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André Breton, mon inattendu de 2023

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Notes sur André Breton d'après le Breton de Sarane Alexandrian,

dans la fameuse collection Écrivains de toujours que j'ai toujours affectionnée.

 

 

1 – Un début dans la vie.

« Bien longtemps j'avais pensé que la pire folie était de donner la vie. » Coucou, Chateaubriand ! Malgré cette révolte de bon aloi, Il aura lui-même une fille, Aube, avec Jacqueline Lamba - et qui, à 13 ans, après avoir été sans doute déchirée entre ses deux parents, choisira de vivre avec son père. Ce qui humanise prodigieusement Breton, loin de l'image de tyran intraitable qu'on avait de lui. Aube aura aussi follement aimé son père. Ca m'émeut ce genre de choses, que voulez-vous ?

 

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Le surréalisme, « queue du romantisme » – et qui ne fut de gauche que parce que l'on sortait de la guerre et que l'on voulait changer le monde alors qu'il avait tout pour être individualiste, singulier, aristocrate, de droite. Du reste, Breton et les autres (sauf Aragon et Éluard) se sont cassés les dents au Parti. On n’a pas voulu d’eux. « Si vous êtes marxiste, vous n’avez pas besoin d’être surréaliste », dit-on à André. Et c’était vrai. Un marxiste ne se trompe jamais sur le non-marxiste.

Donc, poésie et art. Avec cette idée de défoncer le monde. Pas de chef-d'oeuvre sans caractère agressif.

Ce que disait Cioran, dans un entretien de 1973 :

« L’on écrit pour faire du mal, dans le sens supérieur du mot, pour troubler… […] tout ce que j’ai lu dans ma vie, je l’ai lu pour être troublé… Un écrivain qui ne me martyrise pas d’une façon ou d’une autre ne m’intéresse pas… Il faut que quelqu’un vous fasse souffrir, autrement je ne vois pas la nécessité de lire. »

Et Kafka, dans sa lettre célèbre à Oskar Pollak du 27 janvier 1904 :

« Si le livre que nous lisons ne nous réveille pas d’un coup de poing sur le crâne, à quoi bon le lire ? »

L’initiateur, le Sid Barret de Breton, son « ombre de soleil » et Dracula sempervivens du surréalisme, c’est Jacques Vaché, le Nantais, dandy et modèle qui mourra d'overdose d’opium à 23 ans. Voilà. C’est le dandysme qui sauvera Breton de l'idéologie pure et du militantisme forcené.

Assistant psychiatrique pendant la guerre, il a vu et étudié de près la folie – et sans doute a compris que celle-ci n'était pas un « jeu ». D'où sa rigueur, son ascèse, son refus du délire pour le délire, son éthique – car le surréalisme fut pour lui une éthique. On peut dire que, comme Hegel dont il était si proche, il aura vécu son Aufhebung.

Il aurait fait, d'après ses professeurs, un excellent médecin. Il a préféré abandonner ses études au grand dam de ses parents avec qui il rompra. Philippe Soupault qui assista à leur scène de rupture fut impressionné par sa fermeté alors qu'il dépendait d'eux financièrement.

Pour gagner sa vie, il devient conseiller bibliothécaire (comme Bataille, tiens.)

Très vite, il a le besoin de se confronter aux hommes de valeur – à commencer par Paul Valéry, qu'il finira, bien entendu, par renverser. Et la douleur de tomber sur des inférieurs, des médiocres, des qui-ne-servent-à-rien et se demander si on n'en ferait pas partie. N'importe, il devient l'arbitre des avant-gardes pendant cinquante ans. 

Les écrivains sont des prophètes ou rien (ce que me disait Aurora : « Les plrrophètes sont nos collègues ») et le ressort de toute poésie est la surprise. La surprise (de l'amour ?) ou rien.

« Je m'étais mis à choyer immodérément les mots pour l'espace qu'ils admettent autour d'eux, pour leurs tangences avec d'autres mots innombrables que je ne prononçais pas. »

A moins de prononcer un mot pour un autre. 

« On peut très bien connaître le mot Bonjour et dire Adieu à la femme qu'on retrouve après un an d'absence. »

Le groupe surréaliste se forme. Dans café de l'Opéra, on joue au jeu des notes qui consiste à noter les personnalités du moment  - 25 et + 20. J'aurais adoré ce jeu. 

Par exemple, aujourd'hui : 

Poutine : - 25 

Zelenski : + 20

Juan Branco : - 15

Cyril Hanouna : + 15

Annie Ernaux : 0

Houellebecq : + 20

Rusdhie : + 25.

A part ça, Jean Cocteau, « l'être le plus haïssable de ce temps » (parce que rival ? homosexuel ? les deux ?)

Grande séduction physique de Breton.

Qu'est-ce que le surréalisme ? D'abord, un art de l'intime.

« Que faites-vous lorsque vous êtes seul ? » - telle est la question (la plus intime du monde). 

Oh ! Surtout

qu'elle fripe un gant de suède chaud [les gants de Breton !]

soutenant quels

feux de Bengale gâteries !

(Coqs de bruyère, dans Mont-de-Piété)

 

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Jacques Vaché

 

 

2 – « Si c’est ça, le génie, c’est facile ».

Remise en jeu du langage.

Révolution du langage.

La fameuse (fumeuse ?) écriture automatique.

Autant le dire, ce qu'il y a de moins convaincant dans le surréalisme – même si l'intention d'une écriture inconsciente, irrationnelle, imaginaire (« si c'est ça, le génie, c'est facile », disaient-ils) était louable. Et « les séances de sommeil », une fort bonne intention.

L'homme ne dort pas assez et travaille trop. Là-dessus, je suis assez d'accord avec les gens de la Nupes. Le destin de l'homme n'est pas le travail mais le repos, la rêverie, la poésie, l'élévation de l'âme – le jeu des perles de verre, Platon, Spinoza. Et pas le boulot. Le boulot, c'est un esclavage consenti et nécessaire, mieux vaut bien le faire et y être heureux, mais ça s'arrête là. On n'est pas vivant au boulot.

« Rien ne sert d'être vivant, le temps qu'on travaille », lit-on dans Nadja.

Le boulot est fait pour avoir de quoi se divertir après lui. De ce point de vue, vive la numérisation de la vie ! Vivent les robots ! Vivent les IA ! Vivent HAL et Blade Runner ! La retraite (soit la reprise de l’être), c'est tout de suite (et je suis pour la réforme, hein ? Rien à voir.)

Mais le langage.

Le langage intérieur.

Les rapports entre les mots, entre les choses et entre eux. Comme chez Godard, tiens. Faux raccords, etc.

Libérer les mots. Les extraire de leur utilité. Les soustraire à leur usage. Les arracher au sens commun. Les traiter comme des dessins, des calligrammes, voir en eux des « créateurs d'énergie », de vitesse, de mouvement. Le mot-vement.

Le mot comme signe pur, présence pure, amour pur (« mettre ensemble les notes qui s'aiment », aurait dit Mozart.)

Par là-même, réapprendre à lire : « si telle ou telle phrase de moi [ou d'autrui] me cause une légère déception, je me fie à la phrase suivante pour racheter ses torts. »

L'écriture stupéfiante au sens de stupéfiant, drogue, chemsex – au sens Palmade, serait-on tenté de dire. Pauvre Palmade, je le plains, moi. Se retrouver du jour au lendemain le type le plus détesté de France, dans une situation sans aucune circonstance atténuante. Ca doit être ça, l'enfer : la culpabilité totale, absolue, perpétuelle. Sacrée expérience des limites.

« Le poème surréaliste est un orgasme du langage » (Alexandrian.)

Faire jouir le langage comme faire jouir Dieu.

Jamais trop d'images. Jamais trop de rapports (sexuels). Emboitement et collages. Champs magnétiques. Poisson soluble.

Écrire comme un ange ou un cafard - comme Ariel ou comme Grégoire Samsa. Enchanter ou cauchemardiser le monde.

« Quelle fierté d'écrire, sans savoir ce que sont langage, verbe, comparaisons, changements d'idées, de ton ; ni concevoir la structure de la durée de l'oeuvre, ni les conditions de sa fin ; pas du tout le pourquoi, pas du tout le comment. »

Bien sûr, c'est impossible. Dès que l'on dit ou écrit un mot, on est dans la grammaire, on est dans Malherbe, Vaugelas, Boksztejn, toussa, syntaxe, stylistique, intention, construction. Le langage est une construction sociale, comme on dit. Mais le social est une construction de quoi ? De la nature ? Du primitif ? Du cri ? De l'os ? Moi, je crois que oui. L'astronef est un os, le XVIII ème est de la préhistoire poudrée, l'ode à la joie peut donner des envie de viol, et pis c'est tout. Stanley insurpassable. J'ai appris à penser dans 2001 et Orange. Mon côté cosmique et facho, je suppose.

Pour autant, même si cette question d'un langage autonome est impossible, elle est opératoire. Il y a des écrivains qui, par curiosité ou maladie, se sont aventurés hors du langage (Joyce, Artaud, Guyotat, Sollers) et l'aventure était intéressante, mystique même.

Le surréalisme est une mystique.

« Le lit fonce sur ses rails de miel bleu », c'est pas mal. 

« Les belles fenêtres aux cheveux de feu dans la nuit noire », aussi.

Et j'adore :

« Je vois ses seins comme si elle était nue [premier vers décevant]

On dirait des mouchoirs séchant sur un rosier » [deuxième vers ravissant et qui donne sens au premier.]

Contrairement à la préciosité qui force le mystère de la moindre chose, au risque de sombrer dans une obscurité sublime et toujours par trop volontariste (Mallarmé), le surréalisme révèle simplement les ténèbres – et de fait révèle l'âme. C'est ce qui nous le rend si cher.  On ne fait pas des mystères, on les montre. On ne voile pas le sens, on le dévoile. On n'invilibise pas le visible, on visibilise l'invisible (ou on tente de le faire.) On donne à voir.

Ce faisant, on excède le Verbe. On tire vers le visuel. Le verbal au service du visuel et non de lui-même (Mallarmé, encore.) Un peu comme le rêve au service du réel.

Le rêve au service du réel – voilà une définition du surréalisme.

 

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Peter Ibbetson, d'Henry Hataway, le film préféré des surréalistes. Une histoire de rêve et d'évasion.

 

 

3 – Mystique de la rencontre.

 « La rue, avec ses inquiétudes et ses regards, était mon véritable élément. »

Qui n'a pas rêvé de rencontrer dans la rue la femme aimée ? Ou la femme à aimer ? La rue d'Aurora, la rue de Nadja, la rue qui vous offre quelqu'un. La rue péripatéticienne mais pas seulement. La rue divine.  

« Cette soif d'errer à la rencontre de tout, dont je m'assure qu'elle me maintient en communication mystérieuse avec les autres êtres disponibles, comme si nous étions à nous réunir soudain. » 

L'espoir de la rencontre qui changera votre vie. De l'être clef qui vous ouvrira. Serrurier du hasard. Prophète du monde. Qu'il soit sublime ou médiocre. N'importe qui peut être porteur de clef, y compris le mauvais con, l’ami inférieur, l’ennemi congénital. On peut être un maître de vérité à son insu. On peut être signifiant sans le savoir. Et c'est pourquoi on est en devoir d'avoir aussi quelques imbéciles autour de soi. Très important de fréquenter les imbéciles qui sont des sylphides comme les autres. L'important est d'incarner symboliquement quelque chose. Comédie humaine. Distribution des lumières. 

Du reste, Nadja n'était pas si adorable ni même si attrayante. L'histoire a duré une semaine et on ne sait même pas s'ils ont fait l'amour (une fois ?). Il semble qu'elle a agacé très vite Breton. La rencontre capitale a été décevante. La communion mystique a été plus une intention qu'un vécu. Elle passait du sublime au prosaïque sans prévenir, ce qui agaçait beaucoup André.

Nadja ou la rencontre subjectivée à l'extrême.

Nadja ou l'apport du non-amour.

Nadja ou la défaite de la personne dans le triomphe du symbole.

Nadja, surtout, pour les autres.

Écrire Nadja pour les autres en espérant qu'ils trouvent à leur tour leur Nadja et vivent à sa place quelque chose de mieux.

D'où la sacralisation de l'attente.

L'enchantement est dans l'attente comme le meilleur est dans l'escalier. On attend, on incante, on espère. Suspense de l'espérance. Et même si ça ne vient pas, ça vient quand même. Tout est bon dans le tout, même le rien.

Il y a toujours quelque chose à voir – même dans un mur informe.

Que chacun fasse avec sa vie ce que Léonard de Vinci conseillait à ses élèves de faire avec un vieux mur : le regarder longuement jusqu'à ce qu'ils y voient apparaître un tableau tout constitué. Le leur. 

Laisser surgir en soi sa propre épiphanie.

L'idée est d'épuiser le monde.

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Tombe de Léona Delcourt (Nadja), cimetière de Bailleul (Nord)

 

4 - « L'imagination n’a pas à s’humilier devant la vie. » (Il y aura une fois - Claire de terre). 

Le rêve au service du réel, comme on l'a dit.

Le rêve, recharge du désir.

Le rêve, approfondissement de sa vie.

Qu'est-ce que la surréalité ?

La réalité absolue. La réalité exaltée. La réalité unie avec ce que l'on a considéré jusqu'à présent comme son contraire alors que ce n'était que son complément – l'imaginaire.

Imaginaire qui peut prendre les voies du merveilleux mais tout aussi bien celles de la matérialité la plus pure. Un objet, une rue, un regard.

Un regard qui effraie ou qui excite – et le réel prend son envol.

Une simple émotion et le réel devient surréel.

Tout réel délire.

Tout délire est réel.

Toute matière est enchanteresse : vitrine de Noël ou de mercerie,  livre d'enfant ou de notaire, théâtre ou marché, nougat ou navet, sucette ou cornichon.

L'imagination transforme la chambre (double, bien sûr, celle de Baudelaire.) Fait de la solitude crasse une mille et unième nuit. 

« Une chambre qui ressemble à une rêverie, une chambre véritablement spirituelle, où l’atmosphère stagnante est légèrement teintée de rose et de bleu.

L’âme y prend un bain de paresse, aromatisé par le regret et le désir. — C’est quelque chose de crépusculaire, de bleuâtre et de rosâtre ; un rêve de volupté pendant une éclipse.

Les meubles ont des formes allongées, prostrées, alanguies. Les meubles ont l’air de rêver ; on les dirait doués d’une vie somnambulique, comme le végétal et le minéral. Les étoffes parlent une langue muette, comme les fleurs, comme les ciels, comme les soleils couchants.

(...)

La mousseline pleut abondamment devant les fenêtres et devant le lit ; elle s’épanche en cascades neigeuses. Sur ce lit est couchée l’Idole, la souveraine des rêves. Mais comment est-elle ici ? Qui l’a amenée ? quel pouvoir magique l’a installée sur ce trône de rêverie et de volupté ? Qu’importe ? la voilà ! je la reconnais. »

Et brusquement,

« un coup terrible, lourd, a retenti à la porte, et, comme dans les rêves infernaux, il m’a semblé que je recevais un coup de pioche dans l’estomac.

Et puis un Spectre est entré. C’est un huissier qui vient me torturer au nom de la loi ; une infâme concubine qui vient crier misère et ajouter les trivialités de sa vie aux douleurs de la mienne ; ou bien le saute-ruisseau d’un directeur de journal qui réclame la suite du manuscrit.

La chambre paradisiaque, l’idole, la souveraine des rêves, la Sylphide, comme disait le grand René, toute cette magie a disparu au coup brutal frappé par le Spectre.

Horreur ! je me souviens ! je me souviens ! Oui ! ce taudis, ce séjour de l’éternel ennui, est bien le mien. Voici les meubles sots, poudreux, écornés ; la cheminée sans flamme et sans braise, souillée de crachats ; les tristes fenêtres où la pluie a tracé des sillons dans la poussière ; les manuscrits, raturés ou incomplets ; l’almanach où le crayon a marqué les dates sinistres !

Et ce parfum d’un autre monde, dont je m’enivrais avec une sensibilité perfectionnée, hélas ! il est remplacé par une fétide odeur de tabac mêlée à je ne sais quelle nauséabonde moisissure. On respire ici maintenant le ranci de la désolation. »

(Baudelaire, La Chambre double.)

 

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5 – Politique 

« Si vous êtes marxiste, vous n'avez pas besoin d'être surréaliste ! »

Au Parti, on se méfie de ce poète dandy qui fait dans l'occultisme et le fétichisme. Celui-ci a beau jurer ses grands dieux qu'il n'y a pas plus anarchiste et plus révolutionnaire que lui, ce qui est vrai en un sens, on le met à l'épreuve. On le place à la « cellule de gaz » et on le charge de faire un rapport sur la situation italienne concernant la production de gaz, d'acier, etc. et en ne s'aidant que des statistiques officielles sans du tout faire le moindre commentaire idéologique et encore moins poétique. Le pauvre André tente de s'y mettre mais les chiffres et les courbes, ce n'est pas vraiment son truc. Comme il le dira plus tard :

« je n'ai pas pu ». Je tiens cette phrase pour son honneur.

Il faut avoir le goût du goulag pour devenir coco – car c'était bien une expérience de goulag symbolique, de goulag mental, qu'on lui demandait : renoncez à ce que vous aimez, l'esprit, l'écriture, la beauté, et consacrez-vous à la vraie matière, au vrai travail, au vrai idéal. Un communiste doit savoir liquider en lui tout ce qui n'est pas communiste – et surtout ses dispositions naturelles au rêve et à la poésie. Il n'y a pas de disposition ni de nature qui tienne quand on prétend construire l'Homme nouveau. Par ailleurs, gare à l'avant-garde qui a toujours été un truc de bourgeois.

Au début, Breton pardonne. On l'a mal jugé mais parce qu'on n'avait pas les moyens intellectuels de le faire. Le Parti est sublime mais il lui manque un peu de sensibilité littéraire, voilà tout. Le Révolutionnaire est quelque peu réactionnaire en art et en culture mais on va tenter d'arranger ça. Comme Heidegger qui rêvait d'être le druide des nazis, Breton se verrait bien en barde bolchévique. Hélas ! Dès qu'il tente une bretonnerie, on le traite comme Assurancetourix.

Il a beau se brouiller avec tous ses amis désengagés ou un peu sceptiques quant au Grand Soir, on ne voudra jamais de lui au Parti. « Vous agitez des problèmes post-révolutionnaires ! », lui lance-t-on.  La vie intérieure, le langage, la sexualité... Tout ça, peut-être, mais après ! Quand on sera dans une société sans classe. Et encore ! Car toutes ces questions esthétiques et libertaires puent encore et toujours le bourgeois. Breton bourgeois ! Qu'importe, il s'acharne. En 1933, il devient membre de l'AEAR (Association des écrivains et des artistes révolutionnaires) dont il est tout de suite exclu pour avoir laissé paraître dans une revue surréaliste une critique acerbe d'un film soviétique, le bien nommé Chemin de la vie. Là, il commence à s'énerver. Ces communistes sont non seulement des butors en matière d'art mais pire des imbéciles en politique, ignorant la dialectique des choses. Et ça se prétend marxiste !

« Un système n'est vivant, écrit-il dans Position politique du surréalisme, que tant qu'il ne se donne pas pour infaillible, pour définitif, mais qu'il fait au contraire grand cas de ce que les événements successifs paraissent lui opposer de plus contradictoire, soit pour surmonter cette contradiction, soit pour se refondre et tenter de se reconstruire moins précaire à partir d'elle si elle est insurmontable. » 

Et de se demander s'il peut exister un « art de gauche » (Cioran répondait que non car l'art relève toujours de la belle forme et quand on veut changer le fond du monde, on n'a que foutre des belles formes). Lui le voudrait tant ! Pauvre André. Il apprend à ses dépens qu'on n'oppose pas le réel à l'idéologie, la contradiction à l'infaillible, le grand style au Social.

Quelle idée aussi de baffer le camarade Ilya Ehrenbourg, écrivain soviétique, en plein boulevard Montparnasse, et pour la raison que ce dernier avait insulté les surréalistes dans un de ses livres !

Pour Breton, les carottes sont cuites. Il devient antistalinien. Se brouille avec Aragon. Rencontre Trotsky qui lui reproche encore de « garder une petite fenêtre ouverte sur l'au-delà » (ce qui est tout à fait vrai – Breton n'est certainement pas le super matérialiste athée qu'il croit) et s'entiche de Fourier, incarnation de ce socialisme romantique qu'il recherche et auquel il consacre une célèbre ode.

Dans les années cinquante, il avoue avoir renoncé à Marx, « par fatigue » mais pas à Robespierre qu'il regarde « les yeux dans les yeux ». Incorruptible Breton.

Gabriel Nerciat - Oui, le compagnonnage de Breton avec les communistes ne pouvait pas aller très loin. Mais je crois qu'il n'y avait pas seulement tout ce que vous dites : pour qu'une révolution socialiste ait lieu, il faut parvenir à changer la société mais certainement pas la représentation sensible et poétique du monde. Les révolutionnaires sont encore plus monogames que les bourgeois puritains : s'il y a deux révolutions concevables, c'est qu'une est de trop. Une révolution esthétique fondée sur les ressources de l'esprit et de l'inconscient, c'est beaucoup plus dangereux pour une société totalitaire, bureaucratique et égalitariste que le maintien de la propriété privée. C'est ce que les hiérarques du Parti, pas si bêtes, ont vite compris et voulu faire admettre à Breton. Aragon aussi l'a bien vu : s'il est devenu communiste, c'est parce qu'il ne voulait ni ne pouvait demeurer surréaliste ; et même l'évolution classique, idyllique de sa poésie s'en ressent. De ce point de vue, Breton est bien un auteur bourgeois, en effet, autant sinon plus que Gide. D'où son propre goût pour la terreur dans les lettres et son admiration maintenue pour Robespierre (car, en fait, sans révolution bourgeoise il n'y a pas de révolution tout court, n'en déplaise à Benjamin Constant). C'est Paulhan, après Cocteau, qui révèlera ce terrible secret dans Les Fleurs de Tarbes.

Pierre Cormary - Gabriel Nerciat Absolument, parce que la révolution ne peut être qu'antibourgeoise et violemment. Constant et tous les autres « libéraux » se sont trompés sur ce point – mais c'est cette erreur qui les honore, je crois.

Et en effet, une révolution esthétique est toujours bourgeoise, même si on fricote à l'extrême gauche.

C'est pourquoi un Marc-Edouard Nabe ne sera jamais stricto sensu un révolutionnaire. S'il l'était vraiment, il irait pisser sur la tombe de Duke Ellington – et ça, jamais !

Un vrai révolutionnaire (le salaud intégral, selon moi), c'est celui qui veut d'abord détruire les oeuvres d'art et ne surtout pas en faire de nouvelles (encore moins « avant-gardistes » !). En ce sens, on peut dire à la lettre que l'islamisme, comme le wokisme, est révolutionnaire.

 

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Diego Rivera, Léon Trostsky, André Breton

 

6 – Amour fou

L'Amour fou, c'est Jacqueline Lamba, la « survenante » « scandaleusement belle » de la place Blanche, un 29 mai 1934. Toute la nuit (dite "du Tournesol", son poème écrit quelques années avant) avec elle, de Pigalle à la rue Gît-le-coeur. Puis le mariage trois mois plus tard, le bonheur à la villa Air-Bel à Marseille, la naissance d'Aube – et que suivent bientôt les querelles inhérentes à la vie de famille, aux problème matériels (le surréalisme ne nourrit pas son homme) et au fait que Jacqueline veut aussi vivre sa vie d'artiste, abandonnant plusieurs fois sa fille. Celle-ci, à 13 ans, choisira de vivre définitivement avec son père (ce qui donne une très noble image, assez inattendue, d'un Breton « bon papa ».)

C'est cette noblesse paternelle et conjugale que nous aimons chez lui – un des rares écrivains à avoir sacralisé la monogamie et la paternité. L'Amour fou comme célébration de l'amour conjugal et désir mystique que sa propre fille soit un jour « follement aimée ». Breton Beethoven ! Breton Fidelio !

 

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André et Aube

 

Bien sûr, dans la réalité, la fidélité n'a pas toujours été le fort d'André même s'il ne fut jamais un grand débauché à la Bataille. C'est que la vraie vie veille à fausser l'amour, la vraie vie est ennemie de l'amour et l'amour est un combat incessant contre la vie. Tout romantique qu'il est, l' « éperdu » se fait souvent dissolu. N'empêche que « les amants qui se quittent n'ont rien à se reprocher s'ils se sont aimés »  –  ce qui me fait penser à cette formule toute bretonienne d'Amélie Nothomb dans Le Voyage d'hiver (ou un interview, je ne sais plus) :

« Il n'y a pas d'échec amoureux. C'est une contradiction dans les termes. Éprouver l'amour est déjà un tel triomphe que l'on pourrait se demander pourquoi l'on veut davantage. »

 C'est fou comme moi qui, en matière d'amour, suis assez nul, me retrouve en accord complet avec ça. Même si l'amour dure trois jours ou un quart d'heure, ça vaut le coup et ça n'est pas un échec. L'échec, c'est un truc de méritocrate – comme le Jugement dernier et toutes ces conneries. Mais je m'égare encore.

Breton, puriste de l'amour, donc - et qui « supporte fort bien la chasteté quand il n'aime pas ». N'ayant par ailleurs rien contre les perversions lorsqu'elles témoignent de « la pierre incandescente de l'inconscient sexuel » et qu'elles se passent entre hétéros. Car, on le sait, l'homophobie de Breton est patente. « Je veux bien faire acte d'obscurantisme en pareil domaine (...) J'accuse les pédérastes de proposer à la tolérance humaine un déficit mental et moral qui tend à s'ériger en système et à paralyser toutes les entreprises que je respecte. » Breton Boutin !

Quant aux bordels, « il rêve de les fermer... parce que ce sont des lieux où tout se paye et aussi quelque chose comme les asiles et les prisons. » Breton Marthe Richard !

En revanche, il n'a rien contre l'onanisme, à condition qu'il soit « accompagné de représentations féminines. » Sacré Dédé !

Tout commence par la sylphide (re-coucou, Chateaubriand !), Aurélia, Aurora, Hérodiade, la danse des voiles – et le musée Gustave Moreau découvert à 16 ans. « La beauté, l'amour, c'est là que j'en ai eu la révélation à travers quelques visages, quelques poses de femmes. Le type de ces femmes m'a probablement caché toutes les autres : c'a été l'envoûtement complet. » 

Suivent les beaux rêves, les espoirs irrationnels, les vœux érotiques pieux.

Celui, avant tout, du succube providentiel :

« Chaque nuit, je laissais grande ouverte la porte de la chambre que j'occupais à l'hôtel dans l'espoir de m'éveiller enfin au côté d'une compagne que je n'eusse pas choisie. » 

Il faut alors se faire sorcier, prêtre, horloger du hasard – susciter la rencontre par un comportement magique, une page choisie au hasard dans un livre, une promenade hasardeuse, donc objective et signifiante pour le meilleur ou pour le pire. Par exemple, un jour, André et Jacqueline se mettent à se disputer brusquement lors d'une promenade qui aurait dû être envoutante. En fait, celle-ci l'a été mais dans un sens négatif. À leur retour, ils apprennent en effet qu'ils sont allés du côté d'une maison où a été commis un crime et que c'est sans doute à cause des mauvaises ondes qui règnent par-là que leur entente en a été altérée. Breton Amityville !

Quoi qu'il en soit, vive l'éternel féminin ! Vive la féminisation de l'univers ! Mais pas au sens féministe, non, au sens féminin, cosmique, mystique. La femme, médiatrice de l'univers, Logos, Pensée –  « Madame Ma Pensée », a-t-il l'habitude de dire. La femme occulte, scabreuse, Sybille. En l'occurrence, Elisa Bindhoff, « la new-yorkaise » (son Elizabeth Craig), rencontrée en 1943, qui sera sa troisième épouse et lui inspirera Arcane 17, ce livre dont tout le monde me parle et que je me réserve ces prochaines semaines.

Bien sûr, on préfère la brune à la blonde – Élisa à Jacqueline.

 

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Elisa Bindhoff

 

7 – Objets méchants

L'amour fou des objets.

Eux aussi, clefs des songes, indices d'ailleurs, traces occultes, plein de mémoire et de magie.

Amour fou, ça va ensemble, des listes, des catalogues, des préfaces – de tout ce qui prépare, conclut ou synthétise.

Comme Diderot au XVIII ème, Baudelaire au XIX ème, Breton est le grand critique d'art de son temps. Alexandrian parle à son sujet de « sommet de la connaissance intuitive » et de « maître de la critique de conversion ». Breton a l'œil sûr. Tant de peintres qu'il a lancés et qui lui rendront grâce, car c'était quelque chose d'être reconnu par cet homme exceptionnel. Mais aussi l'oreille absolue – quand il dévoile la supercherie d'un faux de Rimbaud. (Enfin,  pas en musique où il se révèle plutôt nul.)

À propos, ça veut dire quoi « la beauté convulsive » ?

Ça veut dire cardiaque, chromatique, imprévisible – « bizarre » aurait dit Baudelaire.

En langage bretonien : « explosante-fixe », « magique-circonstancielle », « érotique-voilée ».

La beauté s'offre et se dérobe, paraît et disparaît, explose et se fige, éblouit et s'obscurcit, va et vient, toujours en avance sur nous – un peu comme le Christ après sa résurrection : on ne le reconnaît jamais même après sa dixième réapparition. La beauté procède ainsi : par saccades, accélérations, ralentissements, vitesse et surprise. Il faut être un peu sismographe pour la suivre ou thaumaturge. Avoir le sens de la divination amoureuse. Et Breton, indéniablement, l'avait. Une perception mystique des choses qui faisait que ses admirations allaient de pair avec ses détestations.

Sinon, les objets méchants, voire Joyce Mansour, la domina du groupe. 

 

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9 – Occultisme 

« Tout ce qu'il y a de chancelant, de louche, d'infâme, de souillant et de grotesque passe pour moi dans ce seul mot : Dieu. »

Évidemment, on pourrait lui répondre comme Luther : « tel coeur, tel  dieu ».

Dieu, c'est ce que nous avons en nous – l'enfer, comme dirait l'autre. Mais aussi, peut-être, peut-être, une mini lumière, une étincelle d'amour, quelque chose en tous cas qui n'a rien à voir avec le moral, le social, le contractuel et même nous-mêmes. Dieu devient alors une sorte d'inconnu total, pas forcément si moche et si méchant que nous le pensions au départ. Une sorte de belle forme platonicienne.  Un feu bienveillant qui nous vient, c'est le cas de le dire, Dieu sait d'où. Un « peut-être » aimant. Un « sans conditions » infiniment bon. 

Ce qui est sûr, c'est que plus on en dit du mal, plus on s'en rapproche. C'est pour cela que j'aime naturellement le blasphème et que je méprise naturellement le « croyant » qui commence par s'en offusquer. Le « croyant » (tu parles !) qui est choqué par un blasphème est un pur enc... Je ne sais pas si l'enfer existe (je ne crois pas car cela serait justement trop contractuel) mais je sais que s'il existe, c'est l'offusqué qui y va. Le bigot. Celui qui a brûlé Sade et Lautréamont dans son cœur.

Ma théorie est qu'on aime tous Dieu même quand on l'exècre. Et que si Dieu est amour, il est forcément plus fort que ma pseudo liberté rejetant cet amour. Le péché irrémissible est un fantasme, une contradiction dans les termes, une quadrature du cercle. Alors, oui, Hitler, Staline, Mao, Pol-Poth, Daesh, Fourniret, je sais. Ce sont des mystères.

Donc, Breton traite Dieu de souillure originelle (ce qui n'est pas si faux en termes génétiques) mais, en même temps, écrit dans Au regard des divinités :

« Mon cœur est un coucou pour Dieu ».

Poète qui fait son malin ? Possible. N'empêche que pour un athée marxiste, Breton ne convainc personne. Trotsky lui reprochait déjà de « garder une petite fenêtre ouverte sur l'au-delà ». Breton s'intéresse trop à l'occulte, aux gnostiques et même à Port-Royal (à creuser), pour être un athée honnête. Du reste, qu'est-ce que le hasard objectif sinon une providence comme une autre ? « Dieu, l'autre nom du hasard », disait Jean-Charles Fitoussi dans un de ses films. Tout ça pique le bigot et c'est tant mieux.

Et puis, il y a aussi ces « secours extraordinaires » dont Breton fait une méthode de salut – la recherche du signe, du signifiant, du truc qui fait sens, de la révélation qui lui permettra de sortir d'affaire en cas d'abattement ou de désespoir. Matérialisme peut-être mais matérialisme enchanté (aux extraordinaires « propriétés morales »), réalité de tous les possibles, possibilité de toutes les réalités. Drôle d'athéisme, en vérité !

Sans parler de sa Lettre aux voyantes où il fait l'éloge de la voyance et avoue en fréquenter une depuis longtemps, une certaine Mme Sacco (que consultait aussi Max Ernst.) Attention quand même.  L'important, selon lui, n'est pas que la prédiction se réalise. La prédiction n'est pas un ordre, une certitude, une menace ou une promesse. Non, la prédiction est un déclic pour l'esprit. La prédiction est une occasion de se réinterpréter et de voir ce qu'il convient de faire en dépit de la prédiction elle-même. Comme dans Matrix, l'Oracle dit à Néo des choses qui lui en feront faire d'autres. Les choses ne sont jamais littérales (sauf pour les fanatiques), la parole n'est pas un discours (sauf pour les bigots), la causalité est moins une logique qu'une création et le logicien va au Pays des Merveilles.

Tout fonctionne toujours mais pas comme on le croit. Nietzsche peut rendre chrétien comme l'Église peut rendre athée. Dieu est moins un raisonnement qu'un pari. Dieu est un coup de dés. Par exemple, une voyante peut voir la mort en moi mais la mort peut être un corbeau comme un Phoenix. La mort peut vouloir signifier que c'est ce qu'il y a de mauvais en moi qui va mourir alors que moi, je vais vivre comme jamais. La mort peut signifier l'abandon d'une croyance et la conversion à une autre. La mort peut être un by pass ou une sleeve (déjà un an et deux mois – 66 kilos de perdus, les kilos du diable !)

Bref, il faut s'interpréter. Et accepter de se laisser diviniser, si l'on croit en Dieu (ce qui du reste est un pléonasme puisque croire en Dieu, c'est se laisser diviniser.) Et comme dans le cochon, tout est bon à prendre dans l'espérance. 

« Je sais qu'il y aura toujours une île au loin, tant que je vivrai » - Breton ou la possibilité d'une île. Et moi, d'un corps. 

 

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Moi, avec Pierre March (l'auteur de la La Petite fille qui regardait le Bosphore), chez Guilaine Depis (février 2022)

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Moi au musée (mai 2023)

 

 

10 – L'antipère.

C'est vrai qu'André Breton fait partie de ces auteurs dont on se demande si on les aime par rapport à eux-mêmes, leur personnalité, leur charisme, sinon leur gueule, ou par rapport à leurs œuvres. Pareil avec Léon Bloy, Voltaire, Cyrano, Robbe-Grillet.

Certes, les Manifestes, Nadja, L'Amour fou et Arcane 17 ne sont pas devenus des livres cultes pour rien – et il y a des merveilles dans Clair de terre et Poisson soluble. Cependant, la gueule de Breton, son côté grand seigneur des lettres, autoritaire, royal, solaire, léonin, ne détestant pas la rixe (tout ce qui plaît à la droite, soit dit en passant) ont beaucoup fait pour lui. Comme Gide ou Sartre, il figure l'antipère idéal, soit celui qui revendique des droits plutôt qu'il n'impose des devoirs. Qui apprend à vivre autrement, selon ses propres lois et non selon celles de la cité et de la morale courante. Qui n'a que mépris pour la valeur « travail », persuadé qu'il est, comme Rimbaud, que « la main à plume vaut la main à charrue », ce qui, du reste, n'est pas très communiste, paire de bottes contre Shakespeare, etc. Qui ose écrire que « rien ne sert d'être vivant, le temps qu'on travaille ».

Il est l'infatigable promeneur « qui vous fait flâner en sa compagnie sur les berges de la Seine afin d'admirer le chatoiement du silex » et dont la compagnie est toujours une « aventure de la connaissance ». L'émancipateur qui nous apprend à être un homme dans « toute la pureté possible », hors préjugés sociaux – quoiqu'avec une exigence qui confine à l'ascétisme.

Le surréalisme comme jansénisme.  L'oncle paradoxal et spectral avec qui on est en droit, de se brouiller un jour. Car la brouille fait partie de l'expérience Breton. La rupture est ce qui permet de devenir soi-même. Lui-même le sait mieux que personne et semble inciter les gens à rompre avec lui – à travers des vindictes d'une violence incroyable mais dont l'effet est plus nietzschéen que stalinien.

Statue du commandeur qui bannit, certes, mais sans envoyer en enfer. Au contraire, qui permet d'en sortir, y compris du sien. Bref, un prince de la jeunesse, un héros de notre temps, un homme dont on dira ce que lui-même avait dit d'Apollinaire :

« L'avoir connu passera pour un rare bienfait. Des jeunes gens retrouveront ce mot ingénu : je suis venu trop tard. »

Alors oui, on peut le détester, insister sur son mauvais côté, « en revenir » mais, comme dit Alexandrian, pour y revenir un jour ou l'autre. Ou mieux, pour attendre qu'il revienne lui-même ou arrive enfin (il m'aura fallu 52 ans et 60 kilos de moins pour le découvrir – ce n'est pas non plus un hasard. Breton, nouvel auteur de ma nouvelle vie.) Quelqu'un sans doute d'impossible mais qui avait quelque chose qui n'est pas donné à tout le monde : la générosité.

« Ce que j'ai fait, ce que je n'ai pas fait, je vous le donne. »

 

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ADDENDUM

Et d'abord, ce documentaire historique de 1970, réalisé par Michel Polac et Robert Benayou, avec Julien Gracq, André Pieyre de Mandiargues, Dali, Man Ray, Roberto Matta, Joyce Mansour, Jean-Christophe Averty – et Breton lui-même à table avec des amis mangeant des écrevisses (10') :

PASSAGE BRETON que l'on peut voir ici (vive l'INA !)

 

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Puis ce portrait-souvenir de Philippe Sollers, "aimé des fées" :

MAGIQUE BRETON, ici. 

"L'effet de présence aimantée de Breton était colossal".

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A New York, par Elisa Claro Breton

 

 

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