeau and co), le divin doit s'exprimer dans une intériorité purement subjective, sans aucun lien avec la réalité, et qui du coup se dissout dans sa propre représentation. Dieu n'est qu'une invention de l'homme, une belle invention qui peut rendre moraux ceux qui y croient, mais pas plus.
Mais a-t-on le droit de le représenter ? oui, mais à la condition de ne rien montrer de substantiel ou de charnel, car cela pourrait mettre à mal celui qui n'y croit pas et au fond, la seule chose qui importe est de ne pas déranger ce dernier. Bref, faisons des représentations du Christ culturelles, mais certainement pas cultuelles. Ainsi, tout le monde sera content, l'athée qui n'y verra qu'une belle illusion éventuellement structurante (pour les autres, pas pour lui), et le croyant qui pourra toujours y croire, puisque la foi est intérieure et peut se contenter d'invisible.
Et les critiques de rappeler que les plus beaux films de spiritualité sont ceux qui rendent compte de la présence de Dieu par son absence, comme Thérèse d'Alain Cavalier, ou certains films de Godard dont "la façon de filmer le ciel est comme une prière d'invisible proximité", bref tous les films dont on est sûr que leur auteur soit athée, anticlérical, marxiste, anti-chrétien. Par contre, un croyant fervent, comme Mel Gibson, ne peut faire qu'un film obscène, qui rate atrocement le divin, et "risque de faire disparaître encore un peu plus le peu de spiritualité qu'il reste" (Debray)
Cher Régis Debray, vous étiez plus inspiré par le Che que vous ne l'êtes par le Christ. Chez Schneidermann, vous n'avez parlé que de symbolique, de subjectivité, d'absence, mais vous qui avez publié de si gros livres sur la religion, n'avez-vous jamais été effleuré par l'idée que pour les croyants, les chrétiens en l'occurrence, cette histoire était vraie au delà du symbole ? Vraie au sens de la chair et du sang ?
Que vous n'aimiez pas ce film, c'est votre droit le plus strict, mais n'allez pas dire avec votre compère Michel Kubler de la Croix, que c'est un film qui "déspiritualise", n'allez pas parler à la place des croyants, vous qui ne l'êtes pas. Moi qui le suis, j'ai trouvé justement qu'aucun autre film n'avait atteint cette réalité spirituelle et ce débordement de sens.
C'est peut-être un problème de style. Pour ma part, je trouve qu'il y en ras-le-bol du vide et de l'absence, du dieu caché et symbolique, du voilé et de l'invisible. Avec Gibson, nous avons du plein, du trop-plein même, de la Présence en chair et en os, de la divinité flamboyante et baroque ! Nous avons la Croix dans toute son horreur et dans toute sa splendeur ! Nous avons la souffrance de Jésus et la gloire du Christ-Roi ! Enfin !
Cela vous gêne ? Reconnaissez quand même que le problème esthétique que pose ce film est en effet passionnant et on aurait pu espérer qu'un type comme vous qui s'intéresse aux images l'ait perçu. Mais non, englué dans vos préjugés artistiques, vous avez dit, avec tous les autres (cf Cahiers du cinéma), que l'obscénité formelle de Gibson avait consisté à mettre le naturalisme au service du surnaturel "et que cela ne pouvait pas marcher." Eh pourquoi mon Dieu ? C'est une riche idée au contraire et qui marche bien mieux que vous ne le pensez. Faire le plus réaliste possible pour l'histoire la plus irréaliste possible. Arriver à rendre ce que Claudel (qui aurait adoré ce film) appelait "le sentiment physique du surnaturel.", c'est prodigieux sur le plan artistique. Du (presque) jamais vu.
A ma connaissance, seul L'exorciste de William Friedklin avait été été filmé comme ça, mettant le clinique au service du mystique, car, comme par hasard, il s'agissait aussi d'un film sur la foi et le pouvoir de Dieu - et c'était tellement convainquant qu'on pouvait penser que c'était le Vatican qui subventionnait Friedklin !
Non, ce qu'a fait Gibson est unique et c'est pourquoi je redis que l'Esprit Saint devait être dans le coup, pas possible autrement. La Passion du Christ est une grande oeuvre d'art et une expression presque exacte de la Vérité.
Pour nos modernes qui se foutent de l'art et de la vérité, il est impensable de faire l'un avec l'autre. "C'est soit un documentaire, soit un film d'auteur, mais il faut choisir !" beugla Michel Kubler de la Croix à Arrêt sur image. T'énerve pas, gars, on peut faire les deux. Le grand artiste vise le style en même temps que le réel, et ne se contente pas que l'on dise de son oeuvre qu'elle est une simple vue de l'esprit, pire qu'elle est "intéressante" - là, il en dégueulerait. Le grand artiste n'a que faire de la culture. Il veut changer la vision du monde. Il veut à la fois plaire et faire violence au public.
Quand Bosch faisait son Jardin des Délices, ce n'était pas pour faire de l'illustration culturelle destinée aux conservateurs de musée, c'était pour bouleverser les ouailles, émouvoir et faire croire. Et quand Dostoïevski va se recueillir devant le retable de Grünewald, il n'est pas à se demander comme Kubler ou Debray si ce qu'il regarde est subjectif, objectif, phénoménologique, et surtout conforme à ce que l'on dit dans Télérama. Il adopte la seule attitude acceptable pour un artiste, admirer, pleurer et croire : "c'est beau, c'est vrai".
Au fond, ce que l'on reproche à Gibson, c'est son innocence. Avoir oser mettre en scène une Passion du Christ en faisant fi de toute l'idéologie contemporaine faite de scepticisme et d'ironie vis-à-vis du sacré. Cette innocence nous a renvoyé à notre néant, nos ricanements de désespérés, notre culpabilité d'aveugles.
D'où ce déchaînement de puritanisme que l'on a vu dans les média et qui ne laisse pas d'être troublant. Il ne fallait pas montrer ça. "Obscène", "sadomaso", "voyeuriste", "pornographique", encore un peu, et ils disaient "blasphématoire", les pasteurs médiatiques. Au fond, ce que La Passion du Christ a révélé, c'est que notre monde ne pouvait plus supporter les images, et qu'une représentation trop crue et trop sacrée de la réalité devenait à la lettre ob-scène - hors de la scène.
Pas étonnant que Régis Debray ait fini par dire que ce film donnait envie d'être protestant, juif ou musulman tant la représentation de Dieu ne pose dans ces religions aucun problème... vu qu'elle est prohibée. Extraordinaire preuve de puritanisme et qui apporte la preuve de ce que veulent faire du monde les puritains : un lieu où le corps serait une silhouette, où l'âme serait un vase vide, et où l'esprit se confondrait avec une loi autoritaire.
Et c'est pourquoi le film de Gibson est grand. Ce "triomphe de la chair martyrisée" lacère nos âmes mortes, mais pour les rendre à la vie. Oui, ce film est bien de l'Esprit Saint.
PS : rendons grâce à Daniel Schneidermann d'avoir été l'un des rares à comprendre l'envergure de la vision gibsonienne. Dans un bel article de Libération du 02 avril, intitulé "Cette satanée compassion", il insistait sur le mérite pédagogique du film : nous replonger au coeur de l'originalité du christianisme qui, par rapport aux religions païennes, a inscrit le lynchage au centre de notre culture, mais du point de vue du lynché.
"Que nous soyons croyants ou athées, de cette religion ou d'une autre, cette image du Supplicié titubant sous la foule, cette image déforme, oriente, colore depuis bien avant notre naissance notre vision du monde. Obsédante ou discrète, trônant en majesté au centre de la demeure ou tapie dans un obscur recoin de l'esprit, Cendrillon ou matrone, la compassion est là, elle oriente nos réactions, nos visions. Cet Ecorché de Gibson, même si on le refoule, même si on l'ignore, même si on l'oublie : peu importe, il est en nous."
(15 avril 2004)
Commentaires
Argh, Pierre, tu le fais exprès ! Mais arrête donc d'écrire sur cette série Z dopée aux ana(dia)bolisants ! Ce nanar porno-terroriste filmé comme un clip de Mylène Farmer, avec Marylin Manson dans le rôle de Satan !
Tes amis, ou inconnus, qui refusent d'en entendre parler sous prétexte qu'il s'agirait d'une oeuvre de "facho", sont des imbéciles, c'est entendu. Mais tu sais bien, mon cher, que le problème de La Passion est d'abord esthétique. Problème de représentation. Des films de croyant, des films sur la foi, il y en a des brouettes. Et des films sur Jésus également, qui n'ont fait aucune vague, ou presque. Dois-je te rappeler qu'avec La Dernière tentation du Christ, c'étaient les cathos, et non les gauchistes, qui s'insurgèrent ? Quelle bande de marsoins, ceux-là !
Quand je dis que La Passion de Gibson est pornographique, obscène, je ne parle évidemment pas de ce qui est représenté (tout de même, il y a mille fois plus violent, plus gore, plus écoeurant), mais de la forme, qui évoque en effet, je pourrais te le prouver, le cinéma X, ou certains films gore dont les réalisateurs ont souvent travaillé également dans la pornographie... Gibson ne montre pas sans fard : il surmontre, il appuie lourdement, il assène, il "déploie toutes les ressources d’une esthétique indigente (et indigeste) [ralentis, musique redondante, symbolique de débile mental] qui fait ressembler le film à un interminable clip vidéo façon production Bruckenheimer". Pardon de m'autociter. Mais en toute franchise, ça ne vaut guère mieux, esthétiquement parlant, qu'un gang bang de Katsumi. Comme Laurent James à l'époque, tu confonds le corps et sa représentation. Voir le corps de Christ lacéré, fouetté, saigné, je n'ai rien contre. Tout dépend de la manière. Je me cite encore : "Lorsque je vois le Christ-Caviezel de Gibson se faire fouetter, crucifier, torturer, je ne vois rien d’autre que LE CHRIST-CAVIEZEL DE GIBSON : c’est-à-dire pas le Christ, ni même la figure du Christ telle qu’aurait pu la faire surgir Robert Bresson [ou tout autre authentique cinéaste], non pas même un homme, mais un personnage joué par un acteur hollywoodien, beau gosse célèbre et filmé comme le héros d’une publicité (ou comme Aragorn encore, alors même que le personnage de Tolkien mis en scène par Peter Jackson était lui-même une référence christique évidente, signe sans doute que l'image du Christ dégringole à grande vitesse…). Et ne parlons pas de Marie-Madeleine, fort mal jouée par une Monica Bellucci (!) [certes fort jolie] bien peu crédible quand il s’agit de parler en araméen, et de Marie elle-même (Maria Morgenstern, insipide), si conventionnellement éplorées qu’elles ne nous émeuvent pas plus que le Christ lui-même." Et je ne parle même pas de Jésus en Terminator surhumain... Et je ne parle pas non plus de l'apologie du fanatisme sous-jacent...
http://findepartie.hautetfort.com/archive/2005/02/28/longue_vie_a_la_nouvelle_chair.html
Et c'est pourquoi le film de Gibson est une merde.
Ouvre les yeux, Montalte ! Enfin, quoi !
Tiens, te revoilà toi ! Javhé longtemps...
Bon, écoute, on a déjà eu ce débat mille fois et comme tu sais, je pense exactement le contraire de ce que tu dis, à la virgule près. Je trouve ce film bouleversant, magnifique, prégnant - même si en effet on est loin d'une esthétique de l'épure à la Bresson ou même d'une intelligence à la Tarkovski. Mais l'intelligence n'est pas forcément, comme tu le sais, une affaire chrétienne. Or, cette Passion de Gibson est profondément, totalement et agressivement une affaire chrétienne. Tant pis pour toi si tu ne vois que Jim Caviezel dans cette exemplaire figure de Christ et si tu n'es pas ému par Maria Morgenstern en Marie. Moi j'y trouve une illustration parfaite, sans doute primaire, grossière même, mais toujours fidèle et édifiante, extraordinairement émouvante en tous cas, de l'Evangile. Et lorsque tu dis que des films de croyants, il y en a des brouettes, eh bien non justement ! Il y en a très peu, et ne me parle pas de ce beau film culturel qu'est le Pasolini. En revanche, La dernière Tentation du Christ de Scorcese, qui n'est pas si éloignée du Gibson et qui en a sans doute tous les défauts, en était un. Je serais presque tenté de dire que l'on reconnaît un film chrétien à ce qu'il agit comme un glaive entre ceux qui l'aiment et les autres - et en l'occurrence, la racaille intégriste qui brûla un cinéma de Saint Michel l'était fort peu, chrétienne.
Le problème avec toi, et peut-être le problème de ce film, est que tu n'es pas croyant et que ce film l'est. Jésus en terminator surhumain ? Satan en Marylin Manson ? Peut-être, et alors ? Admets au moins que symboliquement, c'est fort adéquat, non ? Evidemment, pour toi l'esthète, cela ne suffit pas à nourrir ton esthétisme et tu as besoin des subtilités et des merveilles bressoniennes. Pour jouir des formes et des idées, en effet, c'est mieux, mais pour se convertir ou aller se confesser, pas sûr... Et c'est ce à quoi tend le film de Gibson. Et qu'il a réussi à faire.
Alors, évidemment, c'est très agaçant ce que je dis, très anti-déontologique aussi, car au fond, c'est une sorte d'exclusion spirituelle que je fais malgré moi : "oui, bon, tu n'es pas croyant, donc tu ne piges que dalle", mais je suis bien obligé d'en arriver là puisque c'est toi l'aveugle qui vient me dire que je ne vois rien !
(Cela dit, ton "Montalte ! enfin, quoi !" m'a fait sourire car j'y ai cru lire "toi qui ne serais pas con du tout si tu ne l'étais pas tout le temps !"). Allez, passe de joyeuses Pâques en famille, Olivier Noël, toi qui finalement a une vie bien plus chrétienne que la mienne !
Oui, ça faisait longtemps, ça me manquait un peu. Je repasse de temps en temps, et là, paf, je tombe encore (soupir) sur le Gibson !
Tout de même, ne réduis pas la discussion à un impossible dialogue entre croyants et incroyants : nous avons vu le même film, non ? Pour apprécier La Marche de l'Empereur à sa juste valeur, il faut être manchot ? Pingouin ? Allons. De très nombreux catholiques, comme Jean-Michel Garrigue, Dominicain, prêtre et théologien, reprochent durement au film son esthétique MTV, et, surtout, la mise à l'écart de toute intériorité, de toute véritable rencontre spirituelle avec Jésus (http://biblio.domuni.org/articleshum/passion/). Garrigue parle, à raison, de "jeunisme apostolique"... Et cite Fury de Fritz Lang, qui, sur un sujet analogue - Jésus en moins, certes -, est un chef d'oeuvre...
Avec Gibson nous sommes loin, très très loin de Bosch. Plus loin, encore, de Dostoïevski ! Comment peux-tu les comparer ?
"Clinique", le film de Gibson ?!? Tu plaisantes, j'espère ? Clinique ? Façon Urgences tourné par un pubard, alors. Allez, une giclée de sang, hop, une musique pourrie qui appuie lourdement au cas où n'aurait pas bien compris, hop-hop, un flash-back, vlan, des ricanement et des grimaces, un slogan... Préférer ce film au Pasolini, c'est (toutes proportions gardées) préférer les pitreries de Glorious aux messes sublimes de JS Bach !... Ou Dimmu Borgir à Pergolese !...
Franchement, La Dernière Tentation de Scorsese, c'était d'une autre trempe. Dans un seul plan de Scorsese, il y a plus de cinéma - et de Dieu- que dans toute la longueur de La Passion. Et encore, le Scorsese est lui-même cinquante étages au-dessous de Passion de Jeanne d'Arc de Dreyer, pour ne citer que le meilleur film "religieux". Tu vois, je rêve de voir une Passion filmée par un grand cinéaste, qui n'oublierait ni l'esprit, ni la chair. Mais si tous les cinéastes chrétiens sont aussi crétins que Gibson, c'est pas gagné.
Montalte a raison : il faut être chrétien pour aimer et comprendre ce film, ce qui ne veut pas dire que tous les chrétiens apprécieront l’œuvre de Gibson. Pour preuve, le théologien Jean-Michel Garrigues, qui est quelqu’un d’estimable mais qui est tout sauf objectif. Toutefois, d’autres chrétiens ont fait l’éloge du film, comme René Girard :
http://scriptor.typepad.com/bckprch/rene_girard_la_passion.pdf
Je jubile intérieurement en voyant tous les cinéphiles s’acharner contre la Passion, ce véritable signe de contradiction qui déroge à tous leurs canons esthétiques. En effet, avec ce film nous sommes loin du très surfait David Lynch, loin des niaiseries deleuziennes. Comment ceux qui encensent leurs œuvres pourraient trouver quoi que ce soit d’intéressant chez Gibson ? Pas assez raffiné pour eux, trop primaire. En plus, il croit au diable, cet imbécile !
En revanche, ceux qui connaissent les références de Gibson (Grünewald pour la peinture, A.-C. Emmerich et Marie d’Agreda pour la mystique, sans parler d’Isaïe et de l’évangile de Jean) auront tous les éléments en main pour s’ouvrir au grand mystère de la rédemption.
« Les hommes n'ont jamais douté que l'innocence ne pût satisfaire pour le crime ; et ils ont cru de plus qu'il y avait dans le sang une force expiatrice ; de manière que la vie, qui est le sang, pouvait racheter une autre vie. » (Joseph de Maistre)
"... se convertir ou aller se confesser [...] c'est ce à quoi tend le film de Gibson. Et qu'il a réussi à faire. "
Diable ! (oh pardon...) il en causé tant que ça, Gibson, des conversions ?
Et comment concilier (re-pardon) votre vision avec celle de Sébastien, pour qui "il faut être chrétien pour comprendre et aimer ce film" ?
Alors, prosélytisme ou sectarisme ?
Accordez vos harpes, là-haut !
Patrice, pote à JC.
PS : comparer Grünewald à Gibson (outre la nature radicalement différente de leurs domaines d'expression) c'est rapprocher l'Orestie du Grand-Guignol, Penderecki d'Alice Cooper, Sade d'Easton Ellis... Ce que Dosto a ressenti, il faut aller à Issenheim pour le... croire : ce corps étique minutieusement couvert de blessures dont chacune apparaît dérisoire, c'est l'oeuvre des péchés, même véniels, accumulés. Mais que l'on ouvre le retable et... mort, où est ta victoire ?
En "bon" (?) orthodoxe, Fiodor ne fête guère la Nativité - il préfère la Résurrection.
Bonnes Pâques à tous !
La dernière tentation du Christ, Transhumain, est un très beau film que j'ai adoré en son temps, mais bien moins rempli de Dieu que de doute, de croyance que d'inquiétude. C'est un Christ de notre temps que celui de Scorcese, névrosé, faiblard, velléitaire, ne sachant plus du tout où il en est ni qui il est, hésitant cruellement entre sa gloire éternelle et une petite vie normale et familiale, et renonçant à celle-ci in extremis. C'est le Christ humain trop humain, arianiste, qui nous ressemble tant - et qui par conséquent nous fera dire qu'il est formidable, et le film avec. Alors que, et même si je tiens à Scorcese comme à la prunelle de mes yeux, je ne vois pas très bien où est la différence plastique entre son Christ blond et celui de Gibson ? Si l'on en croit tes critères d'esthète intraitable, il y devrait y avoir là-dedans autant de bruit, d'outrance et de mauvaise musique que dans La Passion, Et David Bowie en Ponce Pilate vaut bien Monica Bellucci en Marie-Madeleine non ?
Quant au Pasolini, c'est le film attrape-gogo typique. Bien fait, intéressant, mais totalement à côté de la plaque (notamment avec l'emploi ridicule et insistant de la marche funèbre maçonnique de Mozart, l'un des plus beaux morceaux qui soient pourtant), culturel et non cultuel comme je le disais, et qui plaira à tous ceux pour qui cette histoire n'est qu'une représentation.
Alors que pour Gibson, c'est une réalité et c'est cela qu'on ne lui pardonne pas. Pas moins gethsémanique que lui ! Rien, aucun doute sur JC, sa divine filiation, ses aventures et par dessus-tout sa force ! Son corps de Christ tout puissant est là, "trop là" pourrait-on dire, à la fois sanglant et invincible qu'on dirait même (à mon tour de me citer), que lui, Jésus, ne souffre pas - son corps souffre mais pas Lui si vous voyez ce que je veux dire. C'était précisément l'argument de Mordillat pour descendre le film : comment voulez-vous porter cette croix de deux tonnes après avoir été flagellé jusqu'à l'os ? Trop fort ce JC ! En fait, si le Christ de Scorcese était trop humain, celui de Gibson est trop divin - elle est là l'hérésie si l'on voulait absolument en stigmatiser une !
Et elle est là la singularité du film qu'un aveugle comme toi continue de ne pas voir. De faire du sang une mystique, de chaque coup un mystère, de chaque pas une station. Et avec gros travellings et gros ralentis pour les chutes oui tout à fait. Et à la fin Dieu le Père qui pleure, oui, et qui fait de sa larme une goutte de pluie - à la façon des cloches qui sonnent du ciel à la fin de Breaking the waves (dont la comparaison avait justement sauté aux yeux de Laurent James). Voilà l'insoutenable : oser montrer le corps du Christ, la splendeur de l'horreur de la croix, les larmes du Père, et le regard-caméra de Marie qui, en Pieta, nous offre son Fils à nous tous. Art religieux et non plus art critique. Cinéma de foi sans distance ni filtre, cinéma d'incarnation pure - donc qui apparaîtra nécessairement pornographique aux incroyants, cinéma d'édification - et donc de propagande pour ceux qui etc....
Sébastien, tu m'as arraché la référence à Girard ! Celui-ci explique très bien que l'art gibsonien rejoint la grande tradition théologique et esthétique, insistant notamment sur le fait que le texte de l'évangile contenait ce réalisme sauf qu'à l'époque l'expression n'allait pas jusqu'à détailler le supplice. Mais pour un "lecteur" de l'époque, une phrase aussi simple que "ils le frappèrent de verges" sonnait comme une page de page de Sade ou plus exactement comme un compte-rendu d'hussier d'exécutions capitales ou un film de Mel Gibson.
Prosélythe ou sectaire, alors Gibson ? Les deux mon général ! Force est de constater que le film a eu un impact phénoménal sur les ouailles chrétiennes et que nombre de spectateurs non chrétiens se sont dits bouleversés après l'avoir vu (voir les témoignages sur le site de GIbson). On pourra ensuite toujours douter de ces témoignages - mais ce qui est certain, c'est que l'on ne pourra pas douter de la révulsion et de la haine qu'ont eu pour ce film l'ensemble des critiques de la presse spécialisée et générale. Et encore ici sur ce blog : aimer La passion du Christ, c'est suspect politiquement et esthétiquement. Tant mieux !
Qu'il y ait une esthétique de cinéma porno dans le film de Gibson, c'est certainement vrai, mais est-ce gênant ? Est-ce que la Bible n'est pas aussi porno, par bien des aspects ? Et je ne parle pas des pieds du Christ essuyés par les cheveux de Marie-Madeleine, ou de ce genre de scènes équivoques, mais du simple fait que chaque phrase de la Bible est immédiatement signifiante, violemment démonstrative, comme une scène de sexe "explicite" dans une production de Marc Dorcel.
Personnellement, j'ai du voir le film plusieurs fois pour l'apprécier, et je suis de l'avis de Montalte que la foi ou l'absence de foi du spectateur a un rôle à jouer dans sa réception. N'étant pas croyant, j'ai d'abord vu ce film avec mon oeil athé (le gauche, myope comme une taupe) et n'y ai vu qu'une sorte de Rambo sur le Golgotha. Puis, sans être devenu croyant pour autant, je l'ai revu avec moins d'a priori, de mon oeil droit (10/10) et s'il y a encore des ralentis et des zooms que je trouve redondants, en tout cas je n'ai plus de doute sur la nécessité, pour Gibson, d'aller jusqu'au bout dans le spectacle des violences subies par le Christ. Et je comprends mieux la fameuse déclaration de Jean-Paul II après la projection.
Quant à la Marche de l'Empereur, moi, je ne l'ai pas vu, n'étant pas manchot. Qu'en pense Jamel Debbouze ?
(arrivé via les commentaires de Contrechamp)
Merci pour votre blog - j'ai envie de tout lire
Alorsz bienvenue à vous et bonnes lectures ! N'hésitez jamais à dire le contraire de ce que je pense ni même de ce que vous pensez vous !
Merci, je me sens chez moi ici ! (ce serait trop long à expliquer, mais je me comprends)
Pas vu la Jeanne d'Arc de Dreyer que cite Transhu, en revanche je peux peut-être mettre mon grain de sel sur le Scorsese, que j'ai dû voir une bonne vingtaine de fois. Le Jésus de Scorsese n'est pas complètement velléitaire, et il est moins romantique efféminé que celui de Zeffirelli. Après, il faudrait discuter de celui de Pasolini, intéressant, mais qui reste volontairement dans une espèce de jeu brut d'acteur, puisque, je crois, ce Jésus-là n'était pas joué par un acteur professionnel.
Je pense qu'il ne faut pas oublier que le livre de base du film de Scorsese n'est pas l'Evangile, mais bien le roman fabuleux de Kazantzakis, qui rappelle explicitement à quel point la puissance de Dieu ne peut rencontrer l'humain en Jésus Christ que dans la lutte, avant l'acceptation finale de laisser s'accomplir le sacrifice prévu par l'unité divine de la chair et de l'esprit, dans la Rédemption. La préface de Kazantzakis rappelle clairement que la lutte entre l'esprit et la chair n'a de sens que dans l'horizon d'une fusion à venir, d'une réconciliation. Les intégristes et les représentants de l'Eglise (Lustiger en tête, à l'époque...) furent bien peu inspirés de trouver ce film hérétique, je pense.
En fait, le dialogue musclé que Transhu a initié (en sous-estimant, comme d'hab, la beauté des gang bangs de Katsumi, je le reconnais bien là) semble être celui du "bon goût" contre le "mauvais goût" dans les techniques de représentation du Christ: Pierre prêche pour une simplicité des effets brute de décoffrage et pour l'idée que tout peut être présentifié, donné à voir à même la matière, tandis qu'Olivier tente d'établir un départ intéressant entre le visible et l'invisible, entre ce qui peut être montré et ce qui doit n'être que suggéré. Le pépin, c'est que je ne sais pas si l'ange satanique de Scorsese (une gamine de 12-13 ans) est franchement de meilleur goût que le Marilyn Manson de Gibson. L'effet intéressant est que, dans les deux cas, il ressort l'impression d'une présence malsaine, mortifère, mensongère chez Scorsese (l'ange ayant été annoncé par un serpent qui parlait avec la voix de Madeleine, puis un lion parlant avec la voix de Judas, véritable "tentation" politique du film, et enfin un feu parlant avec une grosse voix grave méchante supposée être celle de Satan), rôdeuse puis hurlante chez Gibson. Dans les deux cas, on a du crado.
Là où je crois, tu m'excuseras Olivier de te contredire, que La Dernière Tentation est peut-être déjà le grand film de la foi chrétienne, c'est à propos d'une intelligence bien particulière de ce qu'est le sentiment religieux, de ce qu'est la foi, l'expérience de la grâce. Ce sont dans les mots de Paul converti dans la tentation de Jésus (converti alors que Jésus ne s'est pas sacrifié, tel est le paradoxe fondamental et le coup de génie du scénariste Paul Schrader) qui le disent: la Résurrection est le Mystère fondamental le plus lié au sentiment humain d'un irrépressible besoin de Dieu, au-delà de toute certitude rassurée par le fait de voir ou non de ses yeux l'événément historique de la résurrection de Jésus. Le croyant chrétien est celui à qui Dieu ne parle pas, d'une certaine manière, mais peu importe. Il est l'être assoiffé de consolation divine, et l'être que cette soif porte, et l'être qui se laisse envahir par l'amour du message de Paul.
Bon, il faudrait encore analyser le personnage de Judas, formidable suppléant dans la vision de Kazantzakis (sorte de bête rousse surpuissante...) et de Scorsese (parfait Harvey Keitel en combattant zélote pour la libération politique du joug romain), d'un Pierre quelque peu falot... Voir le type d'amitié qui le lie à Jésus...
Analyser les Rameaux (sur le splendide "Different Drum" de Peter Gabriel), où on semble avoir un Jésus animé par la puissance de Dieu, désirant "baptiser tous les hommes par le feu"...
Bref, je ne crois pas que l'on puisse classer ce Jésus-là ni du côté de Pasolini, ni de celui de Gibson, ni encore de certains Christ romantiques au corps grâcile et aux beaux yeux bleus bien larmoyants... Entre la présence tellement forte qu'elle finit par paraître obscène (Gibson, grosso modo) et l'évanescence ou l'absence de figure visuelle du Christ d'autres films, ce Christ-là me semble l'un des plus féconds pour comprendre ce que cela signifie de croire au Christ Ressuscité.
Sébastien, vous êtes d’une invraisemblable… mauvaise FOI ! Dire qu’il faut être chrétien pour apprécier un film, c’est déjà le soustraire à toute évaluation esthétique. Et Little Bouddha, et Kundun, ce sont des chefs d’œuvres, peut-être ? Ah, quoi ! Il faut être bouddhiste ! N’importe quoi. Comme je le demandais plus tôt : faut-il être pingouin pour apprécier La Marche de l’Empereur ? C’est donc votre point de vue de chrétien, mais, que je sache, un chrétien n’est pas plus dénué d’intelligence qu’un autre. Que Gibson croie au diable, je m’en fiche. Tenez, le diable au cinéma : voilà un bon sujet d’étude. Celui de Gibson est ridicule. Mais celui de Sous le soleil de Satan, par exemple, est magnifique. Effrayant. Quel grand film, d’ailleurs ! Depardieu dans son meilleur rôle. Il émane de lui une telle force, et en même temps une telle faiblesse ! De mémoire de cinéphile, je crois n’avoir jamais vu une telle performance. Il y a aussi celui de Simon du désert de Buñuel, sous les traits d’une femme, ou celui de Scorsese, une fillette. Ou celui, superbe, de Choses secrètes de Bisseau. En fait le diable est représenté, directement ou non, dans des centaines de films. Mais c’est quand il n’apparaît pas qu’il est le plus présent, comme dans Le Diable probablement de Robert Bresson. Ou même dans Saraband de Bergman.
Par ailleurs, Sébastien, je ne vois pas ce que Lynch vient faire ici. Et qu’entendez-vous par « niaiseries deleuziennes » ??? Deleuze a écrit l’un des livres théoriques les plus importants sur le cinéma, tout de même. Que vous n’avez pas lu, évidemment. Mais encore une fois, vous êtes hors sujet. Relisez-moi : La Passion ne heurte pas mes « canons » esthétiques, puisque je n’en ai aucun. Au contraire : je suis, en matière de cinéma, un immanentiste, un structuraliste, un sémioticien fou. Le cinéma est un art dialectique par excellence. Des images montées avec du son. Montées entre elles. Le sens naît des agencements. Et ceux de Gibson sont grossiers. Je ne doute pas que si Gibson avait réalisé le même film en remplaçant Jésus par un GI et le Golgotha par un bunker, vous auriez pleuré de rire… Primaire, Gibson ? Non. Désespérément tendance, plutôt. Son film ressemble moins, avouez-le, au cinéma muet qu’à une publicité pour un parfum ! Patrice l’écrit fort justement : Gibson c’est du Grand Guignol. Du Grand Guignol prosélyte. La Passion, un clip d’évangélisation.
Oui, Pierre, La Dernière Tentation est plus remplie de doute que de Dieu. Mais quel croyant peut sans rire bannir le doute ? Cela dit, je n’ai pas revue la Tentation depuis des années. Il m’avait un peu horripilé en effet, avec ses effets new age, sa musique de Peter Gabriel (si mes souvenirs sont bons), son esthétisation un peu outrancière. Mais Scorsese sait foutrement bien filmer. Je me souviens du début du film : un seul plan contenait tout un monde. Gibson, pour produire du sens, en fait des tonnes. Tout est sur-appuyé. Tout est énorme, grossier, bidon.
Mais enfin, Gibson n’a pas représenté une « réalité » ! Il faudrait un peu, mes amis, que vous lisiez quelques ouvrages de référence… Vous parlez de réalisme au cinéma, sans savoir de quoi vous parlez ! Pierrot, tout de même, relis ma critique : je ne reproche pas à Gibson de montrer une crucifixion horrible ! C’est agaçant à la fin ! Je lui reproche la manière dont il la montre. La nuance est de taille ! Les cloches à la fin de Breaking the waves n’étaient pas ridicules, enfin presque pas, parce qu’elles couronnaient deux heures trente de grand cinéma. Les deux films sont incomparables ! Lars von Trier, lui, s’est souvenu de Dreyer (Breaking the Waves fait souvent penser à Ordet). Gibson ne s’est souvenu que de Coca Cola. Ah, il est beau, ton Christ-MTV ! Montalte, arrête !!!! Personne n’est « suspect » ! Tu as le droit d’aimer une daube ! Et j’ai le droit, moi, de rabâcher que c’est une putain de sacrée daube de merde ! Au fait, cessez, tous, d’écrire « Scorcese ». Cela s’écrit SCORSESE, avec deux « s » ! Boudiou !
Raphael, tu es encore plus à côté de tes pompes que les autres. Je parle d’une ESTHETIQUE porno. La Bible, à ce que j’en sais – et j’en ai lu pas mal de pages – n’a rien à voir avec ça. Le problème n’est pas que Gibson montre frontalement. Le problème est que Gibson surmontre sans talent. J’en ai assez de vous voir déformer mes propos. Gibson a pris le parti de montrer la Passion, rien que la Passion, avec le sang, les larmes, tout le tintouin, jusqu’au bout, okay, c’est donc sur cette base que nous pouvons étudier le film. Je m’en prends essentiellement à la manière. De même que Nos Amis les Humains de Bernard Werber est une crotte nullissime (mais sans doute faut-il être un raélien pour apprécier), de même La Passion est une boursouflure innommable. Laide. Tape-à-l’œil. Bête. Gibson est au Christ ce que Baz Luhrmann est à Shakespeare. Et encore, Romeo + Juliette possédait quelques plans magnifiques, comme par accident (c’est comme quand on joue à Mortal Kombat sans connaître les combinaisons : on fait n’importe quoi, et parfois, on fait mouche, sans trop savoir comment).
Bruno. Katsumi est aussi laide que vulgaire. Elle aurait pu sans mal figurer au générique de La Passion. Dans le rôle d’un Juif ? La Dernière Tentation est sans doute un bon film, mais tout de meêm, de là à en faire le chef d’œuvre chrétien… Le besoin de Dieu se ressent mille fois plus chez Bergman, dans Le Silence, dans Les Communiants, que chez Scorsese. La résurrection de Sous le Soleil de Satan de Pialat, encore lui, est bien plus terrible que celles des Christs hollywoodiens ! Sans parler de celle, bouleversante, d’Ordet, le chef d’œuvre de Dreyer ! Ordet, voilà un grand film chrétien, par un chrétien ! Je te le prête quand tu veux ! Extrait :
« "Pas un seul d'entre vous n'a eu la pensée de demander à Dieu de vous rendre Inger." (...) Non c'est vous qui le blasphémez par votre tiédeur. (...) Pourquoi n'y a t-il parmi les croyants personne qui croie ? (...) Inger tu dois pourrir parce que les temps sont pourris. (...)
-L'enfant ce qu'il y a de plus grand au royaume des cieux ! Crois-tu que je saurais le faire ?
- Oui mon oncle.
- Ta foi est grande. Qu‘il soit fait comme tu le veux. Regarde ta mère. Quand je prononcerai le nom de Jésus, elle se lèvera. »
La grâce au cinéma ? Vois Ordet ! Vois Thérèse de Cavalier ! Vois Pickpocket de Bresson ! Vois même Le Cinquième empire de Manoel De Oliveira !
Vois Onze Fioretti de François d’Assise, de Rossellini, que Bazin considérait comme la véritable représentation de la grâce présentée comme une épiphanie du réel ! Si Dieu existe, il en dans ces films ! La Passion de Gibson, elle, n’est peuplée que de masques grimaçants.
Bon, on pourra encore continuer longtemps et ne pas se convaincre. La Passion est un un navet innommable pour toi, pour moi c'est une une splendide oeuvre de foi, pour toi, un film boursouflé et débile, pour moi (pour nous ?) un film fort et intense, pour toi, etc, pour moi, etc. Tu finiras par me dire que je ne comprends rien au cinéma et je te répondrais que tu ne comprends rien à ce film, etc etc. La seule différence, peut-être entre nous, est que celui qui aime a toujours plus de raisons que celui qui n'aime pas. Et qu'à un certain moment, celui qui n'aime pas se doit de laisser le dernier mot à celui qui aime....
Mais voilà un truc qui va te plaire, je sens hein ?
Pas de problème Pierrot ! A toi le dernier mot ! Je ne sais pas ce que j'ai, depuis quelque temps je deviens gentil. Je t'ajouterais bien à mes liens, mais pas avant la fin des élections. Faut pas charrier, non plus !
Amicalement.
Diable ! Mais me retrouver sur tes liens, après m'être retrouvé sur ceux de Juan, qu'est-ce que je vais dire aux Consanguins moi ? Et mon double, quadruple jeu jésuitique avec tout le monde, qu'en fais-tu ?
Enfin, cela sera de toutes façons avec plaisir.
OK, Transhu, seul contre tous ici-même visiblement, je te concède que la Dernière Tentation n'est pas "le" grand film chrétien. Mais c'est un grand film, un film sur lequel le croyant peut éventuellement prier, et le non-croyant réfléchir, puisque, comme je l'explique plus haut, ce film rend visible certaines structures psychiques fondamentales de la croyance. A la limite, peut-être ne te plaît-il pas autant qu'à moi justement par le fait que ce qui est cherché par la caméra de Scorsese, c'est moins la "présence" de Dieu, y compris dans son absence visuelle, qu'un certain "Sentiment" humain et hors-humain à la fois, matriciel, constitutif de tout le psychisme de l'homme (prochain mercredi Leffe de la SF, je t'en touche deux mots, du "Sentiment"...). La première phrase du film, avec Jésus allongé par terre qui va se tordre de douleur sous l'assaut de cet étrange "Sentiment" qui s'insinue en lui tel les griffes d'un aigle, est en effet: "The feeling begins"...
Je n'ai toujours pas pigé ce qui te chiffonnait dans la musique de Peter Gabriel (décidément je dois avoir mauvais goût?). Que tu demeures hermétique à la puissance jubilatoire des ondulations de la croupe de Katsumi me semble compréhensible. Mais quand même, Peter Gabriel, il y a de fort belles musiques, non? (With this love, A different drum, It is accomplished...).
En juin et juillet, je regarderai les films que tu cites et on en parlera!
Je viens de re-re-re-re-voir le film de Gibson: c'est loin d'être un film pour débiles déculturés. Il n'y a pas une fois où je le regarde sans y trouver un nouveau parallèle qui m'avait échappé, une nouvelle image empreinte de spiritualité...
(ça me fait marrer de lire que Monica Bellucci n'est pas crédible en araméen: parce que vous parlez l'araméen vous??? Pas moi... J'ai fait pas mal de latin, et ça m'a semblé convaincant, mais bon...)
Bref: je ne peux pas comprendre une telle haine pour ce film sans y voir quelque chose de spirituel. La haine pour le Christ lui-même. Parce que si c'était seulement un navet, eh bien on l'aurait déjà oublié... Il n'y a pas vraiment eu de débat sur "Les bronzés 3" par exemple... Il y a encore des forums où l'on parle de "La Passion du Christ".
... bien après la bataille.
La lecture du premier commentaire confirme ce que je ressentais : si la plupart des puritains athées s'étaient contenté de faire jouer leur sens esthétique on aurait pu à la rigueur, laissant la parole aux spécialistes et passant outre l'impact psychologique du film lui-même, se dire que Gibson avait peut-être commis un mauvais film, ou encore, un film d'alcoolique repenti.
Car quand on a pris la regrettable et involontaire habitude de s'emmerder ferme pendant une heure et demie sur les chef-d'oeuvre estampillés de la culture cinématographique française (pas tous quand-même...), l'humilité prend le dessus, on baille et on fait confiance à Godard, Truffaud ou Bergmann. Mais là non. Le phénomène a largement dépassé l'orthodoxie de la cinéphilie ordinaire et chacun y est allé de sa petite indignation cinématographique, du plus grand jusqu'au plus petit.
A mon grand étonnement, car je m'attendais à l'indifférence ironique de notre peuplade révolutionnaire vis-à-vis de toute évocation des croyances naïves de leurs pairs... et même, même, à un sursaut de sympathie à l'égard du supplicié (façon Chantal Sébire si on veut)... c'est dire si je faisais confiance à l'honnêteté intellectuelle de mon prochain.
Rien de tout cela n'est arrivé mais exactement le contraire, à savoir ce que vous dîtes et que répète ci-dessus "l'oeil et l'esprit" : une véritable levée de haine contre le Christ. Un truc presque métaphysique... qui pourrait incliner à penser que le Vieil homme ruse encore et qu'il s'incruste...
Benoit XVI l'a t'il compris, qui multiplie les provocations depuis le début de son pontificat : la dernière en date étant la poursuite de la canonisation de Pie XII ?
Je ne suis pas loin de le penser, à voir les remous médiatiques que ce procès entraîne. Comme chacune de ses interventions du reste...
Quant à vous, Montalte, continuez à aimer !
... Comme je ne parviens pas à entrer un commentaire dans "Pour en finir avec Mordillat et Prieur, c'est ici que je viens signaler que, non, ça n'en est pas fini, puisque nos deux ostrogoths récidivent avec "L'Apocalypse", les mercredis et samedis à 21h00 du 3 au 20 décembre 2008, sur Arte. Joyeuses Fêtes donc.
http://www.arte.tv/fr/accueil/2284998.html
"Fidèles à la démarche historique et à l’écriture cinématographique qui ont fait le succès de leurs précédentes séries "Corpus Christi" et "L’Origine du christianisme", Jérôme Prieur et Gérard Mordillat interrogent 50 chercheurs venus des quatre coins du monde. Parcourant les étapes qui vont de la fin du Ier siècle de notre ère, jusqu’à La Cité de Dieu de Saint Augustin au début du Ve siècle, ils éclairent un tournant capital de la civilisation occidentale."
Ca va être sportif, mais j'en ai un peu marre du révisionnisme...