1 – Cariath-Sépher
Juges, à nous ! Othoniel, Aod, Samgar. Débora, surtout (Débora et Jahel – le plus magnifique duo de dominas bibliques qui soit), puis Gédéon (pas si con), Abimélech (trop sanguinaire pour être honnête et d'ailleurs défait de suite). Suivent les juges dits « bibliques » (Thola, Jaïr, Ibtsan, Elon, Abdon) plus ou moins oubliables. Mais pas Jephté (qui fait avec sa fille ce que Stannis Baratheon faisait avec la sienne dans l'épisode le plus insoutenable de GoT). Samson, enfin, qui nous a tous fait rêver pour des raisons avouables (l'élection divine, la force surhumaine, la libido siffrediste) autant qu’inavouables (le suprasensualisme évident du personnage qui passe son temps à dire à sa belle de l'attacher – avant qu'il ne se retrouve sur ses genoux, aveuglé). Pour finir, la maison de Michas, plein de bassesses, de stupre et d'arrangement au viol, épisode lui aussi ô combien GoTien !
Du point de vue dramatique, le Livre des Juges est donc bien le pire, c'est-à-dire le meilleur. Une saga féroce et sexuelle incroyable rapportée avec un sens narratif de plus en plus précis. On ne « dit » plus simplement les choses, on les « raconte », on les met en scène, on les décrit – scènes d'action comme scènes d'intérieurs. On suggère, on montre, on filme, on est conscient de faire du Cecil B. DeMille et de l'HBO avant la lettre. Il y a des épisodes « merveilleux » et des détails psychologiques (et physiques) étonnants. On frôle le porno mystique. Et tout cela pour bien signifier que sans roi, tout est chaos. C’est que ces Juges sont moins des « juristes » que des chefs charismatiques, efficaces un certain temps mais violents, corrompus, carrément idiots et surtout peu légitimes. Or, la légitimité est une nécessité politique. Mais il faut passer par le chaos pour le savoir.
Et le premier chapitre où l'on « taille en pièce » un verset sur deux, quand on ne coupe pas « les extrémités des mains et des pieds », commence fort. Pour autant, on a beau se saigner de part et d'autre, on commence à soupirer de tant d'horreurs. On est même tenté de freiner celles-ci. « Mais les enfants de Benjamin ne tuèrent point les Jébuséens qui demeuraient à Jérusalem » (I-21). Et « Manassé aussi ne détruisit pas les Bethsan et Thanac avec les villages (...) et les Chanadéens commencèrent à demeurer avec eux » (I-27). Mieux : « Lorsqu'Israël fut devenu plus fort, il les rendit tributaires ; mais il ne voulut point les exterminer » (I-28). Et tout à l'avenant : « Ephraïm aussi ne tua point les Chananéens (...) Zabulon n'extermina point les habitants de Cétron et de Naalol (...) Aser n'extermina point non plus les habitants d'Accho (...) » (I-29-30). L’extermination systématique, c’est trop antique – ou trop moderne.
À son corps défendant, Israël s'humanise. Et puis on a attaqué Cariath-Sépher, « la ville des Lettres » et on s'en veut un peu. Car les livres, pour un juif, ça compte.