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éditions de femmes

  • Le MLF a quarante ans !

    couv-MLF.JPGLe 1er octobre 2008, l'on fêtera le soixante-douzième anniversaire d'Antoinette Fouque ainsi que, et surtout, le quarantième anniversaire du Mouvement de Libération des Femmes que celle-ci créa, précisément en octobre 68, avec Monique Wittig et Josiane Chanel. Défini par Fouque elle-même comme "l'événement génésique" de la fin du XX ème siècle, le MLF s'imposa comme une nouvelle alternative au féminisme triomphant de l'époque, celui de Simone de Beauvoir, sinon, car l'auteur de Gravidanza n'aime pas les mots en "isme" toujours trop connotés idéologiquement, comme la première féminologie, soit une nouvelle épistémologie des sexes rendant raison et justice à la femme en tant que femme. Libérer la femme, ce ne serait plus en faire un homme comme un autre, ce serait au contraire affirmer la singularité sexuelle et ontologique de celle-ci.  Si les premières féministes avaient plaidé pour un rééquilibrage sexuel et social, ô combien légitime, de la femme dans la société, les féministes "fouquiennes" affirmaient le génie féminin à travers la fécondité, la maternité, ce qu'elles appelleraient bientôt la géni(t)alité. Avec Beauvoir, les femmes avaient accédé, du moins en droit, à une reconnaissance et à une égalité sociales. Avec Fouque, l'on passait du social au vivant. Libérer la femme, ce ne serait plus simplement lui donner le droit d'avorter, ce serait aussi celui de procréer. La liberté de la grossesse serait aussi la joie de la grossesse.

    Cette joie, Antoinette Fouque la connut elle-même avec la naissance de sa fille Vincente en 1964. Faire de la grossesse une "expérience charnelle, psychique et symbolique", y voir "une rupture anthropologique et épistémologique", c'est tout le génie nietzschéen (car qui mieux que Nietzsche insiste sur l'intelligence du corps ?) de la co-fondatrice du MLF d'avoir pensé la femme à travers la chair procréatrice, d'avoir donné du sens métaphysique à l'enfantement. Surtout dans les années soixante-dix où, il faut le rappeler, la mode était de penser la chair soit à travers l'hédonisme post-soixantuitard, vaguement beatnik, et finalement toujours aussi phallocrate, soit à travers ce qu'elle appelle très justement "une subversion de l'ordre sexuel par la perversion", et qui, de Genet à Guyotat, de Foucault à Deleuze, de Bataille à Sollers, ne voit plus les choses de la chair et du monde qu'à travers Sade, Masoch, Lautréamont, et tout ce que l'art et la littérature donnent en divins tordus, pervers géniaux (et moins géniaux), freaks édifiants. Dans La condition historique, Marcel Gauchet regrettait aussi cette tendance des grands courants de pensée de l'époque, en premier lieu le structuralisme, à fuir systématiquement le centre pour ne s'intéresser qu'à la marge, à substituer l'exception à la généralité, à ne penser la vie qu'à sa limite.  La pensée du "border line" était à la fin une impasse.

    En faisant de la grossesse le principe premier (pour ne pas dire l'Arché, terme trop masculin s'il en est) de sa réflexion, la très bernanosienne Antoinette Fouque (qui fit, n'oublions pas, un DES sur "Angoisse et Espérance dans le Journal du curé de campagne de Bernanos") posait l'irréductibilité de la différence des sexes et la révélation du "deuxième" dans un monde d'avant et d'au-delà de la chute.  La femme définie comme une apocalypse, tel pourrait être le titre d'une étude du MLF. En effet, procréer, ce n'est rien moins que participer à la création divine. Et si l'on n'est pas sûr que Dieu existe, on est sûr en revanche que la femme accouche. Faire un enfant, c'est, comme le dit Fouque, "créer du vivant pensant". La grossesse est en ce sens la seule réponse valable à la question "qu'appelle-t-on penser ?". Valable - car concrète, réelle, vivante, empêcheuse de symboliser en rond. Car le symbolique, la plus grande invention masculine de tous les temps,  c'est précisément ce qui crée du mythe, de l'imaginaire, d'une certaine manière : de la mort, pour ne pas dire : du masculin. Or, comme le dit avec force Antoinette Fouque :

    "Si la procréation a droit de cité dans les sciences humaines, le symbolique ne pourra plus produire des mythes en lieu et en place des développements de l'espèce humaine."

    La procréation, c'est la chair féminine dans laquelle nous sommes tous inscrits,  avec laquelle nous sommes tous écrits, hommes et femmes, une sorte de lettre vivante que l'esprit mortifère masculin n'a cessé de piler. Au fond, et comme ce fut le cas avec les prolétaires par les aristocrates, le matérialisme est ce qui fut sans cesse rabaissé, écrasé, martyrisé par l'esprit. La matière - et avec elle : la matrice, la maternité, la féminité  - c'est ce qui fut crucifié par l'esprit masculin, ou plutôt par l'esprit confisqué par le masculin. Issue d'un milieu prolétarien et influencé par Charles Péguy, "le seul qui exalte l'honneur et l'éthique de l'homme qui fait un barreau de chaise", Antoinette Fouque cherche à réhabiliter la créativité  spirituelle du travail manuel au même titre que le travail charnel et métaphysique de la procréation.  Même si elle récuserait peut-être cette étiquette, son combat a indéniablement un aspect "chrétien de gauche" qui insupportera autant les marxistes orthodoxes que les chrétiens papistes. Et si nous faisons partie de ces derniers,  nous ne pouvons nier que ce qui nous intéresse dans le féminisme fouquien est cette persistance (toute chrétienne) à penser l'homme et la femme selon la différenciation originelle et biblique. A l'être désexué et révolutionnaire qu'en avaient fait Simone de Beauvoir et les autres (et dont l'aboutissement sera l'infect mouvement  "queer", dans lequel il n'y a plus ni hommes ni femmes mais que des "genres" interchangeables), le MLF a voulu que la femme retrouve sa singularité élémentaire, faiseuse d'humanité plutôt que d'anges, incarnant l'esprit de la vie. A l'envie de pénis théorisée par Freud, Antoinette Fouque a substitué une envie de l'utérus propre à tous les hommes - et parallèlement instauré le monologue du vagin bien avant la célèbre pièce de théâtre du même nom.

    Quoiqu'on en dise, la vie reste hétérosexuée.  L'avortement, ce n'est que le droit négatif du désir de l'enfant - et c'est parce qu'il y a ce droit que les femmes peuvent désormais affirmer, sans contraintes et sans complexes, le droit, le désir, la joie d'avoir, de concevoir, un enfant. Finie l'hystérique ! C'est-à-dire, finie la femme à qui l'on a confisqué les pouvoirs de son utérus ! Finie la colonisation phallocentrique du continent noir ! Finie l'économie patriarcale de la reproduction ! Libérer la femme, c'est la décoloniser, c'est la rendre à son identité singulière, c'est lui rendre le don de donner la vie selon son désir à elle, c'est lui redonner la conscience joyeuse de la fécondité ! Si Virginia Woolf s'est suicidée, c'est parce qu'on l'avait privée de ce désir.

    Cette révélation du désir, sinon cette remise du désir aux femmes, constitue la révolution "génésique" contre la "genèse", assure Antoinette Fouque. Elle est aussi la plus grande vexation que les hommes aient connue après les vexations galiléenne, darwinienne et freudienne.

    "Ce n'est pas Dieu qui crée l'homme et la femme, ce sont les femmes qui, grossesse après grossesse, génération après génération, régénèrent l'humanité."

    Evidemment, les objections affluent. N'est-ce pas là remplacer le patriarcat par le matriarcat ? Est-ce si progressiste et si égalitariste que de faire de la femme la seule détentrice de la vie (qui d'ailleurs est un contresens puisque pour faire de l'humain, il faut les deux sexes) ? D'ailleurs, que devient l'homme dans toute cette féminologie ? Ne retrouve-t-on pas là-dedans la tentation régressive et masochiste de la mère originelle ? A quelle représentation renvoie cette femme souveraine ? Quel poème, quel portrait, quel film ont pu illustrer cette femme rendue à elle-même ?

    Ma mère 2.jpgComme par hasard, et parallèlement à l'écriture de ce post, j’écoutais  Ma mère de George Bataille, lu par Pierre Arditi, l'un des joyaux de "la Bibliothèque des Voix" des éditions Des femmes, cette collection pionnière d'enregistrement de textes lus par des acteurs ou des actrices et créée par cette même Fouque. Ma mère ! Peut-être le texte le plus malsain, le plus limite, le plus intime de l'histoire de la littérature française. Je l’avais découvert à vingt ans et à cette époque-là j’en faisais mes délices. Aujourd'hui, j’ai bien de la peine à le supporter. Car cette histoire d'une mère qui initie son fils, Pierre, à la perversion (j’allais écrire : à la "pierversion") renvoie à toute la complicité que peuvent avoir mère et fils. L'inceste, ce n'est pas tant une affaire de gestes malheureux, de caresses douteuses, sinon de viol, que de confidences trop poussées, de rires trop complices, de  disputes trop haineuses. Pas besoin de passer par le sexe pour avoir un rapport sexuel avec sa mère, et d'ailleurs avec son père, son frère ou sa soeur ! La vérité est qu'en écoutant la voix de Pierre Arditi enregistrée dans ce texte par Antoinette Fouque,  j’ai fini par me demander si la féminologie de cette dernière pouvait, elle aussi, flirter avec une sorte d'érotisme matriciel ou de maternité trop érogène. Et que si les hommes s'étaient tant souciés de maîtriser le corps de la femme, c'était parce que celui-ci était irrésistible, et que l'envie d'utérus, en fait l'envie de s'y retrouver dedans, l'envie de ne pas naître, l'envie de rester en Dieu ou en Femme, était si violent qu'il fallait se protéger contre elles ! Que répondrait Antoinette Fouque à ce risque de fantasmagorie de sa pensée - et, à mon sens, contenue par elle ?

    Quoiqu'il en soit, la maîtrise de la fécondité par la femme, ce que Fouque appelle la "gynéconomie", fut la vraie révolution sexuelle des années soixante-dix. L'accès des femmes à leur propre fécondité allait de pair avec l'accès des femmes à leur propre capacité de penser. La vraie poésie, la vraie philosophie, la vraie politique ne pouvaient plus se configurer qu'autour de la génésique - quelles que soient les éternelles résistances de l'ordre patriarcal.  Et c'est cette génésique comme nouvelle condition historique de la femme qui s'imposa progressivement au monde des hommes, et à l'inverse des hommes, le fit sans passer par la violence. Est-ce parce que le MLF était fort qu'il n'y eut pas de terrorisme en France ? L'on peut toujours créditer ou non l'optimisme d'Antoinette Fouque à ce sujet.

    Ce qui est sûr, c'est que "le Mouvement de Libération des Femmes est, comme elle l'écrit, pour la première fois dans l'Histoire, absolument non refoulable." Le double droit d'avorter et de procréer, le double désir de ne pas séparer la procréation de la sexualité, la double affirmation de la liberté et de la fécondité, tout cela constitue, plus qu'un simple "progrès social", une véritable nouvelle anthropologie dont on n'a pas encore fini de voir les effets. Reste l'immense tâche de réorganiser ce pays comme d'ailleurs l'espèce humaine autour de ce qui apparaît comme l'union, jusque là impossible, de l'égalité et de la dualité.

    Car il ne faut jamais l'oublier :

    "Il y a deux sexes, et c'est ce qui rendra possible le passage de la métaphysique, amour de la sagesse, à l'éthique, sagesse de l'amour."

    Au fond, la féminologie d'Antoinette Fouque, aussi épistémologique que poétique, se résumerait dans le mot d'Arthur Rimbaud : il faut réinventer l'amour.

    (NB : Toutes les citations sont extraites de "Génésique", titre du texte d’Antoinette Fouque dans « Génération MLF 1968 – 2008 », un livre événement, véritable document d’histoire composé de 51 témoignages avec chronologie inédite et images d’archives, à paraître aux Editions des Femmes le 16 octobre. Si vous êtes journaliste, contactez Guilaine Depis à guilaine_depis@yahoo.com pour assister à la conférence de presse d’Antoinette Fouque autour du 40ème anniversaire du MLF, mardi 7 octobre dans son Espace des Femmes, 35 rue Jacob, Paris 6ème, à 18 h 30. Le cas échéant, il vous faudra patienter jusqu’au vendredi 10 octobre, 20 h 35, pour regarder sur France 5 le film de 52 minutes de la prestigieuse série « Empreintes » réalisé par Julie Bertucelli et coproduit par Cinétévé consacré à Antoinette Fouque, qui sera rediffusé pour les chaînes hertziennes dimanche 12 octobre à 9 h 30. Antoine Perraud recevra également Antoinette Fouque sur France Culture samedi 11 octobre de 19 h à 20 h comme invitée de « Jeux d’archives »)

     

    (Les quatre articles consacrés aux Editions des femmes font désormais partie d'une liste intitulée "Montalte aux Editions des Femmes", que l'on trouve en bas, à gauche.)

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