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Vie et vérité (Nietzsche II)

medium_grecs_luttant.2.jpgL'important, c'est la tonalité. La teinte personnelle. Qu'importe l'objectivité de la pensée pourvu que celle-ci nous fasse penser, nous. On ne lit pas Nietzche pour ce qu'il dit mais pour ce qu'il nous fait dire. Comme dirait Deleuze, impossible de lui faire un enfant dans le dos à celui-là, c'est lui qui nous en fait. C'est lui qui nous accouche ou qui nous encule. Deviens ce que tu es. Sois ce que tu veux vraiment. La vérité se trouve non dans l'idée mais dans la personnalité. "Je ne veux extraire de chaque système que ce point qui est UN FRAGMENT DE PERSONNALITE et appartient à cette part d'irréfutable et d'indiscutable que l'histoire se doit de préserver." dit-il au tout début de La philosophie à l'époque tragique des Grecs. Propos leibnizien s'il en est car ce fragment de personnalité n'est rien d'autre que la partie claire que chacun de nous a sur le monde. Cette partie claire, c'est le corps. La grande raison du corps. La conscience du corps grâce à laquelle la majorité d'entre nous ne se suicide pas - car, comme il le dit quelque part dans les posthumes, s' il n'y avait que l'âme pour nous guider, l'humanité aurait péri depuis longtemps. Tant qu'il y a du corps, il y a de l'espoir, du désir - de la possibilité. La vérité est que, même clonés, nos pores réclament du contact. « La peau fragile, glabre, mal irriguée des humains ressentait affreusement le vide des caresses. Une meilleure circulation des vaisseaux sanguins cutanés, une légère diminution de la sensibilité des fibres nerveuses de type L ont permis, dès les premières générations néohumaines, de diminuer les souffrances liées à l’absence de contact. Il reste que j’envisagerais difficilement de vivre une journée entière sans passer ma main dans le pelage de Fox, sans ressentir la chaleur de son petit corps aimant. » dit Daniel1, nietzschéen malgré lui. Lui aussi veut la vie, tout redupliqué qu'il est.

Anti-nietzschéen, moi ? Comment pourrais-je me passer de celui dont "la tâche consiste à mettre en lumière ce que nous serons obligés d'aimer et de vénérer toujours, et qu'aucune connaissance ultérieure ne pourra nous ravir : le grand homme." ? Ne pas être sensible aux grands hommes, c'est se faire justice à soi-même. Reprenons, je dis admirer Nietzsche et en même temps, j'éructe contre lui. Quelque chose en moi ne peut le supporter. C'est vrai, je trouve son ton de pauvre type hargneux qui se force à la joie proprement obscène. Son rire est affecté, sa danse est compulsive, son innocence une misérable posture. Tout en lui se force, se fait violence.  Il fait penser à ce vieillard pathétique du Plaisir de Max Ophuls qui met un masque pour cacher son visage avant d'aller faire la noce, et qui se met à danser avec une telle frénésie qu'il en a un attaque et s'écroule par terre. En vérité, il n'y a pas plus complexé et frustré que ce zouave de Nietzsche. Et ce n'est pas tant à sa biographie que je pense (même si j'ai cité la fameuse lettre où il avoue "mépriser la vie") qu'au ton employé dans ses livres. Prenez Marc-Aurèle, Montaigne, Spinoza, ou même Saint Thomas d'Aquin et vous verrez ce que c'est vraiment l'innocence et la béatitude. Alors que Nietzsche ! Cioran a raison de dire que lorsqu'il se mit à la description des esclaves, il n'eut qu'à puiser en lui. Sa grandeur est qu'il n'en est pas resté à lui. L'on disait qu'il n'était pas convaincant en tant que surhomme, qu'est-ce qu'il l'est en revanche en tant que psychologue ! A travers lui, c'est nous qu'il éviscère. Qui ne s'est pas reconnu dans le faible la première fois qu'il a lu la Généalogie de la morale ? Le livre le plus choquant de ma vie ! Moi si faussement doux, sournois, méfiant, craintif, agneau pervers, qu'est-ce que j'ai pris dans la gueule ! Il fallait bien que je lui rende la pareille un jour ! Mais j'ai retenu la leçon. Je crois même que je suis le plus nietzchéen d'entre nous. Or, c'est cela qui est énervant chez mes confrères et consoeurs, cette propension à ne pas comprendre que leur idole soit d'abord un malade qui s'ausculte, un malade d'une effrayante lucidité sur la maladie, et qui la noblesse de ne jamais oublier le sens de la santé. Un malade qui pense sainement, tel fut cet Homme. Or, le sentiment que donnent les nietzschéens (décidément !), mon cher Clément Rosset en tête, c'est de passer outre le stade de la maladie et de la faiblesse, c'est de n'entendre que "joie, force, danse" et d'aller tranquillement compter fleurette en pensant que la vie est belle, les imbéciles... De ce philosophe qui a dit qu'il fallait être "superficiel par profondeur", les disciples se révèlent superficiels par superficialité (comme d'ailleurs ils répètent à tout va qu'ils sont dionysiaques, dionysiaques, dionysiaques, laissant tomber l'apollinisme sans lequel le dionysisme ne vaut rien et n'est qu'un bordel incontinent.) C'est en effet, cette dissension qu'il porte en lui, cette fêlure, je n'ose pas dire sa croix, qui le rend si grand et si génial. Génial, car blessé de partout comme il l'est, il pénètre tous les problèmes, perce toutes les énigmes, fait voler en éclat toutes les idoles - et ce faisant se conduit comme le super inquisiteur qu'il est censé combattre... Un vrai barbare n'aurait cure des idoles. Un vrai barbare affirme tout ce qu'il lui donne de la force, idoles comprises si c'est le cas.

En voilà un sacré de problème nietzchéen. Comment affirmer la vie et la vérité en même temps ? Comment allier la volonté de puissance qui ne pense qu'à se satisfaire avec la probité intellectuelle qui fait la valeur de la penseé - et qui taraude Nietzsche plus que tout autre philosophe ? D'autant que cette contradiction se double d'une autre, de deux autres : Nietzsche prétend affirmer la vie dans sa totalité, mais distingue celle, supérieure mais solitaire, des êtres d'exceptions, et celle, inférieure mais grégaire, de la masse - ce qui déjà ne va pas de soi, vu qu'on peut dire qu'il y a plus de vie chez les insectes que chez les lions. De plus, il prétend combattre les illusions, et à coups de marteau, mais prône les illusions vitales qui protègent du ressentiment, telles les illusions artistiques, comme la musique "sans laquelle la vie serait une erreur". S'il y avait une formule qui résume toutes ses contradictions, c'est bien celle-là. Entre la vie telle qu'elle est, c'est-à-dire disharmonique,  guère mélodieuse et à laquelle le dodécaphonisme pourrait à la limite convenir, et la musique, art hypnotique par excellence et qui à son époque prend avec Wagner une dimension de transe nationalo-pagano-bouddhiquo-chrétienne, il faut choisir. Et encore une fois, il est tiraillé entre sa volonté de santé - Carmen ! et sa nature de malade - Parsifal ! Comme il a dû souffrir de vouloir préférer l'un à l'autre, pour des raisons philosophiques, alors que tout son être, tous ses fibres, j'allais dire toute son âme, éjaculaient à Parsifal ! "J'admire cette oeuvre, je voudrais l'avoir faite. A défaut, je la comprends..." écrit-il dans Le cas Wagner. Mais non, il faut qu'il se retienne d'en faire l'apologie, il faut qu'il se réfugie dans Bizet, le tragique vivifiant, le méditérranéen, le léger sanglant ! Pauvre Nietzsche, vraiment ! Etre à ce point si peu nietzschéen ! C'est comme si dans son for intérieur, le Stalker préférait Amélie Nothomb à Maurice Dantec, vous imaginez l'angoisse ?

Comble d'infortune : Nietzsche l'anti-platonicien se voit dans l'obligation d'être platonicien avec Wagner. Lui qui met la musique au dessus de tout doit bannir de sa sphère le plus grand musicien de son temps. Drame des philosophes qui attendent toujours des artistes (ou des politiques) qui rendraient grâce à leurs systèmes et qui ne tombent jamais que sur des fâcheux ou des douteux. Pyrrhon avec Alexandre. Platon avec Denys l'ancien. Hegel avec Napoléon. Heidegger avec Hitler (oui, je sais, c'est plus compliqué que ça) - l'histoire de la séduction qu'ont exercé les tyrans sur les philosophes serait à écrire. En tous cas, pour Nietzsche, c'est un désastre. Une fois de plus, il doit abandonner celui en qu'il avait mis tout son espoir et promouvoir ce qu'il ne peut s'empêcher de déconsidérer - exactement comme le Wotan de la Walkyrie qui chante douloureusement à Brunnehilde son destin de dieu complètement bloqué par ses contrat : "moi qui suis condamné à perdre ce que j'aime, à détruire ce que j'adore" - et à faire triompher ce que je méprise" aurait-on envie de rajouter.

Tant pis, l'essentiel est cette netteté avec soi. Penser avec soi contre soi. La vérité est qu'il faut mettre sa personnalité en jeu. C'est dans la joute, si chère aux Grecs, que nous pouvons être innocemment cruels. L'Eris permet d'être féroce sans faire mal - je veux dire, sans nuire personnellement. Au diable les blessures d'amour propre ! Il faut apprendre à être invexable. Avide même, voire envieux, mais d'une envie active, qui excite l'action. "Le Grec est envieux et ressent ce trait non comme un défaut, mais comme l'influence d'une divinité bienfaisante" écrit-il encore dans ce petit texte épatant qu'est La joute chez Homère. Est-ce à dire que Nietzche promeut la suprématie d'un seul ? Jamais de la vie ! L'idée est que les génies soient en surnombre et s'excitent mutuellement et réciproquement "dans les limites de la juste mesure". Apollon encore. "...le coeur de l'idée grecque de la joute [est] qu'elle exècre la suprématie d'un seul et redoute ses dangers ; comme moyen de protection contre le génie, elle exige... un second génie." Alors oui, se battre, mais sans se haïr. Et ne faire triompher que les vérités qui servent la vie. Tel est le grand style.

 

 

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Commentaires

  • Et votre musique, c'est laquelle ?
    Y'en a-t-il une que vous execrez ?

    Je ne connais pas vos danseurs superfico-superficiels; mais je peux m'imaginer danser avec bien des degrés de pudeurs, être joyeux avec bien des degrés de bile, être fort avec bien des manières de détourner le regard. Berf, d'aimer son destin avec bien des styles.

    Martin intéressé.

  • Je me demande si Nietzsche ne s’est pas trompé dans sa vision du paganisme, notamment de Dionysos, dont il interprète le culte comme une sorte de jeu et de joie permanents. Or, il néglige la dimension obscure de ce Dieu, comme le montre René Girard :

    « En réalité, loin d’être ludiques, les divinités archaïques et païennes sont funèbres. Avant de trop faire confiance à Nietzsche, notre époque aurait dû méditer l’un des mots les plus fulgurants d’Héraclite : "Dionysos, c’est la même chose que Hadès." Dionysos, en somme, c’est la même chose que l’enfer, la même chose que Satan, la même chose que la mort, la même chose que le lynchage. C’est le mimétisme violent dans ce qu’il a de plus destructeur. » (Je vois Satan tomber comme l’éclair)

    Certes, Nietzsche est sensible à l’aspect tragique de ce Dieu, à sa dimension potentiellement destructrice pour l’ordre social, et en cela il a renouvelé notre compréhension du monde grec. Mais il n’évoque pas l’aspect cruel de Dionysos, le rite du pharmakos, c’est-à-dire l’immolation d’une victime humaine lors des fêtes en son honneur, afin de purifier la cité de la violence, dont Dionysos est lui-même responsable. Il est le Dieu du désordre et du retour à l’ordre grâce au sacrifice d’un bouc émissaire.

    Curieusement, les apologistes du paganisme éludent cet aspect de la religion grecque, qui montre la supériorité du christianisme, pour lequel le bouc émissaire est innocent. Le sacrifice de Jésus-Christ doit se comprendre comme la mort de l’ultime victime innocente, afin de sauver tous les hommes et purger le monde du mimétisme violent et destructeur. Tous ceux qui dénigrent le christianisme oublient que sans cette religion le monde est voué à l’autodestruction et au massacre, comme le nazisme et le communisme l’ont amplement démontré. La Shoah, c’est un sacrifice humain moderne, avec tout le côté technique et économique, qui n’existait pas sous l’Antiquité. Voilà de quoi faire perdre au paganisme l’innocence que certains auraient aimé conserver.

    En même temps, Nietzsche découvre une vérité surprenante, c’est que la passion dyonisiaque et la passion du Christ sont semblables :

    « Dionysos contre le "crucifié" : la voici bien, l’opposition. Ce n’est pas une différence quant au martyre — mais celui-ci a un sens différent. La vie même, son éternelle fécondité, son éternel retour, détermine le tourment, la destruction, la volonté d’anéantir. Dans l’autre cas, la souffrance, le "crucifié" en tant qu’il est "innocent", sert d’argument contre cette vie, de formule de sa condamnation. » (fragment posthume, cité par Girard)

    Que dans cette opposition entre Dionysos et Jésus-Christ, Nietzsche prenne le parti du bourreau plutôt que celui de la victime, au nom de la vie et de son éternelle innocence, montre bien l’aspect dérangé de sa philosophie. Si un grec avait lu "La Naissance de la tragédie", nul doute qu’il aurait pronostiqué la folie de son auteur. Les Grecs avaient un certain respect de la raison, que Nietzsche ne cesse de brocarder, à travers la figure de Socrate en particulier. Comme tu dis, Montalte, sans apollinisme, le dionysisme n’est que pure et simple barbarie.

  • Cher Montalte, il est toujours plaisant de vous lire, même si vous pourriez vous dispenser de certaines libertés prises avec la langue surveillée qui ne vont ni à l’homme d’esprit ni au chrétien que vous êtes (franchement, attendre de Nietzsche qu’il nous sodomise, est-ce bien sérieux ? Est-ce bien digne de vous ?).

    Vous le connaissez bien votre Nietzsche, mais il n’est que le vôtre. Soyons juste, pas complètement. Le Nietzsche qui pense contre lui-même n’est pas de votre invention : il est psychologiquement le Nietzsche authentique qui s’oppose à sa représentation, y compris son auto-représentation. Mais après tout, l’homme malade n’est-il pas mieux placé pour parler de la santé que l’homme en bonne santé ? Que sait cet homme-ci de la santé qui n’a pas besoin de penser ? En est-il seulement ? Il suffit de lire les grands écrivains, certains philosophes même pour en douter. Vous le sentez bien, la maladie de Nietzsche n’est pas un argument contre sa pensée. Le miracle nietzschéen au contraire est dans ce retournement de la mauvaise santé en bonne. Et quelle santé dans le seul Gai savoir !

    La question de l’apollinisme chez Nietzsche est une autre affaire. Vous proposez une hypothèse, qui peut avoir son bien-fondé, d’un apollinisme qui secrètement équilibrerait le dionysisme du dernier Nietzsche. L’hypothèse est intéressante, mais elle reste à démontrer. L’apollinisme tel qu’on le trouve chez le premier Nietzsche (celui de la Naissance de la tragédie) a bel et bien disparu dans le second ou dernier Nietzsche (celui des Fragments posthumes notamment). Alors certes, on peut toujours le voir où il n’est pas dit comme dans cette belle défense de l’idée européenne, une manière d’harmonie apollinienne (toute allusion à… serait purement fortuite), qu’il fait ultimement. Mais c’est être dans l’interprétation, non dans la littéralité ni même dans l’affirmation nietzschéenne.

    La question des rapports entre Nietzsche et Wagner est moins incertaine. Mais dire cela, c’est prendre le risque de vous donner raison (définitivement) sur le point précédent. A l’évidence, la rupture est une désamitié qui n’a pas que des raisons philosophiques. N’évoquons même pas la jalousie dont Cosima serait l’objet. Lorsque Nietzsche, après la rupture, tape comme un sourd (à sa musique) contre Wagner, d’une manière compulsive, obsessionnelle, on n’y croit qu’à moitié. Quand il préfère à la lourdeur mélodramatique de la Tétralogie la gaieté tragique de Carmen, on sourit sans pouvoir oublier un certain contexte biographique. Mais au fond des choses, la musique de Wagner correspond t-elle mieux à la philosophie nietzschéenne que la musique de Bizet ? C’est affaire d’appréciation. Au premier degré, la correspondance est évidente entre Bizet et la gaya scienza. Au second degré, il paraît tout aussi évident que Nietzsche n’a tout à fait oublié ni Wagner ni Schopenhauer…

    La découverte des moralistes français n’a pas effacé chez Nietzsche le sentiment d’appartenir à la culture germanique. Les Fragments posthumes témoignent de cette mémoire-là. Nietzsche qui a découvert le grand midi comme les peintres romantiques allemands l’Italie est un amoureux déçu de l’Allemagne. C’est pourquoi, sans l’abandonner complètement, il élargit son horizon à la France, à l’Italie et finalement à l’Europe. Deux motifs s’entrelacent ici : le motif politique et le motif philosophique. Le philosophe célèbre la vie et la lumière, l’homme n’oublie pas les brumes d’où il vient…

  • A vrai dire, cher Ulhan, j'emprunte "l'enculage" nietzschéen à Gilles Deleuze lui-même dans Pourparlers. IL va d'ailleurs bcp plus loin dans le blasphème puisqu'il le compare aussi à une immaculée conception (en quoi, il confond honteusement, comme tout un chacun, la virginité de Marie et sa conception immaculée, à elle, vous me suivez ?)
    Cela dit, et n'en déplaise à Deleuze et à moi-même sur ses pas, Nieztsche nous viole autant qu'on l'a violé. La récupération nazie bien entendu.

    Pour le reste, rien à ajouter à vos commentaires puisqu'en dépit qu'ils en aient, ils rejoignent les miens.

    Au fond, ce qui m'étonne le plus chez les "nietzschéens", c'est leur candeur, leur candeur universitaire. On leur a appris que Nietzsche était un costaud sans peur et sans reproches, ils le répètent benoîtement, comme s'ils ne l'avaient pas intériorisé. Car Nietzsche est un auteur qui nous travaille, qui nous charcute, et qu'il faut sentir de l'intérieur. Lui-même prévenait qu'il ne fallait pas être son "disciple". Non, il faut le prendre tel qu'il est, mais aussi tel que l'on est. Voir l'effet qu'il produit en nous. Je le répète, je me suis senti agressé la première fois que je l'ai lu - je me suis senti dans la peau du faible et non dans celle du fort ou de Zarathoustra. Je trouvais indignes toutes ces choses qu'il disait - et puis, je me suis rendu compte qu'il n'était que dans la vérité, celle que l'on ne peut supporter pour soi, et qu'être dénoncé par lui ne pourrait me faire que du bien. Mais ces nietzchéens ! Ils lisent "surhomme" et se disent : "putain, c'est exactement moi, ça" - autant lire l'Evangile et se dire "Ouah, ce Christ, j'aurais fait comme lui moi aussi !". D'ailleurs, l'Evangile est aussi une lecture insoutenable. On se dit "mais c'est quoi ce mec qui me fait penser que je l'aurais renié, trahi, maudit ?"

    Cher Sébastien, oui en effet, le paganisme n'a rien de cette grande fête innocente que l'on s'imagine parfois, pas plus que le monde antique n'était plus "libre" que le monde chrétien. C'est même évidemment le contraire. Si Jean-Claude Guillebaud a écrit un seul livre intéressant dans sa vie, c'est bien La tyrannie du plaisir dans lequel il déboulonne les idoles païennes...

    Je suis ravi de vous intéresser Martin Seller. La musique que j'excècre ? le rapp, le R&B, et je dois bien l'avouer presque toute la pop, le rock sauf de rares exceptions... Celle qui est la mienne ? Eh bien, les opéras de Mozart et de Wagner en premier lieu. D'ailleurs, ce n'est pas la "mienne".

  • Moi Nietzsche je l'ai pris dans l'estomac à 20 ans comme ma propre pensée se retournant , m'affrontant : je me suis relevée , mais ne me suis pas recouchée après . Si on se recouche , mieux vaut jeter Nietzsche par la fenêtre : il ne peut qu'aggraver autrement la mauvaise conscience . Vos notes sont éloquentes à ce sujet Cormary . Et intelligentes .

  • Quand je demandais quelle était votre musique et laquelle vous exécriez, je pensais plutôt à quelque chose dans la musique, votre musique justement. J'attendais peut-être une détermination non conceptuelle pourrait-on dire, mais je ne suis pas sûr.
    Si je peux me permettre, ma musique est celle des tensions "polyrythmiques ". Elle peut être verticalement contrapuntique ou horizontalement syncopée. Je pense par exemple à un Jazzmann nommé Steve Coleman (et son travail avec les rappeurs les Metrics) ou plus classiquement à un Ravel (Concerto pour piano en Sol) ou encore certains travaux de Steve Reich (Tehilim), des éléments de musique Gnawa, ou de Bossa-Nova. Ma musique peut aussi être une texture, un grain électronique vivant. J'aime l'idée qu'une mélodie s'analyse par un rythme et inversement, une note par une gamme, etc. Je pointe les perspectives dans la musique, les dimensions de ses rythmes et peut-être ce qui chez Nietzsche me rappelle le danseur. Celui-ci est à mon sens le virtuose du déséquilibre. Il symétrise, spatialise la musique : ses appuis ne sont que les temps de ces élans chaotiques. A contrario une musique execrable est sans doute celle qui militaire, n'est qu'appuis, glorifications marbrées. Mais là encore, je n'oserai trancher en sourd, car la musique est tout de même ce qui dans n'importe quel concept stylistique surprend par sa nouveauté, ou plutôt par la puissance à laquelle a été élevé une configuration déjà ancienne.

    Si votre cri est la force d'adhésion à la vie, quelle est la nature de cette colle, de cette gravité déchirée ?

  • J'aime cette métaphore du glaive, qui divise et qui donne l'espoir. Claudel avait sans doute en tête la prophétie de Syméon à Marie :

    « Syméon les bénit et dit à Marie, sa mère : "Vois ! cet enfant doit amener la chute et le relèvement d'un grand nombre en Israël ; il doit être un signe en butte à la contradiction, — et toi-même, une épée te transpercera l'âme ! — afin que se révèlent les pensées intimes de bien des cœurs." » (Luc 2,34-35)

    L'épée, c'est la parole de Dieu.

  • "Si je n'aime pas la variété (sans pour autant "l'exécrer" et bien entendu sauf quelques exceptions), y compris la grande, c'est que je la trouve toujours univoque dans l'affect qu'elle provoque. Une chanson de Barbara, aussi "sublime" soit-elle, m'exaspère par son caractère entier, paroles pathétiques-musique pathétique-chant pathétique. Alors qu'un air classique crée deux, trois ou une infinité d'affects en même temps. Une fugue de Bach peut être joyeuse et triste selon votre oreille, voire votre humeur. Un air de Mozart peut être "gai, gai, gai... jusqu'aux larmes" (comme disait Bruno Walter à ses musiciens), etc."

    C'est faux, et c'est une caricature de Barbara (puisque c'est l'exemple choisi) que tu nous proposes là. Je reviens encore d'écouter "à mourir pour mourir", chanson qui me semble exprmer un défi, ou alors est-ce une sérénité, ou même une joie, ou bien un vide existentiel ? Je ne sais pas, c'est tout ça à la fois, ce peut être revigorant ou plombant ou apaisant. Et ce n'est pas la seule : la discographie de Barbara déborde de titres qui sont tout sauf univoques, et même quand elle chante le mal de vivre, elle le chante jusqu'à la joie... ce qui ne l'empêche pas, évidemment, de jouer aussi dans certaines chansons (Nantes, Mon enfance, Drouot ...) sur l'univocité, sur la puissance d'un unique sentiment que l'on fouille, sur le deuil pur, sur la mélancolie nostalgique pure. Et je crois tout de même que les "airs classiques" jouent également sur ce registre, et nous proposent eux aussi parfois la joie pure, ou la folie pure. Bref, je ne suis pas convaincu, et tu me donnes surtout l'impression d'avoir balayé un peu trop rapidement et superficiellement la chanson (tu m'excuseras de ne pas employer le terme "variété" :) ).

    *Celeborn

  • J'ai réussi à acheter HP dès jeudi soir, pour ma fille aînée. J'aurais même pu l'avoir dès le petit matin mais j'ai préféré m'en emparer en la présence de sa future lectrice, histoire de réhausser mon statut paternel.

  • Tu t'es trompé de fil, LP. Harry Potter, c'est la note juste au-dessus.

  • Oui, bon, et bien, cher Celeborn, remplace Barbara par une chanteuse qui irait dans mon sens et contre le tien, et puis voilà !!!

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