Qu'est-ce qu'un neutrino ? Réponse ici.
« C’est chaque fois la première fois, c’est la répétition qui invente. »
École du Mystère, de Marie, du sein – car en italien, « le fruit de vos entrailles » se dit « frutto del tuo seno », soit « sein », ce qui est quand même mieux qu' « entrailles ». Tout comme il est mieux d’apprendre l’amour avec des femmes plus âgées qu'avec des filles de son âge. Fille au pair, tante, cousine (ou, plus métaphoriquement, grande sœur), amie des parents, institutrice et, par dessus tout, prof de théâtre quand on a seize ans. Rien de tel pour avoir un corps informé et, éventuellement, devenir président de la république.
Philippe à l’école des femmes. Mystère de la vulve, de l'origine du monde, du continent noir (et du continent noir, l’auteur rappelant, comme dans Le Nouveau, qu’il y a 130 millions de femmes excisées sur la planète – ce qui ne dérange pas plus que ça les néo-féministes qui sont de toute façon, elles aussi, pour l’excision au moins symbolique, car une femme qui oserait prendre du plaisir avec un homme, quel scandale ! L'époque déteste le sexe, de toute façon). Mystère du Multivers (encore ce mot, page 15), du Big Bang, du boson.
« Je n'en ai pas l'air, mais je suis bel et bien bien un boson gravitationnel, un neutrino qui peut franchir des montagnes. »
Être un neutrino. Voilà.
Sebastiano del Piombo - Triplo ritratto 1510
Il y a les Fanny et les Manon.
Les Fanny sont les adversaires, les contradictrices (et même les contre-disantes), les celles-qui-ont-toujours-raison, les rappels-à-l'ordre, les prudes grondeuses, les rabaisseuses moralisantes, les sentimentales normatives, les marâtres réelles ou symboliques, les justicières gonflantes, incapables de donner du bonheur, ou alors, bien malgré elles, trop occupées par leurs bonnes oeuvres et leurs pôles de vie.
Au contraire, les Manon sont les sœurs vicieuses, vicieuses du bonheur, bienheureuses de la chair et de l’esprit. Manque de pot, le narrateur est tombé amoureux d’une Fanny dont l’opposition est permanente, militante, génétique. Elle parle social, moral, "actual". Elle adore l’avenir, critique le présent, méprise le passé. Elle déteste les secrets, les cachotteries et la nature et conchie la formule « la nature aime à se cacher » que lui aime tant. Elle déconstruit d’ailleurs l’idée de nature, confond la pensée avec le progressisme et la parole avec les média. Elle est sentimentale et procédurière, fleur bleue et durassienne, éternelle féministe et anti-lectrice, anti-peinture, anti-fleur. « Comme presque tous ses contemporains, sa vue est endommagée, son odorat contrarié, son audition minimale, son toucher anesthésié. » Peu importe tous ces manques, l’important pour elle est de fonctionner sur le signe égal. Elle exècre la Pompadour et la Du Barry mais respecte les Femen. Elle n’est pas amicale, encore moins soeurorale, mais « associative ». Si elle a des passions, ce sont des « causes ». Elle a remplacé la littérature et la pensée « par la morale, encore la morale, toujours la morale ». À la lettre, elle est « une femme qui n’est pas son genre » mais pour qui il a, comme Swann avec Odette, une extraordinaire indulgence.
« Qui suis-je, sinon un clown surestimé et superficiel ? Fanny rit, je me suis rabaissé, elle m’aime. »
Mystère des passionarias et des femmes bêtes.
« Swann était du reste aveugle, en ce qui concernait Odette, non seulement devant ces lacunes de son éducation, mais aussi devant la médiocrité de son intelligence. Bien plus, chaque fois qu’Odette racontait une histoire bête, Swann écoutait sa femme avec une complaisance, une gaieté, presque une admiration où il devait entrer des restes de volupté ; tandis que, dans la même conversation, ce que lui-même pouvait dire de fin, même de profond, était écouté par Odette, habituellement sans intérêt, assez vite, avec impatience et quelquefois contredit avec sévérité. » (JF, tome un, GF, p 187)
Mystère des opposés. Stendhal voulait un jour écrire un « Robert » qu’il aurait conçu comme son antagoniste absolu, quelqu’un ne partageant ni ses passions, ni sa sensibilité, ni son intelligence et qui même serait un danger mortel pour elles. Nous avons tous nos Fanny et nos Robert.
Mystère de la cinématographie sollersienne. Vouloir filmer l’élévation de l’hostie à la messe dans toutes les langues, à travers tous les pays, en un seul plan récurrent pendant 52 minutes. Ou filmer un porno avec en voix off une lecture de l’Éthique de Spinoza.
École du sport – où l’on apprend que Philippe, adolescent, a fait du tennis, du vélo, du foot (il était ailier droit !!), et même, un temps, du rugby (mais c’était trop violent.) « Marquer un point, un but, une transformation, un coup droit le long de la ligne, là-bas, là-bas, se moduler au piano, à la batterie, à la basse, on va ranimer tout ça, plus tard, dans des phrases. »
Le culte des « provinces perdues » transmis par l'instituteur à des élèves en uniforme d'un bataillon scolaire. Peinture d'Albert Bettanier, la tâche noire, 1887.
Le secret de Sollers
Toutes les écoles, donc, sauf celle de la République. « La France est le pays qui a inventé l’école comme religion et cléricature tenace. » Finkielkraut qui avouait « tout lui devoir ». L’école comme dette. Le travail comme dette. La famille comme dette. La patrie comme dette. Lui sèche, triche, ou se fait porter malade (pour un écrivain, la maladie peut être une stratégie, une chance, un temps retrouvé). Et se demande si à l’époque de la PMA/GPA/clonage les hommes naissent encore – comme semble le supposer encore bien naïvement le premier article de la Déclaration des droits de l’homme : « les hommes naissent libres et égaux en droits », prétend celle-ci. Naître d’une femme et d’un homme – encore combien de temps ? En assurant ce mois-ci à l'Assemblée Nationale que la PMA "n'empêchera, ni aujourd'hui ni demain, quelconques parents hétérosexuels voulant concevoir un enfant de manière charnelle", Aurore Bergé posa quand même cette question et fut, sans le savoir, une visionnaire .
Mystère du Rotary Club qui organise une soirée en l’honneur de Sade, avec Ève Ruggieri et Jean-Pascal Hesse, au profit des enfants autistes du Vaucluse.
École de Spinoza subissant à 24 ans un herem, une excommunication radicale de la synagogue.
École de Pascal et ses pleurs de joie.
Être spinoziste et pascalien. Nietzschéen et chrétien. Heideggerien et papiste. C’est possible. Ça va même ensemble. L'en même temps est une question d'agencement, de reprise, de multivers (encore.)
Mystère de Manon – sa sœur sexualisée ou mieux son corps-sœur (comme on dit âme-sœur). La Sophie du Portrait de Joueur ? L’anti-Fanny, en tous cas. Celle qui dit oui et, mieux, qui aide le pauvre mâle à le dire à son tour.
Mystère des Muses « qui ne rient que bien branlées » (Céline.)
École des humiliations chéries. Manon conduit son Philou au bordel, le traite comme son esclave sexuel, l’introduit elle-même dans d’autres femmes pour l’en retirer aussitôt – « le plus souvent, munie de sa badine de cavalière. ». Le voilà, le secret de Sollers – Wanda.
« Une autre fois, Manon est professeur, elle donne des cours de mathématique. Elle a remarqué, au premier rang, un garçon, pas si mal, qui la dévore des yeux, regarde lourdement ses fesses quand elle écrit au tableau noir, et fourre, de façon ostensible, sa main dans la poche de son pantalon. Il est en retard, il ne fait aucun progrès, il a besoin d’une leçon particulière d’algèbre. Après le cours, donc, dans son bureau, il la découvre, très surpris, cuisses nues sans culotte. Elle le déculotte, garde sa règle de bois à la main, menace de le faire renvoyer s’il se plaint, lui donne quelques coups secs sur la bite, en l’accusant de se branler sur des cochonneries en pensant à elle. Elle lui fait assez longuement la morale. Il jouit. »
Gravure sur bois d'Aristote monté par Phyllis par Hans Baldung, 1515
(Sur cette étonnante histoire, voir ici ; et sur cet étonnant peintre, voir là.)
Suave mari magno.
Mais Manon, contrairement à Fanny, n’est pas méchante. Elle a trop conscience du mal pour être méchante alors que Fanny vénère trop le bien pour être gentille. « Les Fanny parlent du bien, en n’arrêtant pas de faire le mal. Manon est protégée du mal par le mal. »
Mystère de l’écriture. Le plus dur, c’est joindre, se rejoindre. « Se rejoindre, le but est là. »
École de Lucrèce. « Vous entrez avec confiance dans le tourbillon des atomes qui dissout toutes les religions et tous les pouvoirs. » Surtout, vous savez prendre vos distances avec le monde, les médias, les familles, les Fanny.
Suave mari magno.
« Vous êtes sur la rive, vous regardez, de loin, le naufrage. Une brise bleue vient vers vous, une tache de soleil, à travers les lauriers et les acacias, vous fait signe. Le soir, une voiture vous emporte à vive allure à travers la ville. Manon vous prend la main, vous échappez à la propagande de mort. »
Mystère de Manon.
« Manon, c’est le beau temps en plein hiver, le soleil sous la pluie, la chaleur sous le froid coupant, la gaieté fanatique quoi qu’il arrive. On est des professionnels de la désintégration de l’actualité, comme du crépitement médiatique. Ça s’entasse, ça passe, ça disparaît, le néant est sans cesse là en direct. Manon sonne, elle entre, on s’embrasse comme si on ne s’était jamais embrassés, la journée est gagnée. »
École d’Hitchcock dont il adore Pas de printemps pour Marnie avec Tippi Hedren.
Mystère de Dagmar Döring, militante au FDP allemand, 53 ans, qui a fait l’apologie de la pédophilie féminine et qui a été obligée de se retirer.
« Enfin une pédophelle ! Dagmar, dites-moi tout ! J’écris vos Mémoires ! Corydonne en action ! Plus forte que Gide, Nabokov ou Colette ! J’ai le titre : Chérie, de Dagmar Döring, avec une préface de moi ! Vente interdite aux mineures ! Articles scandalisés partout : Best-seller ! »
École de Sollers. La phrase qui le résume :
« Vous retrouvez votre proximité, le stylo, l’encre, le ciel bleu-blanc, les mouettes. C’est le grand silence de 6 heures du matin. Les livres s’ouvrent d’eux-mêmes, vous savez quels passages vous intéressent… »
Mystère de la maison d’enfance (et qui reste la nôtre à vie, quoi qu’il se passe).
« Je me retrouve de plus en plus souvent, comme en rêve, dans la chambre d’autrefois, là-bas. Je vole dans les escaliers, je ferme la porte à clé, je tire les rideaux rouges, je m’allonge sur la couverture de velours vert, les meubles d’acajou conservent le temps. Je dors 20 ou 25 minutes, je me relève, je bois un verre d’eau, je m’allonge à nouveau, je veille. La maison a disparu depuis longtemps, tous les habitants sont partis ou morts, mais l’ensemble persiste à durer encore, en plus fort. »
Moulin Blanc, Grimaud, l'arrière-grand-père, les tapis, les couloirs, les chambres, la cheminée. Jouer à l'espion dans la maison de famille (tu parles !). Ouvrir la bibliothèque, en sortir les beaux volumes ancestraux, Paul Léautaud, Maurice Leblanc, Saint-Simon – ils ne savent même plus qui c'est mais pas question que j'y touche ou même que je les prenne en photo. Souvenirs interdits. Tant pis pour eux, moi, je suis dans le non-oubli, l'aïon, la nervure des choses.
« Marcher souvent pieds nus dans le noir, écouter les murs, les parquets, les tapis, les dallages. Choisir des angles de vue selon les couleurs, toucher du bois, discerner des odeurs, saisir des parfums de femmes dans le cou ou derrière les oreilles. Éprouver en profondeur la toile, le coton, la soie, les feuilles, les galets, le velours. Écouter, du près possible, la main gauche d’un grand pianiste (celle de Friedrich Gulda, par exemple, dans Le Clavier bien tempéré). Entrer dans le noir nocturne des arbres, pour mieux voir leur vert des matins d’été (…). Être familier de toutes les fenêtres et de toutes les portes. Garder son enfance au bout des doigts, surtout, mystère de la foi. »
Mystère de l’enfance. « Heureux les enfants vicieux, sournois, dérobés, intenses ! Heureux ceux qui préservent leur intelligence de l’insouciance ! (…) Ils sont très coupables. Ils connaissent la haine inévitable dont ils sont l’objet. »
Mystère de l’amour, enfin. Tomber amoureux, c’est retomber en enfance. Et ça, je sais.
Jozef Mehoffer, (Dziwny ogród - 1903)