Perspectivisme et pensées dures III - HUMANITE (07/08/2016)

nietzsche,kubrick,goethe21 - Eternel féminin (ou antiféminisme).

« .. le goût de la parure fait partie de l'éternel féminin - c'est qu'elle veut inspirer de la crainte, peut-être se faire obéir. Mais elle ne cherche pas la vérité : que lui importe la vérité ! Rien n'est d'emblée aussi étranger à la femme, rien ne lui est aussi odieux, aussi contraire que la vérité ; son grand art est le mensonge, sa grande affaire l'apparence et la beauté. Avouons-le : ce que les hommes respectent et aiment dans la femme c'est précisément cet art-là et cet instinct-là, nous qui menons une vie pénible, nous recherchons volontiers, pour notre apaisement, la société de ces êtres dont les mains, les regards, les gracieuses folies nous font apparaître presque comme autant de folies notre sérieux, notre lourdeur et notre profondeur. Je pose enfin cette question : une femme a-t-elle jamais reconnu quelque profondeur à un esprit féminin, quelque justice à un coeur féminin ? Et n'est-il pas vrai que, grosso modo, ce sont les femmes qui ont le plus méprisé "la femme", et non pas nous ? - Nous souhaitons quant à nous que la femme cesse de se compromettre en s'expliquant sur son propre compte. » (& 231)

 + « Ce qui dans la femme inspire le respect et bien souvent la crainte, c'est sa nature, plus "naturelle" que celle de l'homme, sa souplesse féline et rusée, sa griffe de tigresse sous le gant de velours, la naïveté de son égoïsme, son inéducabilité et sa sauvagerie foncière, le caractère insaisissable, démesuré et flottant de ses désirs et de ses vertus.... » (& 239)

Qu'un être humain normalement constitué qui ne soit pas d'accord avec ça me jette la première pierre...

 

nietzsche,kubrick,goethe22 - Parents aimants

« Il est des tournures et des traits d'esprit, des sentences où toute une civilisation, toute une société se cristallise en quelques mots. Ainsi ce mot de Mme Lambert à son fils : "Mon ami, ne vous permettez jamais que des folies qui vous feront grand plaisir." La parole la plus maternelle et la plus intelligente qu'on n'ait jamais adressée à un fils, soit dit en passant. » (& 235)

A rapprocher du père Leuwen qui lui aussi exhortait son fils à ne penser qu'à son plaisir - parents fantasmés du XIX ème siècle, débonnaires, généreux, avisés, tendres, anti-dévorants. Des parents qui ne seraient ni Médée ni Saturne, des parents surhumains eux-aussi, est-ce possible ? 

 


nietzsche,kubrick,goethe23 - Qu’est-ce que l’aristocratie ?

« Jusqu’ici toute élévation du type humain a été l’œuvre d’une société aristocratique, et il en sera toujours ainsi ; autrement dit elle a été l’œuvre d’une société hiérarchique qui croit à l’existence de fortes différences entre les hommes et qui a besoin d’une forme quelconque d’esclavage » (§ 257).

Tout est dans « la forme quelconque ».

De nos jours, plus besoin d’enchaîner les esclaves ou de les envoyer aux galères. La galère démocratique les enchaîne mille fois mieux que les morales pénales de naguère – et c’est pourquoi ils sont mille fois plus nombreux que les hilotes d’antan. Les esclaves d’aujourd’hui sont fiers d’avoir une parole, une opinion et le sentiment de participer à la vie de la cité, ce qu’ils s’empressent de faire avec un enthousiasme aliénant qui les honore. Ils votent ! Et l’on vote même pour eux. Spartacus règne en maître et il est bien pire que César.

Mais quoi ? Le vrai noble reste noble, quelles que soient les circonstances. Le prince Salina disait des choses comme ça : « rien ne change car tout change ». Eternel retour selon le Guépard. En gérant nos sociétés sans démériter (après tout, ils ont un sens de la justice sociale que nous n’aurons jamais), les esclaves modernes (vous, moi, tout le monde, le président) permettent aux anciens maîtres de survivre sans dommages et même, pour certains, en faisant entrapercevoir quelque chose de leur plénitude à ces derniers. Leur ouvrir leurs trésors. Leur donner un peu d'âme.

Et puis les rustres, c’est l’humanité ! Ne gâchons pas notre belle humeur à mépriser ce monde dans lequel nous sommes embarqués. Rien ne gâche le bonheur de celui qui a su s’organiser socialement – même pas la dégoûtante charité des autres. Et puis, et puis, et puis..... MORALE DES MAITRES ET MORALE DES ESCLAVES SE MELANGENT EN CHACUN DE NOUS :

« J'ajoute toute de suite  que toutes les civilisations supérieures et composites ont tenté de concilier ces deux morales, que plus souvent encore elles se mélangent sans s'accorder, qu'elles coexistent même quelquefois à l'intérieur d'un même individu et d'une même âme. » (& 260)

nietzsche,kubrick,goetheLa vraie différence entre les deux est que le maître peut donner un peu de sa maîtrise et de sa force, sinon de sa bonté, à l'esclave alors que l'esclave, surtout s'il est déterminé, ne peut, et ne veut qu'avilir le maître. C'est en ce sens que le maître doit rester maître - et plus de lui que de l'esclave. Garder intacte son humanité - surtout s'il doit en faire profiter les autres.

« L'humanité aristocratique sent qu'elle détermine les valeurs, elle n'a pas besoin d'approbation, elle juge que ce qui lui nuit est nuisible en soi, elle sait que c'est elle confère de la dignité aux choses, elle est créatrice de valeurs. Elle honore tout ce qu'elle trouve en soi : une telle morale est une glorification de soi. Elle met au premier plan le sentiment de plénitude, de la puissance qui veut déborder, le bonheur de connaître une forte tension, la conscience d'une richesse qui voudrait donner et prodiguer : l’aristocrate secourt lui aussi le malheureux, non pas ou presque pas par compassion, mais par l’effet d’un besoin qui naît de la surabondance de sa force. » 

On a bien lu : l'aristocrate secourt le malheureux. Le fort donne de sa force au faible. Lui apprend à vénérer :

« Ce sont les forts qui savent vénérer, c'est là leur art, le domaine propre où ils se montrent inventifs [vous entendez, Cloutier ?] (...) Le préjugé en faveur des ancêtres et au détriment des nouvelles générations sont des traits caractéristiques de la morale des forts. » 

Et si le plébéien a en lui quelques grammes de noblesse et d'insouciance, alors il pourra apprendre à s'élever à son tour.

Gare pourtant au plébéien à poigne. Au soumis soucieux. Au faible structuré. Au damné revanchard et internationaliste. Lui crachera sur l'icône, poignardera César, mettra le Christ en croix.  Pire que le noble,  c'est lui, le gueux, qui ne voudra surtout pas se mélanger. S'ennoblir le brûlerait. Alors, il veut brûler la beauté du monde. Il veut brûler le monde. Faire table rase du passé. Et par dessus-tout, démolir le maître. Lui rendre suspect sa propre plénitude. Lui saper le moral au nom de sa morale. Changer la généalogie -  les sociologues sont très forts pour ça.

« Ils exprimeront probablement une défiance pleine de pessimisme à l'endroit de la condition humaine, peut-être condamneront-ils l'homme et la condition humaine tout ensemble. Le regard de l'esclave est défavorable aux vertus du puissant ; il est plein de scepticisme et de méfiance, d'une méfiance retorse, à l'égard du "bien" que le puissant honore, il aimerait se convaincre que même le bonheur du puissant n'est pas réel. »

Qu'est-ce que la morale des esclaves ? Rendre malheureux et faire de ce malheur la justice et la vérité. Humilier et faire de l'humiliation la vertu par excellence.

 

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24- Haut et bas

On peut continuer longtemps sur ce sujet :

« Celui qui refuse de voir ce qu’un homme a d’élevé scrute avec d’autant plus d’acuité ce qu’il a de bas et de superficiel – et se trahit du même coup » (§ 275).

La différence entre la hauteur et la bassesse est que la hauteur voit la hauteur et la bassesse alors que la bassesse ne voit que la bassesse.

Impossible, pour autant, de dire à quelqu'un, "je vois plus haut que toi", "je vois plus loin que toi". Il nous répondrait "de quel droit ?" et on serait dans l'incapacité de lui répondre rationnellement. C'est pourquoi il vaut mieux s'abstenir de la comparaison (qui n'est pas une méthode aristocratique) et tenter, malgré tout, de lui montrer ce haut et ce loin, en espérant qu'il y soit sensible. Il faut le séduire. 

 

nietzsche,kubrick,goethe25 - Malentendu

« C’est faire preuve d’une subtile et aristocratique maîtrise de soi que de louer uniquement les opinions que l’on ne partage pas : dans le cas contraire, on se louerait soi-même, ce qui heurte le bon goût. Une telle maîtrise de soi offre, il est vrai, un vaste champ aux malentendus. Pour s’offrir ce véritable luxe de bon goût et de moralité, il convient de ne pas vivre parmi les imbéciles mais parmi des hommes dont même les malentendus et les faux pas sont capables de nous réjouir par leur qualité – sinon on paiera cher sa témérité » (§ 283).

Gare aux malentendus. Gare aux paradoxes qui se transforment en malentendus (encore que toute relation humaine soit malentendu et que, comme disait un jour Sollers, le secret du bonheur consiste à cultiver le meilleur malentendu possible, c'est-à-dire celui qui fait le moins de mal - le malentendu conjugal, amical, fraternel. Car même entre gens qui s'aiment, on ne se comprend jamais totalement. On finit toujours par achopper devant l'autre, ce qui est d'ailleurs un pléonasme, l'autre étant le point d'achoppement par excellence. Si l'on veut l'aimer jusqu'au bout, il faudra passer outre sa raison qui n'arrive pas à saisir la sienne - et comprendre du reste que la mort ou la négation vient toujours de la lutte entre deux bonnes raisons. C'est pourquoi l'amour n'est pas rationnel.)

Il n'empêche. A force de faire semblant de dire du mal de soi, les autres finissent par le croire. On joue au méchant, on se flatte d’être hypocrite et méprisant (alors qu’on a un cœur d’ange), on fait mine d’être supérieur aux autres (alors qu’on voudrait qu’ils soient comme nous) – et l’on se retrouve dos au mur, acculé par les faibles qui n’en peuvent plus de notre force (même si celle-ci les a servie) et par les gentils qui sont persuadés qu’on a voulu les trahir. Avez-vous remarqué, au fait, que les gentils donnent toujours l’impression de tomber des nues de leur gentillesse ? Avez-vous remarqué que les gentils étaient d’une rare méchanceté avec ceux qui doutaient de leur gentillesse ? Avez-vous remarqué qu’il n’y avait pas pire salope que celui qui se définissait avant tout comme « gentil » ?

Et l’on nous reprochait notre hypocrisie ! Et l’on ne voyait pas qu’elle n’était que courtoisie.

 

nietzsche,kubrick,goethe26 - Dissimulation

Ce sont donc les forts qu’il faut protéger des faibles, les « méchants » (ceux qui embrassent l’ensemble du réel) qu’il faut préserver des gentils (ceux qui le coupent en deux). C’est que l’exception est toujours menacée par le général. « Différence engendre haine » (§ 263), écrit Nietzsche en français. A l’âme d’élite, il faut une prodigieuse énergie, et une inépuisable insouciance, pour résister au commun qui l’entoure – et qui, d’une façon ou d’une autre, rêve de la rabaisser, sinon de l’exterminer. Et comme l’élite ne se reproduit pas aussi facilement que le médiocre (car il ne faut pas se leurrer, la perpétuation de l’espèce, c’est la plèbe, et non l’aristocratie, qui l’assure), il lui faut à elle aussi sa part de dissimulation pour survivre.

Et c'est pourquoi

« toute philosophie dissimule aussi une philosophie ; toute opinion est aussi une cachette, toute parole aussi un masque. » (& 289).

Bien entendu, on sera tenté de comprendre cyniquement cela. Ce que nous dissimulons, derrière la force, c'est la faiblesse. Ce que nous cachons derrière la civilisation, c'est la guerre et le racisme. Ce que nos paroles masquent, c'est notre ressentiment et notre instinct de vengeance.

Mais si c'était le contraire ?

Si c'était notre bonté que nous cachions ? A la fois aux autres et à nous-mêmes ? Notre méchanceté ne serait que la punition que nous nous infligions pour ne pas être bons.

Comment ? Derrière notre mauvais esprit, il y aurait un bon coeur - que même nous ignorons ?

 

nietzsche,kubrick,goethe27 - Le grand Caché

« Le génie du coeur, tel que le possède ce grand Caché, le dieu tentateur, le flûteur-né ravisseur de consciences (...) dont la maîtrise consiste non pas à savoir paraître ce qu'il est, mais à prendre l'apparence qui obligera ses fidèles à se presser toujours plus étroitement autour de lui, à lui obéir toujours plus intimement et plus docilement ; le génie du coeur qui fait taire les bruyants et les vaniteux et leur apprend à écouter, qui polit les âmes rudes et leur donne à goûter un désir nouveau, celui de demeurer calmes comme un miroir afin de refléter la profondeur du ciel ; le génie du coeur qui enseigne l'hésitation aux mains grossières et trop promptes, pour qu'elles apprennent à saisir avec plus de grâce ; qui devine le trésor caché et oublié, la goutte de bonté, de suave spiritualité enfouie sous l'opaque dureté de la glace, qui est comme une baguette de sourcier pour chaque grain d'or longtemps enseveli dans une lourde prison de boue et de sable ; le génie du coeur dont nul n'est effleuré qu'il ne se sente plus riche, non pas jeté dans un état de grâce et de surprise, non pas comblé et oppressé de biens venus d'ailleurs, mais riche de soi-même, renouvelé à ses propres yeux, épanoui, baigné et guetté par une brise de printemps, peut-être plus incertain, plus tendre, plus fragile, plus brisé, mais plein d'espoirs encore sans nom, plein d'un vouloir et d'un élan nouveaux (...), celui dont je viens de parler, toujours lui, rien moins que le dieu Dionysos, le grand dieu ambigu et tentateur (...) moi, son dernier initié (...)

C'est ainsi qu'il me dit un jour : "Il m'arrive d'aimer les humains...  »

 

 nietzsche,kubrick,goethe,daniel halévy28 – Humanité.

Dans son « Post-scripta » qui clôt sa magnifique biographie de Nietzsche, Daniel Halévy écrit qu’il a tenté de montrer les faces sombres du philosophe autant que ses faces lumineuses, mais rajoute aussitôt que l’on ne peut en rester à cette égalité de traitement - qui serait digne d’un scientifique !

« Il y a, en effet, une pesanteur des pensées, comme des corps : tous et tendent vers le bas. Les hauteurs sont difficilement accessibles ; il faut faire effort, au contraire, pour ne pas s’engluer dans les terres marécageuses »[2].

Nous-mêmes ferons l’effort de ne pas limiter sa pensée (tellement brillante, intuitive, stimulante et belle !) aux marécages du dionysiaque. Les pensées dures que nous avons pu exprimer à son sujet n’altèrent en rien l’amour et l’admiration que nous continuons à avoir pour lui. Impossible de contester ni sa grandeur ni son génie ! Comme il le disait lui-même à propos de Platon, dans une lettre à Lou Salomé, un système peut être réfuté, mais la personnalité qui se trouve derrière ce système, est, elle, irréfutable ! Plus qu’irréfutable, Nietzsche est à notre pensée et à notre vie, indispensable. Même dans ses erreurs, ses dérapages, ses délires, il nous stimule – et nous empêche de nous tuer.

Le pacte faustien fait, somme toute, partie de sa terrible humanité. Et l’apologie du dionysiaque révèle, au finale, moins sa férocité pré-nazie que sa blessure infinie. Comme il devait sentir, au fond, qu’il y avait quelque chose qui n’allait pas dans son système ! Mais qu’importe ! Il lui fallait résister à sa souffrance d’homme sans femme – c’est-à-dire d’homme sans amour ! Et comme il aurait été heureux s’il avait pu connaître cette « grande raison du corps » qu’il vanta tant, et à juste titre, dans son œuvre ! La chasteté forcée, autant que la syphilis contractée en un seul contact, auront eu raison de lui.

Et pourtant…. Dans les semaines qui précédèrent son effondrement (le 03 janvier 1889, l’épisode du cheval), ce n’est pas Dionysos, mais Jésus, qui le hantait. Les deux devaient se battre en lui, l’un pour sa damnation, l’autre pour son salut. Lui-même signait à la fin de ses dernières missives, « Dionysos » ou « Le Crucifié ». A Cosima, la femme de l’homme qu’il avait le plus aimé, il envoya ce mot bouleversant :

«Ariane, je t’aime.

Dionysos »,

Mais à son ami de toujours, ce Peter Gast qui vécut toute sa vie pour lui, il écrivit ces deux lignes éclatantes :

 

« A MON MAESTRO PIERO,

Chante-moi un nouveau chant. Le monde est clair et les cieux se réjouissent.

Le Crucifié. »

 

Ainsi, l’auteur de L’Antéchrist finissait sa vie mentale en célébrant « les cieux » et en s’identifiant au Christ-Roi. Peut-être l’instinct chrétien qu’il avait le plus combattu dans son œuvre revenait s’imposer à lui, malgré lui, et pour lui. Le prophète du Surhomme redevenait, enfin, un homme – l’un des tous premiers de notre humanité.

[1] René Girard, Je vois Satan tomber comme l’éclair, p 226.

[2] Nietzsche, Daniel Halévy, p 506

 

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ADDENDUM ET CONCLUSION 

29 - Dionysos est-il Satan ?

Dans la version 2008 de cette étude, je n'hésitais pas :

"La pensée molle de Nietzsche (mais qui a l’apparence de la dureté), c’est donc le dionysisme (voir « Pacte Faustien »), et cela ne nous laisse pas de nous étonner. Comment le penseur le plus lucide de son temps s’est-il fourvoyé dans cette imposture intellectuelle de la pire espèce ? Comment a-t-il pu, lui, le destructeur d’idoles, impitoyable avec lui-même, céder à la pire idole du monde antique – l’idole dionysiaque ? Comment n’a-t-il pu sentir que tout ce qu’il détestait, le grégaire, le plébéien, le vulgaire, était contenu dans ce culte répugnant ?

Certes, s’il ne s’agissait là que d’une catégorie esthétique, celle qui est conceptualisée dans La naissance de la Tragédie, nous n’y trouverions rien à redire. Au contraire, pris dans sa dimension artistique, voire symbolique, le dionysiaque est indéniablement l’une des trouvailles les plus riches de Nietzsche. Elle exprime la férocité des formes, l’excès de couleurs et de lumière, le dérèglement des sens, le débordement du sens, l’ivresse totale et absolue, le sacrifice de la morale. En elle, on devine le Mozart de Don Giovanni, le Bizet de Carmen, le Beethoven de la Neuvième Symphonie, et aussi Rubens, Picasso, Francis Bacon, et tant d’autres. Mais hélas, hélas ! L’on ne peut se contenter d’une vision purement esthétique du monde. La souffrance existe vraiment. Celle notamment des enfants, qui selon Dostoïevski (que Nietzsche avait pourtant lu et vénéré), accuse Dieu lui-même. Or, si le Christ est celui qui désapprouve la violence réelle (qui a-t-il de « faible » dans cette attitude ?), Dionysos est celui qui l’approuve – et même qui l’organise à travers son culte, un des plus violents qui soient. Dionysos veut le sacrifice d’autrui qui calmera la communauté. Le Christ veut abolir le sacrifice, et pour ce faire, se sacrifie lui-même pour en montrer l’horreur… dionysiaque. Que les nietzschéens nous pardonnent, mais nous considérons que le surhumain est du côté chrétien, et que le dernier des hommes est du côté dionysien. Et nous signons au propos de René Girard : « c’est le christianisme qui détient la vérité contre la folie nietzschéenne »[1] - comme, au bout du compte, c’est le christianisme qui détient la victoire dans son combat avec Satan.

Et Dionysos, c’est Satan. On ne peut plus rien dire d’autre."

 

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30 - Mon ami Alex

Aujourd'hui, j'ai envie de dire autre chose.

Je ne vois pas en quoi Dieu ne pourrait pas contenir Dionysos (ni d'ailleurs Apollon).

Je ne vois pas en quoi on devrait renoncer à Zarathoustra au nom de sa foi en Christ.

Je ne vois pas pourquoi le stade religieux devrait abolir les stades éthique et esthétique.

Je ne vois pas pourquoi le fond des choses ne serait pas une réconciliation (Goethe).

Je ne vois surtout pas pourquoi je devrais choisir.

Non, le fond du problème est autre.

Quoiqu'en dise Simone Weil, on ne peut renoncer à la force.

Car l'amour ne suffit pas à vaincre le mal.

Pour vaincre le mal, il faut de la force.

Et si Dionysos donne cette force-là, alors pourquoi s'en priver ?

Mon ami Alex me donne de la force.

 

 

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Eternel retour

10:54 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (1) | Tags : nietzsche, kubrick, goethe, daniel halévy, simone weil | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer