"Dans le masochisme, vous êtes insurpassable", me disait un jour Houellebecq.
Quelles sont vos héroïnes préférées ? demandait Marcel Proust dans son fameux questionnaire. Mais les femmes que l’on n’a pas eues, bien sûr ! Et qui sont les seules qui comptent. Celles qui nous ont accompagnés toute une partie de notre vie sans le savoir. Celles qui ne se doutaient pas, ou à peine, de notre existence. Celles qui auraient tendance à rigoler si elles se souvenaient de nous – ou à grimacer de dégoût. Celles, enfin, qui étaient peut-être aussi sauvages que nous et qui auraient bien voulu qu’on franchisse le pas – mais comment aurions-nous pu le faire, nous qui nous nous demandions jusqu’au délire comment on pouvait nous aimer ?
Tout ce que j’ai pu ne pas vivre dans ma vie relève du prodige. Comme Leporello pour Don Juan, je tiens mon catalogue des filles que j’ai passionnément aimées, désirées, sublimées sans jamais les toucher ni parfois leur parler, et qui, dans le meilleur des cas, n’auront été que des « amies ». Mais quoi ? « Aurora », la romancière du Genou de Claire, ne disait-elle pas que c’est lorsque l’on couche qu’il n’y a pas d’histoire et que c’est lorsque l’on ne couche pas qu’il y en a une ? Dans ce cas, que d’histoires insensées et singulières ai-je vécues ! Mais que de non-histoires normatives et banales aurais-je voulu vivre ! La plupart du temps, je choisis le cinéma contre la vie réelle, mais en matière érotique, je l’avoue, j’aurais volontiers échangé quelques films contre quelques femmes, quelques images sans chair pour quelques chairs sans images.
Hélas, mon désir n’a jamais été qu’un désir de désir – un « désir de rien », comme dirait encore le personnage de Jean-Claude Brialy dans Le Genou. L’amour, un vœu pieux. Quoi que je veuille ou fasse, je me révèle un intouchable de choc. Il suffit qu’un corps se présente à moi pour que le mien s’absente aussitôt. Le contact ne remonte jamais jusqu’au cerveau. À moins que cela ne soit le cerveau qui bloque cette remontée. Mes nerfs disent « NEIN ». Mon sang hurle « NEVER ». Ma moelle s’en mêle : « pas de ça pour toi, mon gaillard. » Mes fluides interviennent à leur tour : « n’y pense même pas. » Tout mon corps conspire contre moi.
Pour autant, il faut être juste. Ma « monstruosité » a moins à voir avec ma tronche de parpaing, ma peau trouée par l’acné juvénile, ma coiffure de bonne femme, ma silhouette de cochon d’Inde, mon embonpoint biéreux, mes bourrelets de sauvetage, mes seins de mec obèse, mes petites mimines de bébé aux ongles tout rognés, mes lèvres déchirées à force de m’y frotter ceux-ci jusqu’au sang, mon bassin en forme de poire (...)
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