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Nabe à Orsay (25 janvier 2002)

 

Strindberg Catalogue.jpg


Et voici maintenant cette fameuse rencontre (fameuse pour moi) du 25 janvier 2002 avec Marc-Edouard Nabe venu visiter l'exposition d'Orsay consacré à Strindberg et que j'avais retranscris dans mon journal de l'époque, puis envoyée à lui en courrier privé, avant de la retrouver sur son nouveau site. La voici sur le mien. La boucle est bouclée. Enfin, façon de parler...

 

Vendredi 25 janvier 2002

Et un songe devint la vie !

A Orsay se termine ce dimanche une exposition consacrée à « Strindberg, peintre et photographe ». Elle se déroule dans l'un des trois espaces qui constituent le « secteur U » (en fait trois grandes allées qui entourent la « nef» centrale et qui forment un « U »), lui-même l'un des quinze grands secteurs du musée. Une chance sur quinze donc d'y être, et si on compte qu'on change de secteur après midi, cela ramène la probabilité à une sur trente. Et je passe sur d'autres paramètres (pauses des agents, changements de secteurs inopinés,  rondes improbables, postes fixes probables, pickpockets à traquer, terroristes à raccompagner, groupes d'italiens à calmer) impossibles à décrire pour quelqu'un dénué, comme moi, de tout vocabulaire figuratif et technique. Bref, cet après-midi d'avant week-end, entre 16h et 16h 30, me voilà affalé sur ma chaise à l'entrée de cette expo Strindberg (très belle) dans laquelle je n'avais plus mis les pieds depuis un mois.

Strindberg, Strindberg... L'un des auteurs fétiches de Marc-Edouard Nabe me mets-je à rêver, toujours sous influence de son « Inch'Allah » que j'emporte partout, même en salle de repos pendant mes pauses. Sans doute le plus grand diariste du monde est-il venu un jour visiter cette expo - évidemment le jour où je n'étais pas là. Au fond, ce n'est pas plus mal : une rencontre de moins, c'est dommage, mais une rencontre ratée de moins, c'est heureux. Or, je ne sais pas « rencontrer ». Pas plus qu'aux deux ou trois apéritifs mondains où nous nous sommes déjà croisés, je n'aurais guère su sortir de mon éprouvante réserve s'il était passé. L'autisme, ma routine. Que dire aussi à un écrivain ? Qu'on l'admire et qu'on voudrait être lui ou rien ?

Un type entre en trombe dans l'expo et me réveille de ma torpeur. Petit, brun, en imperméable, une écharpe, des lunettes sur un nez d'aigle, l'air très vif, mi-adolescent mi-Al Pacino, un feu follet. Nom d'un Kairos, ce n'est quand même pas... Au même moment, une fille sculpturale, blonde, grande, éclatante dans sa minijupe rouge vif encombre mon champ de vision et bloque net l'information qui descendait de mon cerveau. Des gens se retournent aussitôt vers elle, déstrindbergisés en un instant, salopisés en un autre et se la lorgnent sans art. A mon tour je me lève non pas tant pour faire bonne figure auprès de la Pamela Anderson (encore que, mon badge à la veste et le talkie walkie à la main, je sois le seul « officiel » à qui elle peut légitimement adresser la parole... pour savoir où sont les chiottes par exemple) que pour revoir mon Michael Corleone en culottes courtes. Le voilà qui s'approche du premier tableau et se penche si près qu'il semble vouloir en renifler la peinture. La fille rouge s'évapore et mon cerveau se réveille. Ce type qui flaire la toile, c'est Marc-Edouard Nabe ! Nabe foutreciel ! auquel le nabophile en moi rêvait depuis cinq minutes ! Vraiment dingue ! Et la fille en rouge, est-ce sa nouvelle pute ? Non, apparemment.

Complètement éberlué, je m'approche de lui, et attends que son regard croise le mien. Il me reconnaît ! Pourtant, nous nous sommes croisés en tout deux heures en deux ans et avons dû «causer» deux minutes... C'est donc vrai ce qu'on dit, il a un Polaroïd à la place des yeux ? Que se passe-t-il en lui au moment où il me tend la main ? Mon dossier passe-t-il en bande informatique devant ses lunettes ? «Indic de Dieu ! (journal intime, tome huit) : Brice de Thet, gland de la bande à Jalons : vu le cent quarante-deuxième jour de l'an 2001 entre minuit et minuit deux, pas au Baron, m 'avait dit que mon « Age du Christ » était mon meilleur livre, qu'en sait-il cet obèse blond qu'a l'air de lire mes oeuvres comme on se branle sur Loanna ? »

Aux Dieux à l'écrit mais gentil, presqu'affable, à l'eau râle, il m'accorde mes cinq minutes d'admiration, m'écoute sans sourciller lui dire qu'il fait « depuis trois ans partie de mon univers », que j'ai « énormément découvert grâce à lui », et semble étonné que j'aie déjà avalé les trois premiers tomes de son Journal (est-il si peu lu que ça ?). Pendant qu'il fera sa visite, j'irai d'ailleurs chercher son «Inch 'Allah » pour qu'il éternise, par une dédicace, ce moment dont je ne crains pas les conséquences funestes dans dix ans. «Les Couilles du Capricorne (journal intime, tome quinze) : 25 janvier 2002. A l'expo Strindberg, dont je ressens le bleu foncé christique et la noirceur angélique mieux que tous ces cultureur sans art, téléramisés jusque dans leurs fientes, je retrouve ce sumo de Brice de Thet qui me dit que je fais partie depuis trois ans de son univers. Ah je me marre ! il a un univers ce mec ? Pauvre jeune vingtièmiste qui croit m 'aimer et me comprendre ! N'aurai-je jamais un lecteur digne de moi bagatelle de merde ?» Evidemment, je ne suis pas capable de faire un parcours sans faute. Le répit que me laisse ma timidité pathologique n'est jamais très long. Il me faut à un moment ou un autre cafouiller. Or, cafouiller devant Nabe qui avale tout cru et rechie tout cuit, c'est fâcheux. Mais c'est parti, hélas !

- Alors, l'expo, elle marche bien ? Des échos ? m'interroge-t-il presque « professionnellement ».

- Ouais non... Enfin quand même un peu, si en fait... Pas mal... réponds-je avec mon air d'incompétent des grands jours.

- Hem... Et le catalogue de l'expo, il est bien ? Vous le conseillez ?

- Ben... C'est-à-dire que j'en sais rien en fait mais il doit être bien ouais ouais..., fais-je entre deux bégaiements et trois hoquets.

Son viseur prend six photos là. Pas de doute ! je suis le vrai bon agent de surveillance qui s'intéresse vachement à la vie de son musée, et qu'est au top de la sensibilité strindbergienne !

Une minute après, c'est à lui de subir une indélicatesse. Sans faire exprès, ma connerie sauvage va se retourner contre lui. On parle de son site Internet.

- Et alors, il fonctionne bien ? qu'est-ce qu'il s'y passe ? me demande-t-il.

- Oh il est très bien, réponds-je avec enthousiasme (car ça au moins c'est mon rayon), de belles photos de vous et de votre clan, vos dessins, vos références, très bien... Bon, y a aussi le forum...

- Oui, le forum ?

- Ben le forum c'est le forum si vous voulez !

-.....

- Ce qui m'amuse, c'est qu'on l'a appelé «forum modéré» le forum, parce qu'avant écrivaient trop de gens bizarres, plutôt extrémistes et qui laissaient des trucs heu « immodérés »... Enfin vous voyez ? Donc il a fallu, je suppose, un peu le « censurer» car (et là, grandiose, oubliant toute retenue, oubliant à qui je m'adresse) comme d'habitude, vous drainez autour de vous n'importe qui n 'importe quoi ! ! !

Trente-six photos d'un coup ! Je l'entends déjà me scalper dans son Journal : « ... une race à gazer ces lecteurs ! Est-ce ma faute à moi si des fous furieux viennent vomir leur vide boulimique d'intégristes désintégrés ? Comme le Christ, je dois remonter le Golgotha de mes admirateurs et subir les clous de leur triste zèle, fades chiures de mon anus stellaire ! « Quoi » que je draine autour de moi ? En l'occurrence toi, connard ! »

En attendant, le voilà qui me signe «Inch 'Allah ». Belle dédicace à laquelle il s'applique si soigneusement que j'ai l'impression qu'il l'apprend par coeur afin de l'archiver ! Monstre de surveillance, génie mouchard, inquisiteur mondain, il aurait fait un bon gardien de musée finalement.

«Pour Pierre, en souvenir futur [plutôt glaçant comme promesse, mais bah ! d'ici là quelqu'un l'aura flingué] d'une rencontre chez le peintre Strindberg, cet « Inch'Allah », tourmenté lui aussi, son visiteur Marc-Edouard Nabe, 25 janvier 2002 (conversion de Saint Paul). »

Voilà : nous nous serrons la main. Je suis ému et ravi de ce « hasard objectif », comme dirait Manon, qui m'a fait côtoyer le seul écrivain vivant dont j'emporte les livres sur l'île déserte. Bien entendu, je conclus fort mal notre rencontre par un niaisissime « bon courage dans votre combat contre tous ceux qui vous haïssent» alors qu'à Nabe il aurait plutôt fallu dire : « bon courage dans votre combat contre tous ceux qui vous aiment » et même « bon courage dans votre combat contre tous ceux que vous aimez. »

 

Nabe, Rome, devant Brancusi Modigliani.jpg
Nabe à Rome, exposition "Brancusi, Modigliani" (photo tirée de son site)

 

 

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