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Quand l'oeil sourit

Sur Causeur

 

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Le Louvre revisité dans un livre élégant et ironique

 

La jolie surprise que voilà ! Le Louvre des ratages. Le guide des croûtes. Le cabinet de curiosités des incongruités esthétiques. Avec en couverture Le bienheureux Ranieri délivre les pauvres d’une prison de Florence, de Sassetta, sorte de saint Superman du XVe siècle volant dans les airs et qui fait un doigt d’honneur (ou un geste de bénédiction, on ne saura jamais) à ses ouailles, Le Louvre insolent donne le ton.

 

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Le tableau que l’on nous vend depuis des siècles comme un chef-d’œuvre de l’histoire de l’art n’était peut-être, après tout, qu’un « nanar » — c’est-à-dire, comme l’explique Jacques-Pierre Amette dans son introduction, « une œuvre qui permet un déplacement qui n’était pas prévu par le peintre, (…) une peinture, soudain, qui permet une double lecture. La noble et la triviale. L’officielle et la personnelle. » Et en effet, comment ne pas sourire au portrait un rien ridicule d’Henry IV en Hercule terrassant l’hydre de Lerne, de Toussaint Dubreuil (vers 1561-1602) malicieusement ré-intitulé par les auteurs « Défilé printemps-été » ? Ou rester perplexe devant la tête disproportionnée de ce Saint Jérôme méditant (« Gym tonic »), de Jan Cornelisz Vermeyen (1525) qui, si on le regarde avec attention, possède tout de même ses qualités, notamment ce crâne « éclairé par une lumière crue, [qui] prend une dimension particulièrement inquiétante, une fois isolé du reste de la composition ».

C’est tout l’art des auteurs de cet épatant manuel (impeccable sur le plan historique, critique, biographique et iconographique) de montrer à la fois comment une « grande » œuvre du passé peut avoir sa part de grotesque et comment dans ce grotesque on peut encore trouver de la beauté. Exemple, cette Vierge à l’enfant entourée des saints innocents (« Congelez-les ! ») datant de 1618 et signé de Rubens qui, plus que la sainteté des chiards, a peint l’esprit d’enfance, véritable métaphysique de la marmaille,  comme peu l’ont fait. Excellente idée en ce sens d’insérer entre deux toiles improbables quelques authentiques chefs-d’œuvre, tel le Saint Jean Baptiste de Léonard de Vinci (vers 1513-1516) qui surgit dans sa double page et rappelle combien le génie peut nous émouvoir à jamais.

Qu’on ne s’y méprenne donc pas : le but de Cécile Baron et de François Ferrier n’est pas de relativiser ni de rabaisser l’art, mais bien au contraire de le dépoussiérer en vue de se le réapproprier. Et par « le détail qui tue », réapprendre à regarder un tableau hors de toutes considérations universitaires. En vérité, ce n’est pas l’art mais la culture qui en prend un coup. La culture et son esprit de sérieux, son bon goût normatif, sa stérilisation permanente, autant de codes qui font du tableau un simple objet de savoir et pour le savant un prétexte de pouvoir sur les autres. Alors que discuter d’une œuvre au risque d’en sourire, c’est lui rendre sa vie propre.

Bien sûr, on ne sera pas d’accord avec tous les choix des auteurs, comme par exemple avec cette Mort de Cléopâtre (« La main au panier »), de Giampietrino (première moitié du XVIème siècle) qui nous semble bien plus érogène et mystique qu’ils ne semblent le dire, mais qu’importe ! Des goûts et des couleurs, il faut en disputer. Et l’essentiel est d’aller le faire au Louvre, manuel en poche. Si après ça, les gardiens de musée ne vous admirent pas…

Le Louvre insolent, Cécile Baron et François Ferrier, avec la participation de Frédéric Alliot, préface de Jacques-Pierre Amette, Éditions Anamosa, 2016.

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