Les transgenres, une transition?
Puisque tout se passe aujourd’hui sur les réseaux sociaux, je vais me permettre de rapporter, avec bien entendu son autorisation, une conversation tirée du mur Facebook de Sophie Bachat qui me semble on ne peut plus représentative des clivages idéologiques qui animent notre société, sinon ceux qui se révèlent au sein d’un même camp, l’époque étant à la schizophrénie du « en même temps ».
Dans un post à la furibonderie goguenarde, typique de notre causeuse préférée, celle-ci avouait qu’elle « n’en pouvait plus » de « la question trans » depuis que celle-ci était au centre de tous les débats, phénomène lui semblant à elle « le plus inquiétant du grand carnaval transhumain ». Et à voir tous ces enfants qui viennent expliquer à la télévision comment ils ne se sont jamais sentis de leur sexe mais de l’autre, on aurait tendance à réagir comme Elisabeth Roudinesco chez Yann Barthès et à vociférer que cette « épidémie de transgenres » commence à bien faire, qu’un enfant de huit ans « n’est pas habilité » à changer d’identité et qu’à son âge une panoplie de Batman devrait lui suffire – qu’il soit garçon ou fille, l’héroïsation étant pour le coup unisexe [Encore qu’une panoplie de Catwoman conviendrait mieux à une fille qu’à un garçon, je dis ça, je dis rien.] Bien sûr, ce post fit réagir nombre de ses suiveurs, réacs sans humour, ironistes grinçants, lacaniens phallocrates (pléonasme), mais aussi, et plus intéressant, le post-moderne inclusif de service, avocat performant de toutes les singularités et de toutes les nouvelles suprématies du moment qu’elles soient « victimes », stoïcien de la transhumanité, notre ami JB.
Celui-ci argua non sans justesse que ceux « qui n’en peuvent plus » des trans sont les mêmes qui, il y a trente ans, n’en pouvaient plus des homos – et par extension, tout comme ceux qui s’époumonaient contre l’avortement dans les années 60 étaient les mêmes qui gueulaient contre le divorce au XIX ème siècle, l’histoire des luttes sociétales fonctionnant comme un invariant historique, chaque minorité revendicatrice étant par définition insupportable au monde qui l’entoure. En Terminator du progressisme, JB pouvait tenir la dragée haute à Sophie – d’autant que celle-ci ne sut quoi répondre, piégée entre sa gauche libertaire, héritée des années 70, et son ras-le-bol néo-conservateur, contradiction attachante qui me semble le propre de Causeur. Elle eut beau rétorquer que sa liberté de mœurs « n’avait aucune limite » (chouette !) et préciser que ce qui l’horripilait dans ces revendications était qu’elles cherchaient moins à vivre qu’à institutionnaliser des marginalités, l’impitoyable millenial ne voulut rien entendre. Toute Sex Pistol et Ziggy Startust qu’elle était, Sophie Bachat était aujourd’hui une méchante réac s’en prenant à des gens qu’elle aurait dû défendre.
Voir ma si rock-and-roll camarade en difficulté devant cet Y de JB me donna une magnifique occasion d’être le chevalier blanc de celle-ci. Et c’est ainsi que je m’invitai dans le débat tagada tagada. L’idée était de défendre l’honneur de la Bachat sans pour autant contredire JB – puisque fondamentalement, c’est lui qui avait raison – et pour cela démontrer que tous les deux n’étaient pas sur le même terrain. La vérité est que JB avait réagi politiquement et moralement à ce qui n’était au fond qu’une mauvaise humeur très compréhensible de Sophie et qui aurait pu être la mienne. Car oui, je le confesse, les transgenres de huit ans qui vont expliquer la vie à la télé, sous le regard énamouré de leur maman, toute fière d’avoir un enfant tellement en avance sur son sexe, me gonflaient tout autant qu’elle.
Mais au bout du compte, qu’allions-nous faire contre eux ? Rien, bien sûr. Notre mauvaise humeur ne saurait jamais se transformer en « procédure ». On se contenterait d’aboyer sans mordre et de laisser passer – et peut-être plus rapidement que prévu. Mieux, ceux qu’on finirait par mordre seraient, contre toute attente, les opposants réels au processus transgenre – un peu comme ces militants anti-avortement qui attaquent les cliniques où l’on pratique l’IVG et qui finissent par faire plus horreur que l’acte lui-même. Curieuse propension que beaucoup d’entre nous ont à se retourner contre des gens avec qui on était philosophiquement d’accord mais dont l’acharnement moral et pénal nous dégoûte tellement qu’elle finit par nous faire prendre parti pour une cause qui, c’est le moins qu’on puisse dire, ne nous enthousiasmait guère au début. Je dois l’avouer : les transgenres me cassent les couilles mais les hétéros-catho graves m’insupportent mille fois plus. Je préfère le délire sociétal à l’interdiction obscurantiste. Et puis, si l’humanité trouve son bonheur dans la transhumanité, qui suis-je pour m’y opposer ? Quelle objection sérieuse émettre à l’abjection néo-libérale dans laquelle notre JB se sent si à l’aise et qui fondamentalement n’est que la résultante de cette période que nous avons appelée « la parenthèse enchantée » ? Car hélas oui, ma chère Sophie, il faut s’y résoudre, Ultra Vomit trouve aussi son origine dans Iron Maiden (et la chanson Une souris verte, il est vrai.) La nouvelle pédophilie cliniquement organisée (car comment appeler autrement ce blanc-seing accordé aux enfants qui veulent changer de sexe ?) est la suite logique de l’ancienne pédophilie des années 70. Les Matzneff d’aujourd’hui sont ceux qui disent aux enfants : « tu as raison mon lapin, on va t’opérer tout comme tu veux et après on ira à Disneyland. »
Eh bien que la nouvelle humanité se castre puisque c’est ça qui l’éclate ! Mais à condition bien sûr qu’elle ne vienne pas nous castrer nous aussi, nous effacer, nous déboulonner, nous censurer, nous réécrire. Au fond, ce que nous reprochons d’abord aux Frankenstein et aux freaks du nouveau monde, c’est de vouloir cancelliser le nôtre.
C’est notre paradoxe à nous néo-conservateurs, notre libéralisme « vieux jeu » finira par céder devant le néo-libéralisme androïd. La mort dans l’âme, nous verrons nos enfants et petits-enfants en finir avec l’âme et la mort – comme ils sont en train d’en finir avec le sexué, l’humour, Beethoven et Scarlett O’Hara. De toute façon, tout ce qui est techniquement faisable se fera. Tout ce qui est vendable sera conçu. Le néo-libéralisme s’inventera de nouveaux droits de l’iel et personne, à part les islamistes, n’y pourra rien. Car c’est aussi cela le drame : les seuls qui s’opposent aujourd’hui, sérieusement, moralement, politiquement, et avec une rare efficacité, aux nouveaux paradigmes sont nos premiers ennemis. Les seuls qui peuvent empêcher nos castrations sont les décapiteurs. Contre les désintégrés, les intégristes. Contre l’homme augmenté, les sous-hommes. Contre le post-monde, l’immonde. Mais si l’on doit choisir entre eux, comme dirait Raphaël Enthoven, eh bien on choisira les premiers, dussions-nous en avoir mal au cul. Parce que voilà, nous préfèrerons toujours notre société décadente et déconstruite à celle, totalitaire et sanguinaire, des fils d’Allah. Nous préfèrerons toujours notre nihilisme passif et polymorphe à leur nihilisme de bourreau moyenâgeux. Nous préfèrerons toujours vivre dans notre Satyricon que dans leur Daesh. Mieux vaut sacrifier des enfants à leurs caprices plutôt que les marier de force à des barbus. D’ailleurs qui sait ? Rien ne dit que les transgenres n’en reviennent pas un jour de leur genritude et peut-être même ultra-traumatisés par des choix infantiles qu’on leur aura laissé faire. Mais quoi ? Il faut bien que détresse se passe…