APOLOGIE DE SOCRATE - Le signe de Socrate (13/10/2025)

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Autoportrait en enfant prodigue (Rembrandt, 1637)

 

A chaque fois que je relis l'Evangile, je me pose la même question - ou plutôt la même question se pose à moi (car ça pense en nous bien plus que nous pensons, on est d'accord) : aurais-je à son époque suivi ce dingue ?

Rien n'est moins sûr. L'exigence éthico-religieuse, comme dirait Kierkegaard, de celui-ci m'aurait à coup sûr dégoûté de Lui et je me serais certainement comporté comme le Jeune homme riche : pas touche à mes richesses, mes talents, mes dons. Pire, quand Il aurait parlé de Jugement Dernier, j'aurais participé au «crucifie-le » de la foule. On est vraiment des merdes. On exagère ses merdes. On est dans un rapport sado-maso avec soi-même. N'est-ce pas ce que cherche à abolir le Christ en nous quand il dit qu'il n'est pas venu juger le monde mais le sauver ? Là, toute merde qu'on est, on a envie de se prosterner. De demander pardon. Autant le jugement suscite la haine, autant l'indifférence au jugement suscite l'adhésion. C'est à celui qui ne me juge pas que j'ai envie de confesser mes péchés. C'est à celui qui me juge que j'ai envie de les exagérer.
 
Dans la parabole du Fils Prodigue, le vrai juge, c'est le frère - le méritant, le moral, le droit dans ses bottes, celui qui ne comprend vraiment pas comment on peut accueillir ce toxico chez eux et pour lui faire fête, un comble ! Pour le frère du Fils Prodigue, Dieu est prodigieusement injuste. Et il n'a pas tort : Dieu est nécessairement injuste car essentiellement amour. Et l'amour ne saurait être juste. Si Dieu avait été « assoiffé de justice », il aurait maudit, chassé ou puni de la manière la plus cruelle son porc de frère prodigue. Mais non, on ne punit pas celui qui revient. Mais sommes-nous revenus tant que ça ?
 
La même question se pose en relisant l'Apologie de Socrate, de Platon (le premier que j'ai lu de lui en 1987, en Terminale, Monsieur Martel) : aurais-je été socratique à l'époque de Socrate ?
 

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Le retour du fils prodigue (Rembrandt, 1668)

 
 
Dans le dialogue entre Socrate et Calliclès, ma préférence va évidemment au second. Depuis longtemps, j'ai fait mienne sa réplique dans laquelle il reproche à Socrate de répondre par la loi quand on lui parle de nature et par la nature quand on lui parle de loi (Gorgias 482e) et encore plus celle concernant « la chasse aux mots" par laquelle procède Socrate pour confondre son interlocuteur : « Quand on fait un lapsus, tu sautes dessus comme si c'était un cadeau des dieux ! », ironise Calliclès (Gorgias 489c.)
 
« Non à leur manière »
 
D'ailleurs, à la question « aurais-je été socratique ? » s'ajoute une seconde question plus inquiétante : Socrate était-il un sophiste ?
 
« J’avouerai que je suis orateur, mais non à leur manière », déclare celui-ci au tout début de son procès (Apologie de Socrate 17d). « Non à leur manière » - en voilà une expression qu'elle est bonne. Si tout est dans la manière, ça va être compliqué de distinguer la bonne de la mauvaise, le sophiste du philosophe, le corrupteur de l'authentique, le faux prophète du fils de Dieu ? Sans compter que tout cela passe par les mots - et le moyen de dire le vrai avec tant de mots qui disent le faux ? Il est trop facile de se retrouver deux mille cinq cent ou deux mille ans après du côté de l'Athénien ou du Nazaréen. Perso, j'aurais eu beaucoup de mal à suivre celui qui se définissait comme un taon :
 
« Je suis le taon qui, de tout le jour, ne cesse jamais de vous réveiller, de vous conseiller, de morigéner chacun de vous et que vous trouvez partout, posé près de vous. Un homme comme moi, juges, vous ne le retrouverez pas facilement et, si vous m’en croyez, vous m’épargnerez » (30d).
 
Alors, certes, je ne crois pas que j'aurais été du côté des juges (ma haine puérile du jugement, toussa) mais je n'aurais pas forcément été non plus du côté de Socrate. Non, j'aurais été du côté d'Aristophane, je crois. Le méchant rigolo - dont il ne faut jamais oublier que c'est aussi un peu à cause de lui que Socrate a été jugé. 
 
Le problème, c'est encore et toujours la justice. Socrate met la justice au dessus de tout et est prêt à mourir pour elle. Est-ce si raisonnable que ça ? Est-ce même humain ? Cela vaut-il le coup de se mettre réellement en danger pour quelque chose d'aussi irréel, changeant, conjoncturel ? Ne devrait-on pas mieux aller cultiver son jardin et laisser ce Candide de Socrate à son destin absurde ? Tout ce qu'il nous dit sur la justice et la vérité nous gonfle prodigieusement. Mourir pour des idées, l'idée est excellente etc. 

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Suivre le signe.
 
Et pourtant quelque chose nous attire chez Socrate. Non pas l'éthico-religieux mais la mystique. Non pas le sacrifice mais la sérénité.  Non pas le sens mais le signe. 
 
En plus de taper la discute avec les héros antiques que l'on a rejoint, car c'est cela l'alternative de la mort : soit, c'est le néant, soit le banquet.
 
« C'est que ce qui m'est arrivé est sans doute un bien et qu'il n'est pas possible que nous jugions sainement, quand nous pensons que mourir est un mal ; et j'en vois ici une preuve décisive : c'est que le signe accoutumé n'aurait pas manqué de m'arrêter si ce que j'allais faire n'avait pas été bon » (39e).
 
Alors ça  nous impressionne. Nous parle. Nous donne envie d'aimer cette putain de vérité et même, pourquoi pas, cette salope de justice, soyons fous.
 
Le signe - quelque chose qui est plus fort que moi. Qui peut être démoniaque mais qui peut aussi être divin. Qui peut me porter. Qui peut me décharger. Qui peut me rendre meilleur. Qui peut me faire plus avisé, généreux, adulte. Moins adolescent attardé. Moins pourceau d'Epicure. A voir.
 
Et Socrate de conclure, sinon de conduire sa propre condamnation à mort :
 
« De là vient que le signe ne m'a retenu à aucun moment et que je n'en veux pas beaucoup à ceux qui m'ont condamné ni à mes accusateurs » (42a)
 
Merveilleux détail que ce « je n'en veux pas beaucoup » qui fait évidemment penser au « pardonne-leur, ils ne savent pas ce qu'ils font » (encore une phrase qui pulvérise tout ce que le Christ a pu dire par ailleurs sur le jugement, la géhenne et toutes ces saloperies punitives).
 
Là, oui, Socrate est grand. Là, il révèle. Elève. Donne envie. Convertit.
 
Le signe est tout. En langage chrétien, on appelle ça appel.
 

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Charles Xavier, alias le Professeur Xavier ou le Professeur X (Patrick Stewart) dans la série des X-men

 
 
 
Criton

10:52 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : platon, socrate, christ, procès, philosphie, religion | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer