La preuve que la liberté existe est que le prisonnier est heureux de quitter sa prison.
La preuve que la liberté n’existe pas est que nous ne choisissons pas notre sexualité.
La preuve que la liberté existe est que je peux choisir entre le bien et le mal.
La preuve que la liberté n’existe pas est que la plupart du temps, et comme le dit Saint Paul, je ne fais pas ce que je veux et je fais ce que je ne veux pas.
La preuve que la liberté existe est que j’ai décidé d’écrire ce texte.
La preuve que la liberté n’existe pas est que j’ai plutôt l’impression que ça écrit en moi. Ca écrit en moi comme ça pense comme ça pisse comme ça saigne. Il y a un corps qui me fait faire des choses, ça je ne peux le nier. Peut-être me donne-t-il une âme. Peut-être cette âme croit-elle en Dieu. Peut-être ce Dieu m’aime-t-Il. Peut-être va-t-Il le prouver en m’envoyant un de ces jours la femme de ma vie. Peut-être aurais-je enfin le plaisir de participer à la Création. Plus je ferais l’amour, plus je rendrais grâce, ça aussi, j’en suis sûr. Pour l’instant, je suis plutôt en enfer – c’est-à-dire en moi-même, sans savoir de qui ou de quoi je suis fait. Et le pire, c’est que vous me dites, car je vous connais, que c’est moi qui l’ai choisi. Si je souffre, ma faute. Si je pleure, ma faute. Si je crève de chagrin, ma faute. Parce que paraît-il j’aurais pu faire autre chose. Parce que je suis « libre » et qu’il ne tient qu’à moi qu’à prendre ma vie en main. Si je suis gros, j’ai qu’à maigrir ! Si je suis malade, j’ai qu’à me soigner ! Si je suis pauvre, j’ai qu’à travailler plus ! Ah la liberté… Combien en avez-vous crucifiés grâce à elle ? C’est drôle, tant que je n’étais pas libre, je ne souffrais pas. Il a suffit d’un quart de seconde pour croire que je l’étais pour qu’une éternité de douleurs me tombe dessus. A moi qui n’avais rien demandé, sauf peut-être de rester dans ce rien réconfortant, Dieu m’a infligé la vie autant que la liberté. Me voilà embarqué dans un corps grotesque avec une âme tordue et lancé dans des situations dont j’ai en plus la responsabilité absolue ! Dieu connaît le nombre de mes cheveux mieux que moi mais c’est moi qui suis responsable de ma gueule et si, comme dit Sartre, à quarante ans ma gueule est une sale gueule, c’est à moi et rien qu’à moi que je la devrais. De ce point de vue, l’existentialisme ne change pas du catholicisme. La vie fait toujours aussi mal et la liberté n’en finit pas de nous coincer.
***
Responsable, responsable, responsable ! Qu’est-ce que l’on a pu m’emmerder avec ça ! Enfant déjà, quand l’on me reprochait quelque chose, j’avais l’impression que l’on parlait à quelqu’un d’autre. C’est que je me sentais totalement étranger à mes actes. C’était lui qui avait fait cette bêtise ou dit ce gros mot mais c’était moi qui devais payer pour lui. Non seulement on me demandait de faire des choses, on me forçait même à les faire, mais en plus il fallait ensuite que cela soit moi qui les accepte et même les revendique ! Le comble, quand ça tournait mal, l’on me disait que c’était ma de faute. Mais ce n’était pas de ma faute du tout, c’était la faute de celui qui m’avait mis dans cette situation-là. Mon père, l’instituteur, mes camarades, les autres, Dieu. Mais moi, je n’étais pas plus responsable de cet acte-là que de celui de ma naissance. J’étais peut-être là, mais je n’avais strictement rien à voir avec tout ça. Je n’ai jamais rien eu à voir avec la vie, c’est ça que l’on n’a jamais compris. La vie ? C’est bon pour les esclaves ! Pas pour moi.
Plus tard, je devais être d’accord avec le marquis de Sade quand il dit qu’il n’y a aucune raison que nous soyons redevables au coup de rein que notre père donna un jour à notre mère. D’ailleurs, j’espère que mon père m’a éjaculé dans la douleur. Quant à ma mère, on a utilisé les forceps pour me faire sortir, c’est dire si j’étais motivé ! Je veux bien admettre que je suis venu à l’existence mais en toute innocence – c’est-à-dire hors de toute volonté personnelle – et il en sera ainsi pour le reste de ma vie. Ma seule liberté, c’est ma nature. Et si ma nature me prédispose à tuer ou à violer, je ne vois pas pourquoi je me retiendrais. Certes, les lois et les châtiments peuvent me dissuader de faire tout ce que j’ai envie mais dans ce cas il ne s’agit pas d’un rapport libre mais bien d’un rapport de force – le seul qui n’ait jamais existé. Ne me cassez donc pas les oreilles avec votre liberté objective et morale. Si je suis « libre », puisque vous y tenez, c’est comme un chat échaudé qui craint l’eau froide. C’est l’instinct qui me fait fuir la douleur et non une réflexion transcendantale sur le bien et le mal. Le châtiment m’aura moins appris la responsabilité que la peur et la ruse - et de ce point de vue-là, j’avoue, il n’est pas inutile. La seule chose que nous avons pour survivre, c’est le mensonge ou la fuite. Une seconde d’honnêteté et vous êtes mort. Je le sais, je suis faible, j’ai toujours été faible. Incapable de me défendre contre les autres, il faut donc apprendre à se cacher, à ne rien laisser paraître, à s’endurcir. Occlumancie totale. Apathie souhaitée. La seule liberté que j’aie, c’est retenir mon être. Agir ? Non, activer ma passivité.
***
Je ne me suis jamais trompé. Dans la vie, il y a les forts et il y a les faibles mais ni les uns ni les autres ne sont responsables de leur état. La volonté, c’est un don, rien de plus. On est volontaire ou velléitaire selon que les fées se soient penchées ou non sur votre berceau. On est actif ou passif comme on est grand ou petit, blond ou brun, gentil ou méchant. On ne peut demander à une force d’être faible ni à une faiblesse d’être forte. La fleur fleurit, la guillotine guillotine, l’homme bande et la vie continue. La liberté n’a été inventée que pour faire croire qu’une guillotine pouvait fleurir et qu’une fleur pouvait guillotiner. Las ! Il suffit de faire un brin de généalogie de la morale avec Nietzsche pour se rendre compte que ce sont les faibles qui ont inventé la conscience pour culpabiliser les forts. Ce sont ces salauds de faibles qui ont dit que l’on était libre, histoire de faire croire aux forts qu’ils auraient pu faire autre chose que de les asservir, eux les faibles. Depuis, on ne peut rien faire sans s’angoisser, c’est-à-dire sans polluer sa nature dans des considérations anti-naturelles. Depuis qu’on m’a dit que j’étais libre, je n’ose plus rien faire.
***
Alors je me venge. Puisque vous m’avez contraint à me reconnaître libre, je vais vous en faire bouffer de la liberté. Liberté, liberté honnie qui fait de ma vie une punition permanente, on va voir si tu auras le dernier mot. Puisque tu as fait en sorte que mon choix devienne mon chagrin, ma souffrance ma faute, ma douleur mon dû, rendons libre, libre jusqu’à la moelle, tout le monde. Eh vous ! Oui, vous qui êtes malade et qui allez bientôt mourir, n’avez-vous pas tout fait pour l’être et pour échapper à vos responsabilités ? La maladie n’est qu’une fuite suprême, vous devriez le savoir. Rien n’échappe à la volonté souveraine, même pas l’héritage génétique. Votre myopathie ou votre mucoviscidose n’est qu’une création de votre être. On se cache dans la maladie comme on se cache sous les jupes de sa mère, voyez Proust, son asthme et sa volonté sournoise de ne pas entrer dans la vie. Si vous êtes épileptique, c’est qu’au fond vous le voulez bien. Fouillez en vous, vous verrez que vos maux vous arrangent. On est cancéreux par paresse, diabétique par caprice, impuissant par indolence. Même dans la voiture qui vous écrase, vous en êtes pour quelque chose. La responsabilité de l’existence est totale, absolue et infinie, c’est vous qui l’avez dit, tirez-en donc les conséquences et ne venez pas pleurnicher. Vos plaintes n’amélioreront ni votre sort ni surtout ceux des autres. Car oui au fait, vous êtes aussi responsable des autres ! Vous êtes aussi responsable de la planète ! Il n’y a pas une famine, une guerre, une catastrophe naturelle où votre responsabilité ne soit pas totalement engagée. Ah si, désolé. Cet enfant qui meurt de faim à dix mille kilomètres de chez vous, c’est à cause de vous. Ce clochard qui gèle derrière la porte de votre immeuble, c’est à cause de vous. Ce type qui se jette du haut de son immeuble, c’est encore à cause de vous. Et cette femme qui se fait violer dans le métro, même si vous ne prenez jamais le métro, vous concerne autant que celui qui l’a violé. Tout le monde est responsable de tout le monde je vous dis. Et chacun est coupable de ce qui lui arrive. Tenez, pour vous rassurer un peu, notre femme violée a aussi sa part de responsabilité dans son viol. Après tout, si elle a choisi le mauvais moment pour passer au mauvais endroit, c’est qu’il y avait bien une raison secrète pour qu’elle le soit. Même l’enfant battu à mort n’est pas totalement innocent et donc mérite ce qui lui arrive. Toute excuse à la souffrance est bidon. Toute circonstance atténuante sera retenue contre vous. C’est que la souffrance est une pénitence - le saviez-vous ? Et celui ou celle qui refusera cette pénitence souffrira dix fois plus. Il n’y a aucune exemption, aucune innocence, aucune injustice. Toute souffrance a un sens. Et si vous vous révoltez contre ce sens, c’est l’enfer immédiat. La souffrance éternelle pour ceux qui n’acceptent pas leur souffrance temporelle, c’est comme ça et c’est bien. Vous êtes religieux ou non ?
Du reste, il faut que les innocents payent pour les coupables. C’est cela le secret de Dieu. La réversibilité des peines et des mérites, telle que l’affirme Joseph de Maistre, est la folie scandaleuse par laquelle Dieu affirme sa prééminence sur nous et assure notre liberté en lui. Rien de méritocrate là-dedans évidemment. Bébés et bourreaux sont au même niveau. La cruauté divine est nécessaire car il n’y a que l’inhumanité qui puisse ouvrir les yeux de l’humanité. La souffrance des enfants force la responsabilité des adultes – et les sauve d’une certaine manière. Un innocent qui périt ramène tant d’âmes perdues que l’on ne peut être contre. La régénération par le sang, voilà la réalité radicale de la liberté. Crucifiez un bébé et admirez le bien que cela va faire autour de vous. Si cela ne suffit pas, crucifiez-en d’autres. Le monde ne s’en portera que mieux après. On les forcera à être libre. On les forcera à être moral. Car la liberté, c’est la morale – mais ça vous l’aviez deviné depuis longtemps non ?
Quant aux bébés, ils iront au paradis.
(S’ils ont été baptisés bien sûr.)
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Vous trouvez cette conception de la liberté un peu « dure », insoutenable, peu épanouissante ? Au moins commencez-vous à comprendre l’effet que la liberté a toujours eu sur moi. Encore un peu et vous ne ferez pas les fiers. Je ne connais pas de méthode plus sûre pour faire comprendre une idée que d’en tirer les conséquences ultimes. Sade procédait ainsi. Que l’on soit partisan de l’ancien régime ou que l’on soit révolutionnaire, catholique ou athée, kantien ou rousseauiste, pacifiste ou belliciste, l’important est de montrer que dans tous les cas cela se termine toujours dans le sang. Et si en plus vous vous croyez libre, on s’empressera de vous dire que ce sang versé est votre fait. Je dois dire que j’adore ça – jouer à être Dieu. Mettre quelqu’un dans les pires situations où il perdra ses parents, sa femme, ses enfants et faire en sorte que cela soit lui le responsable de ces pertes – un peu comme dans Le choix de Sophie de William Styron, vous vous rappelez ? La scène où le nazi demande à Sophie de choisir lequel de ses enfants devra embarquer le train qui mène à Auschwitz. En voilà un choix qu’il est bon ! Tout ce qu’elle a pu se dire pendant l’instant de « réflexion » ! Petit débat intérieur, rapide mais intense. Maternité en contradiction avec elle-même. Qué rigolade ! D’autant que c’est après que l’on intervient, car, croyez-moi, on ne va pas la laisser tranquille tout le reste de sa vie, la mater dolorosa. On fera comme Dieu. On éprouvera sa conscience. On lui torturera l’âme. On lui rappellera sans cesse qu’elle était libre, libre, libre… Faire crever quelqu’un de liberté, ça c’est du grand art. C’est mon art. Au fait, je suis le diable. Je suis le mal. Je suis ce que Dieu permet. Je suis la liberté.
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Diables, démons, surhommes - êtres souverainement libres, sans dieu ni maître, et qui se retrouvent esclaves malheureux d’eux-mêmes. Dans leurs mains, la liberté devient une problématique absurde et suicidaire. Dans Les démons de Dostoïevski, c’est Kirilov qui veut se tuer pour prouver qu’il est libre face à Dieu. « La liberté sera totale quand il sera indifférent de vivre ou de mourir » explique-t-il sans rire à tout le monde. C’est ça, Alexeï Nilytch, et le sexe sera total quand il sera indifférent de baiser ou de ne pas baiser. A la fin, quand le malheureux se flinguera, ce sera autant par mépris de lui-même que par envie de devenir Dieu – l’un allant en fait avec l’autre. L’autodivinisation aboutit toujours à l’autodestruction comme la liberté absolue aboutit au néant.
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Damnation ou néant. Comment ai-je fait pour limiter la liberté à cette alternative ? De quoi veux-je sournoisement me venger ? De ma faiblesse ?
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Il semblerait que les Messieurs de Port-Royal aient trouvé la solution. Dans l’immense (et insoluble) débat entre la Grâce et la Liberté, et qui fut le plus important du XVIIème siècle, l’âme ne trouve sa joie que dans l’acceptation de sa peine. Libres, nous ne le sommes plus que par le souvenir . La liberté n’est qu’une nostalgie de l’être.
En fait, depuis Adam, l’être humain n’est plus dans sa nature pure mais dans sa nature viciée. Notre état est une conséquence du péché originel et rien ne peut nous faire revenir en arrière. Il nous faut donc assumer notre déchéance et espérer que nous serons sauvés malgré tout, sinon malgré nous. La prédestination a ceci d’équivoque que le salut de notre âme ne dépend pas de nous. Voilà qui peut désespérer celui qui croit à la liberté et à l’action humaines – mais voilà qui peut aussi rassurer celui qui n’y croit pas. Si le salut de mon âme ne dépend que de la Grâce de Dieu, je peux vivre dans la panique de n’être pas sauvé autant que dans l’espérance absolue de l’être. En annulant le salut par les œuvres, le jansénisme mortifie ceux qui tiennent à leur autonomie mais réjouit ceux qui ne se remettent qu’en Dieu.
Dans ce dernier cas, la seule liberté qui reste est une liberté de constat. Nous sommes déchus mais nous avons gardé en nous le goût de la béatitude et de la vérité. Comme le dit Pascal dans ses Pensées (édition Sellier) au fragment 164, « nous sentons une image de la vérité et ne possédons que le mensonge » - pensée capitale qui marque à la fois notre grandeur et notre misère. La grandeur de l’homme, et donc sa liberté, est de se reconnaître misérable. « Les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu ; indignes par leur corruption, capables par leur première nature » dit encore Pascal (fragment 690). L’âme se rappelle sa grandeur passée mais ne peut dépasser sa misère présente. Et c’est pourquoi l’ignorance est un péché. Celui qui ne se connaît pas (misérable) est un pécheur qui refuse par orgueil ou par paresse (celle-ci n’étant qu’un orgueil fatigué) de le faire. Si nous ne sommes pas libres de vaincre notre état de péché, nous le sommes en revanche de le connaître. Lorsque Mme de La Fayette fait dire à la Princesse de Clèves, «je suis vaincue et emportée par une inclination qui m’entraîne malgré moi », au moins affirme-t-elle la connaissance que son personnage a de lui-même. La liberté janséniste rejoindrait par là la seule liberté grecque, à savoir la connaissance de soi-même.
D’autant que c’est par cette connaissance de soi-même que l’on en arrive à la connaissance des choses. Peu importe que l’on soit dans la matrice ou non. Penser est d’abord un acte de foi, c’est poser avant toutes choses le « c’est ». Comme le dit encore Pascal, cartésien malgré lui, dans De l’esprit géométrique, « on ne peut entreprendre de définir l’être sans tomber dans cette absurdité : car on ne peut définir un mot sans celui-ci, "c’est". » Inutile donc de se torturer sur la validité de nos premiers principes – arbitraires ou non, nous ne pouvons rien sans eux, même les dénoncer. Voyons d’abord ce que nous pouvons en faire. Plus tard, la Grâce consacrera ces premiers « instincts ».
Pour le reste, inutile de s’acharner à chercher le vrai, nous ne le trouverons pas sans Dieu, et d’ailleurs quand nous serons épuisés par cette recherche vaine, nous pourrons nous reposer en Lui. « Il est bon d’être lassé et fatigué par l’inutile recherche du vrai bien, afin de tendre les bras au Libérateur » conclut Pascal (fragment 524). Ainsi, le libre arbitre dicte moins nos actes que nos pensées, moins nos intentions (toujours mauvaises) que nos intuitions. Je ne suis pas libre de choisir, mais je suis libre de comprendre intellectuellement mon choix. Enfin, la fatigue et la lassitude peuvent faire beaucoup pour le salut de mon âme. Puisque je ne sais que m’abandonner à ce qui me perd, autant m’abandonner à ce qui pourra me sauver. Contre toutes mes inclinations actives et coupables, je peux trouver dans le repos en Dieu l’inclination suprême. A la manière de madame de Clèves, je peux alors renoncer à cet univers brisé, livré aux seuls apparences, abolir « les passions et les engagements du monde » et ne plus penser qu’à l’autre vie. Nous nous abandonnions à nos désirs, nous nous abandonnerons désormais à Dieu – désir suprême. En Lui, tout ne sera que repos, calme et sécurité. La liberté, c’est renoncer au sexuel et au social.
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L’important n’est donc pas tant d’être libre que de se définir libre. Car même si la liberté est un leurre (mais pas plus que la vie ou l’amour), elle nous offre des conditions de possibilité d’existence infiniment plus riches que la « non-liberté ». La liberté est le meilleur des mondes possibles. En elle résident mon intérêt, ma joie et mon salut. Si une seule fois dans mon existence, je pouvais faire ce que je veux et ne pas faire ce que je ne veux pas, je serais content d’être né.
Cet article est paru dans le numéro deux des Carnets de la philosophie, « La liberté est-elle possible ? », de janvier dernier.
Commentaires
Quel tempérament et quelle pose ! A vous lire, on se met à se rire de soi-même, et à la fin on se demande s'il ne valait pas mieux pleurer. Un signe qui ne trompe pas – vous êtes drôle et à fleur de peau.
J'ai voulu flanquer vos métaphores de quelques répliques, la composition d'un discours cohérent me flanquant un franc ennui.
« La liberté ... le prisonnier ... choisir entre le bien et le mal ... je ne fais pas ce que je veux ... ça écrit en moi. »
Liberté de mouvement, liberté métaphysique, liberté du moi, liberté de créer – et tout ça sous un même libellé de « liberté » ? Ce mot est un parasite comme l'est l'« être ».
« Pour l’instant, je suis plutôt en enfer – c’est-à-dire en moi-même, sans savoir de qui ou de quoi je suis fait. »
Ceux qui suivent le conseil de l'oracle delphique, même s'ils s'imaginent être au paradis mental, n'ont aucune chance de réussir même au purgatoire vital. Vous êtes plus honnête ; ce qui vous vaudra quelques cercles de plus.
« C’est drôle, tant que je n’étais pas libre, je ne souffrais pas. »
La liberté se sécrète comme la bile ou la larme ; il n'est pas en notre pouvoir d'en endiguer le flux : vous aviez pris la liberté de ne pas souffrir.
« Il a suffit » - vous avez mentit.
« je suis « libre » comme un chat échaudé qui craint l’eau froide. »
Les soupçonneux portent, généralement, trop de bleus sur la peau (les réponses) et pas assez de rouge au front (les questions).
« La seule chose que nous avons pour survivre, c’est le mensonge ou la fuite. »
Je dirais que ce sont plutôt les seules façons pour vivre ; pour survivre, la vérité et l'habitude suffisent.
« Agir ? Non, activer ma passivité. »
Traitement de la négation très précis ! Puisque les naifs croient pouvoir s'en tirer en désactivant leurs prurits d'action.
« On ne peut demander à une force d’être faible ni à une faiblesse d’être forte. »
Si. En mettant à la force – des contraintes, et en découvrant dans la faiblesse – un moyen de ne pas être un salaud.
« Depuis qu’on m’a dit que j’étais libre, je n’ose plus rien faire. »
Le libre prie, l'esclave travaille. Le compromis nous viendrait de St Bernard : « Il faut prier comme on travaille et travailler comme on prie ».
« Damnation ou néant. Comment ai-je fait pour limiter la liberté à cette alternative ? »
Presque le même choix que tout à l'heure ; cette fois, entre le rouge au front et le gris de l'âme.
« En fait, depuis Adam, l’être humain n’est plus dans sa nature pure mais dans sa nature viciée. »
Ce n'est pas en phylogenèse biblique, mais en ontogenèse rousseauïste que cette vérité est plus manifeste : la pureté de l'intuition se dégradant dans l'innocence de l'invention et se dépravant dans celle du l'intention.
« la seule liberté qui reste est une liberté de constat. »
C'est cela, la modernité : tout est occupé par la réalité, plus de place pour le rêve.
« L’important n’est donc pas tant d’être libre que de se définir libre. »
Oui, être lumineux ne sert à rien, si tu ne sais pas ce qu'est la vraie lumière.
« En elle résident mon intérêt, ma joie et mon salut. »
Où, ici, est la forme, et où est le fond ? Contrairement aux apparences, je ne vois dans le salut et l'intérêt que le fond (négligeable), et dans la joie – la forme (désirable).
Le paradoxe de la liberté réside en ceci: on est libre de choisir, mais on n'est pas libre d'en choisir les paramètres du choix. On me propose des pommes vertes ou rouges. C'est chouettes des pommes vertes ou rouges, je le concède, mais si je veux une pomme bleue, de quel droit peut-on m'en empêcher? Et si en fin de compte je souhaite une banane plutôt qu'une pomme?
On parle de contraintes lorsque les choix sont "bornés" de cette manière. Mais sans ces bornes, le choix n'existe litéralement pas. Et dans un monde sans entraves la liberté est évacuée. C'est à dire évidée de sens.
On ne peut pas vouloir tout et son contraire, on ne peut pas faire un choix et souhaiter les conséquences du choix contraire. La liberté c'est le droit de choisir; c'est surtout le devoir d'accepter les conséquences d'un choix pris sciemment, en pesant et acceptant les paramètres externes (contraintes sociaux, que ce soit la force, la morale ou ce que tu voudras de l'invention humaine) et internes (contraintes physiques et physiologiques inhérentes à la situation: si tu souhaite faire un voyage et une montagne se dresse sur ton chemin, tu peux la contourner, l'escalader ou abandonner ton voyage, mais tu ne peux pas choisir que la montagne n'existe pas).
Bon après tout, je vais prendre un plat de fraises. Jaunes.
Bien à vous
Hawkeye, L'américain volontariste.
« Depuis qu’on m’a dit que j’étais libre, je n’ose plus rien faire. »
Cette phrase m’a fait un bien fou, elle m’a comme… libéré…
La partie de ce texte avec laquelle je suis le plus en accord est sans doute la conclusion :
"L’important n’est donc pas tant d’être libre que de se définir libre. Car même si la liberté est un leurre (mais pas plus que la vie ou l’amour), elle nous offre des conditions de possibilité d’existence infiniment plus riches que la « non-liberté ». La liberté est le meilleur des mondes possibles. En elle résident mon intérêt, ma joie et mon salut. Si une seule fois dans mon existence, je pouvais faire ce que je veux et ne pas faire ce que je ne veux pas, je serais content d’être né."
En effet on peut toujours faire fonctionner le marteau généalogique nietzschéen ou toute la vieille sape sceptique : et je suis d'accord avec la légitimité de la critique de toute philosophie morale qui se présente comme "vérité" : mais justement , rien ne nous empêche de décider qu'en matière de "liberté" , par définition, il n'est plus question ( pour "nous" ) de "vérité" , mais précisément simplement de décision : donc en effet de "définition" : qu'est-ce qui "nous" empêcherait de définir la valeur de la "liberté" comme relevant de notre seule décision ( alors elle-même - par définition - libre ) ?
Pour sortir des habituelles apories de la liberté , dont les controverses philosophiques toujours contradictoirement reprises devraient nous avertir , en bons post-kantiens critiques , qu'il n'y a pas en cette matière de "vérité" possible , il y a pourtant une possibilité toujours ouverte : décider ( librement ... ) que cette question de la liberté relève de la pure ... liberté .
C'est la décision que j' ai moi-même prise ( pour moi-même ) :
Je décide ( par définition "librement" ) qu' il existe au moins un "lieu de ma conscience" , où je "SUIS" libre : celui - là même où je peux poser que le "sens" du mot liberté pour moi ne dépend que de moi : si je peux décider librement de "quelque chose" , c'est précisément de choisir la liberté comme valeur de référence ultime : je décide que , par définition ( je décide de définir le sens du mot "liberté" pour moi-même ), "ma liberté" existe comme liberté pour autant que je décide qu'elle le soit. C'est le "point" auto-positionnel , non pas d'un "cogito" , mais bien d'un "decido" .
Or une telle définition de la liberté auto-posée ( par chaque esprit libre qui choisit librement de la poser ) , PEUT être posée identiquement ( "également" ) , par chaque "esprit libre" : il suffit qu'il en décide ainsi .
La contre-partie logique en est que précisément , chacun ne peut prendre une "telle" décision que pour lui-même et non pas lui accorder une valeur de "vérité" universelle quelconque . En revanche une telle décision , prise par ceux qui la prennent , constitue entre eux , de fait, une communauté morale potentielle, qui POURRAIT , sans contradiction , être universalisée : il n' y aurait pas de contradiction logique à ce que tous les "esprits libres" de tout l' "univers" , "en tout temps et en tout lieu" , fassent ce même choix : Mais rien , absolument rien , par définition , ne les y "oblige" hors eux-mêmes .
Tous les exemples existentiels donnés au sujet d'une "responsabilité" pesante sont ici liés au fait que cette responsabilité est supposée exigée par "autrui" , par un dehors social , "parental" ou autre "autorité" .
Je pose ( pour moi-même : les autres ... font ce qu'ils veulent , et ils peuvent logiquement faire comme moi ... s'ils le veulent ) qu' aucune responsabilité "morale" ne peut désormais être éxigée de moi extérieurement à ma propre libre décision . Certes on pourra éventuellement me "forcer" à tel ou tel comportement ou me "laver le cerveau" pour que je renonce à une telle autonomie de ma volonté , mais aussi longtemps que le "réel" ( qui en tant que réel "passé" ne dépend de la décision de personne ) me donne cette possibilité , rien ne peut "moralement" m'obliger à renoncer à une telle auto-définition de "ma liberté" , puisque je définis "ma liberté" par cette capacité auto-définitionnelle elle-même.
Et cependant , je sais aussi , par la simple structure logique d'une telle définition formelle abstraite , que n'importe quel autre sujet libre pourrait , comme moi , donner de sa propre liberté la "même" libre définition auto-posée que celle que je donne de "ma liberté" .
Il y a donc un point commun possible d' "auto-définition" commune de "La Liberté" , pour tous ceux qui , par leur propre décision personnelle autonome choisissent librement une telle définition : mais en effet , une telle auto-définition de "La Liberté" , ne s'"impose" , par définition ( ! ) , à personne , bien que chacun PUISSE la reprendre à son compte ... s'il en décide ainsi .
Il y a donc ici une nuance importante par rapport à la position sartrienne :
Je ne considère absolument pas que je serais "condamné" à être libre par une quelconque "nature humaine" : la nature et la réalité sociale ou culturelle ( le "réel" en général ) ont rendu "possible" que "je" sois en situation de POUVOIR penser une telle idée de la liberté . Mais précisément , cette idée est telle qu'elle ne peut continuer à exister et se nourrir elle-même en moi-même que pour autant que je choisis librement de la continuer et de la faire vivre : "ma liberté" , par mon libre choix, est aussi simultanément l'idée de la même "Egale Liberté" possible, pour tous ceux ( "esprits libres" ) qui font ce même libre choix .
Rien ne "NouS" condamne à une telle liberté : c'est "NouS" qui la choisissons pour "NouS-MêMeS" .
En revanche , elle rendrait possible une COMMUNE "Déclaration d'identité morale" , comme "reconnaissance réciproque" de tous les "esprits libres" , non pas pour "NouS" conforter dans une "croyance" ou une "illusion" mutuellement entretenue , ou en "garantir" la légitimité : puisque "NouS" n' avons besoin , chacun , que de notre propre liberté personnelle pour auto-entretenir cette idée en "NouS". Mais bien pour éventuellement mieux assurer à partir de cette "Idée" et de cet idéal commun posé , une nouvelle forme de "prise" sur le "Réel" , notamment sur la sphère politique , sociale ou culturelle , non pas bien sûr pour imposer "notre point de vue" à ceux qui ne le partagent pas ( ce serait contraire à notre idéal même ) , mais pour mieux empêcher - si possible dans le "réel" - que ceux qui font des choix contraires aux nôtres ne "NouS" imposent les leurs .
Tous ceux donc qui - librement - décident que , comme il est dit dans la conclusion de Pierre Cormary , "la liberté est le meilleur des mondes possibles" ( j' ajoute : pour eux : pour ceux qui pensent ainsi ... , "NouS" ) , PEUVENT donc en effet décider de poser en commun :
Au moins une seule fois dans notre existence, "NouS" pouvons faire ce que "NouS" voulons et ne pas faire ce que "NouS" ne voulons pas : définir "La Liberté" comme "Notre Liberté" : celle de tous les "esprits libres , égaux et fraternels" , sans pourtant avoir à constituer un nouveau "totalitarisme" toujours possible :
Contrat social à repenser pour "NouS" , pour tous ceux qui se reconnaîtraient mutuellement dans une telle "Egale Liberté" universalisable auto-définie et auto-posée .