LÉVITIQUE - « Et il l'appela » (« Vayikra ») (10/04/2021)

EXODE

 

lévitique

Agnus Dei, Francisco de Zurbarán, Prado

 

Je lis le Lévitique dont on dit que c’est le livre le moins séduisant de la Bible. Peut-être. C’est en tous cas le livre des odeurs, de la graisse et des gigots - des rituels, des sacrifices, des offrandes. Mais aussi celui du bouc-émissaire et de la loi du talion, des crimes sexuels et des peines de mort.  Tout ce que le Décalogue portait en lui sans le développer. En soi, ce n’est pas inintéressant du tout, c’est même poétique, musical, pictural. Ça fait encore penser à Flaubert. De la description de choses. Autant de lois et de rituels que de de pierres précieuses et d'étoffes. Et parfois des microfictions contenues dans les lois.

Mais c’est surtout le livre des entrées et des sorties, des accès à Dieu et de la relation avec lui – c’est-à-dire de la liturgie.

Souvenons-nous. À la fin de l’Exode, Moïse était resté, tel K. devant le château, au seuil de la tente, interdit lui-même d’y pénétrer après l’épisode du Veau d’or. Tout le Lévitique tournera autour des conditions d’entrée à la maison de Dieu, tout ce qu’il faudra faire en sacrifice pour pénétrer enfin dans la Tente du Rendez-vous

N'oublions jamais que Dieu est saint, qu’Israël ne l’est pas et que pour que ces deux-là communiquent quand même, il va falloir mettre en scène toute une série de procédures qui permettront bon an mal an la sanctification du second par le premier. Le rituel comme permission divine. Le sacrifice comme sanctification. L’aspersion comme expiation. 

Si les dix commandements étaient pour tous, les six-cent treize obligations de la Torah sont réservées aux seuls Juifs afin de les couper, c'est-à-dire de les sacraliser (coupure = sacré) du reste du monde. 

Mais procédons par ordre :

I – VII : Rituel et sacrifices.

VIII – X : Cérémonial et investitures des prêtres.

XI – XVI : règles relatives au pur et à l’impur.

XVII – XXVI : Loi de sainteté.

 

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Soutine, Le boeuf écorché, 1925, Musée de Grenoble

 

« Comme une odeur agréable à Dieu » 

Et c’est ainsi que Dieu rappelle (« Vayikra ») Moïse : 

« Le Seigneur appela Moïse, et lui parlant du tabernacle du témoignage, où il résidait, il lui dit : Vous parlerez aux enfants d’Israël et vous leur direz : Lorsque quelqu’un d’entre vous offrira au Seigneur une hostie de bêtes à quatre pieds, c’est-à-dire de bœufs et de brebis, lors, dis-je, qu’il offrira ces victimes, si son oblation est un holocauste, et que ce soit un bœuf, il prendra un mâle sans tache, et l’offrira à la porte du tabernacle du témoignage [ou Tente du Rendez-vous], pour se rendre favorable le Seigneur. Il mettra la main sur la tête de l’hostie, et elle sera reçue de Dieu, et lui servira d’expiation. » (I 1 – 4) 

La parole qui va revenir le plus souvent est « comme une odeur très agréable au Seigneur ». Dieu est un odorat – qui aime l’odeur de la rôtisserie (son goût pour l’enfer, demanderait Hugo ?). L’holocauste est un méchoui. On égorge des agneaux, on tord le cou des tourterelles, on cuisine des tas de choses mais sans jamais les manger. 

« Que si l'on offre en holocauste au Seigneur des oiseaux, savoir des tourterelles ou des petits de colombe, le prêtre offrira l’hostie à l’autel, et lui tournant avec violence la tête en arrière sur le cou, il lui fera une ouverture et une plaie par laquelle il fera couler le sang sur le bord de l'autel. Il jettera la petite vessie du gosier, et les plumes, auprès de l'autel, du côté de l’Orient, au lieu où l’on a accoutumé de jeter les cendres. Il lui rompra les ailes sans les couper et sans diviser l’hostie avec le fer, et il la brûlera sur l'autel après avoir mis le feu sous le bois. C'est un holocauste offert, au Seigneur, et une oblation qui lui est d'une odeur très agréable. » (I 14 – 17) 

L’animal sacrifié à la place de l’homme. Le sang de la brebis, du taureau ou de la tourterelle pour ne pas verser celui de l’homme. Pas sûr que ça passe aujourd’hui. C’est pourtant cette proximité sanglante qui a fait de l’animal l’ami paradoxal de l’homme. On peut aussi expier ses péchés par le feu perpétuel et les fleurs de farine. 

« Le prêtre prendra une poignée de la plus pure farine mêlée avec l'huile, et tout l'encens qu'on aura mis dessus, et les fera brûler sur l'autel, comme un monument d'une odeur très agréable au Seigneur. » (VI – 15) 

 Yahvé se régale de cette bonne graisse. En revanche, pas de graisse ni de sang aux hommes. 

« Toute la graisse appartiendra au Seigneur. Par un droit perpétuel de race en race, et dans toutes vos demeures ; et vous ne mangerez jamais ni sang, ni graisse. » (III 16 – 17) 

Et malheur à celui qui mange la graisse de Dieu : 

« Si quelqu'un mange de la graisse qui doit être offerte et brûlée devant le Seigneur comme un encens, il périra du milieu de son peuple (…). Toute personne qui aura mangé du sang périra du milieu de son peuple. » (VII 25 – 27) 

 

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Nadab et Abiu

Du reste, il faut se méfier comme de la peste (si j’ose dire) de la bonté de Dieu qui peut annihiler sur le coup ceux qui ne font pas gaffe. C’est ce qui arrivent aux deux fils d’Aaron pourtant consacrés. 

« Alors Nadab et Abiu, fils d'Aaron, ayant pris leurs encensoirs y mirent du feu et de l'encens dessus, et ils offrirent devant le Seigneur un feu étranger, ce qui ne leur avait point été commandé ; et en même temps, un feu étant sorti du Seigneur les dévora, et ils moururent devant le Seigneur. » (X 1 – 2) 

Pas de feu étranger, donc. Pas d'impureté avec Dieu. 

Pour autant, il ne faut pas non plus paniquer. Certes, nous sommes tous impurs, c’est même notre condition de l’être, mais cette impureté est conditionnelle et provisoire. Elle dépend de ce que nous avons touché dans la journée et ne dure en général que « jusqu’au soir » – parole que je trouve infiniment poétique et réconfortante. « Tout sera impur jusqu’au soir ». Tout sera malade, c’est-à-dire symboliquement mort (car l’impur, c’est la mort et le pur, c’est la vie) mais tout recouvrira la santé, la pureté au crépuscule. Comme on pouvait s'y attendre, ce sont les femmes qui sont organiquement le plus susceptibles d’être impures – peut-être parce qu’elles sont le plus proches de la pureté, de la vie. Un rien peut les salir. Peut-être aussi parce qu'elles ont le pouvoir de faire du néant quelque chose - et que par conséquent elles sont une connaissance du néant plus grande que les hommes. « Toi qui sur le néant en sais plus que les morts », disait Mallarmé à la prostituée. 

Les impuretés, en tous cas, sont nombreuses et leur liste rappelle un peu les douze plaies d’Égypte : lèpre, ulcère, brûlure (pour ne pas dire accident ménager), calvitie, exanthème, saletés en tout genre (vestimentaires comprises) et bien sûr avant tout les sexuelles : écoulements spermatiques sans faire l’amour (« L’homme qui souffre de ce qui ne devrait arriver que dans l’usage du mariage sera impur » XV – 2), menstrues, même crachats, sans parler des animaux intouchables ou immangeables comme le porc. Là, nettoyer tous les objets que l’on touche, les sièges sur lesquels on s’assoit, les draps dans lesquels on dort. Tout rincer et se laver les mains tout le temps. En ces temps de covid, ce chapitre XV prend tout son sens... 

 

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Azazel, église Sainte-Marie, Fairford

 

Azazel

Et puis, il y a le jour des expiations (ou Jour du Grand Pardon), celui des deux boucs, l’un qu’on sacrifie à Yahvé, l’autre que l’on charge symboliquement de tous les péchés d’Israël et que l’on abandonne en plein désert – celui-là s'appelle Azazel du nom d’un obscur démon antique et c'est le bouc-émissaire. 

« Après qu'il aura purifié le sanctuaire, le tabernacle et l'autel, il offrira le bouc vivant ; et lui ayant mis les deux mains sur la tête, il confessera toutes les iniquités des enfants d’Israël, toutes leurs offenses et tous leurs péchés ; il en chargera avec imprécation la tête de ce bouc, et l'enverra au désert par un homme destiné à cela.  Après que le bouc aura porté toutes leurs iniquités dans un lieu solitaire et qu'on l'aura laissé aller dans le désert, Aaron retournera au tabernacle du témoignage, et ayant quitté les vêtements dont il était auparavant revêtu lorsqu'il entrait dans le sanctuaire, et les ayant laissés là, il lavera son corps dans le lieu saint, et il se revêtira de ses habits. Il sortira ensuite et après avoir offert son holocauste et celui du peuple, il priera tant pour soi que pour le peuple ; et il fera brûler sur l'autel la graisse qui a été offerte pour les péchés. Quant à celui qui sera allé conduire le bouc émissaire, il lavera dans l'eau ses vêtements et son corps, et après cela il rentrera dans le camp. » (XVI 20 – 26) 

Car il s’agit toujours de cela : rentrer dans le camp, passer sous la tente, être accepté dans la maison de Dieu, y faire les gestes qu'il faut sans être liquidé comme les fils d’Aaron. Face à un dieu intouchable, se faire intouchable soi-même.

On comprend que les païens (et aujourd'hui les modernes) aient été scotchés par ce dieu israélite exigeant, intransigeant et discriminant. Qui se coupe des hommes, puis qui coupe les Juifs des hommes, puis les purs des impurs, les prêtres du peuple. 

 

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Soutine, Nu féminin (Eve), 1933, huile/toile, 46 x 27 cm. The Colin Collection, New York.

 

Structures élémentaires de la parenté

"Gestes barrières" à gogo, donc. A l'extérieur comme à l'intérieur. Avec les étrangers comme en famille - surtout en famille. 

L’inceste, premier crime de sang au sens propre, premier crime qui n’est pas un assassinat mais une abomination. 

Pas touche à la mère (normal), 

« Vous ne découvrirez pas dans votre mère ce qui doit être caché, en violant le respect dû à votre père : elle est votre mère ; vous ne découvrirez rien en elle contre la pudeur. » (XVIII – 7) 

Ni à la tante (dommage)* : 

*Mon côté Sollers.

« Vous ne découvrirez point ce qui doit être caché dans la sœur de votre mère, parce que c'est la chair de votre mère » (XVII – 13)  

Pas d’acte contre nature non plus : 

« Vous ne commettrez point cette abomination ou l'on se sert d'un homme comme si c'était une femme. » (XVII – 22) 

Ni de zoophilie (courant à l’époque du fait même qu’on en parle tout le temps) 

« Vous ne vous approcherez d'aucune bête, et vous ne vous souillerez point avec elle. La femme ne se prostituera point non plus en cette manière à une bête, parce que c'est un crime abominable. » (XVII - 23) 

Et en XX, les peines sexuelles, toutes punies de mort. Il est clair que le sexe est sacré ou si l’on préfère que « le coupé est coupé ». Coupure, séparation, différenciation - l'humanité est à ce prix. Tout de même, on parle quand même de brûler vive une fille de prêtre qu’on a surpris à déshonorer son père. 

 

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Francisco de Zurbarán Tasses et vases Vers 1633 (46 × 84 cm) Musée du Prado, Madrid

 

Talion

Livre des châtiments et du talion (comme dans l’Exode XXI – 24), ici XXIV – 20 : 

« Il recevra fracture pour fracture et perdra œil pour œil, dent pour dent ; il sera contraint de souffrir le même mal qu’il aura fait souffrir à l’autre. » 

Pour autant, l’important ne se situe pas ici mais bien là : Tu aimeras ton prochain comme toi-même. C'est bien dit ici :

« Ne cherchez point à vous venger, et ne conservez point le souvenir de l’injure de vos citoyens. VOUS AIMEREZ VOTRE AMI COMME VOUS-MÊME. » (XIX – 18) 

Gare, tout de même, aux mélanges – y compris animaliers, agricoles et vestimentaires : 

« Vous n’accouplerez point une bête domestique avec des animaux d’une autre espèce. Vous ne sèmerez point votre champ de semence différence. Vous ne vous revêtirez point d’une robe tissue de fils différents. » (XIX – 19) 

Et si l’on accueille, l’on assimile : 

« Si un étranger habite votre pays, et demeure au milieu de vous, ne lui faites aucun reproche ; mais qu'il soit parmi vous comme s'il était né dans votre pays, et aimez-le comme vous-mêmes » (XIX 33 – 34) 

 

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Chaim Soutine, La Table, huile sur toile (81 x 100 cm). Collection Jean Walter et Paul Guillaume, Musée de l'Orangerie.

 

Alliance "quoi qu'il en coûte"

La liberté, c’est la cinquantaine. 

« Vous sanctifierez la cinquantième année, et vous publierez la liberté générale. » (XXV – 10) 

Ne nous inquiétons donc pas trop : Dieu s’acharne de temps en temps sur nous mais à la fin se souvient de son Alliance avec nous et du coup, nous extermine moins et nous pardonne de plus en plus. Il commence aussi à nous comprendre mieux.

Ainsi, après nous avoir menacé de mille nouvelles plaies (où il est question quand même de nous plonger dans l’épouvante et de nous obliger à nous dévorer les uns les autres – XXVI), Dieu ne nous abandonne pas : 

« Ainsi lors même qu'ils étaient dans une terre ennemie, je ne les ai pas néanmoins tout à fait rejetés, et je ne les ai point méprisés jusqu’à les laisser périr entièrement, et à rendre vaine l'alliance que j'ai faite avec eux. Car je suis le Seigneur leur Dieu » (XXVI – 44) 

L’Alliance comme un « quoi qu’il en coûte ».

Et à la fin, ou plutôt au début du livre suivant, Nombres, Moïse est bien à l'intérieur de la tente :

« La seconde année après la sortie des enfants d'Israël hors de l'Egypte, le premier jour du second mois, le Seigneur parla à Moïse au désert de Sinaï DANS le tabernacle de l'alliance, et lui dit : (...) » (Nombres I - 1)

 

A SUIVRE - NOMBRES

18:47 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : lévitique, loi du talion, francisco de zurbarán, chaïm soutine, nadab et abiu, azazel | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer