JEAN IV - Photine, la fille de feu (la samaritaine) (13/04/2024)
Véronèse, Jésus et la samaritaine (vers 1585), Kunsthistorisches Museum, Vienne
Après Nathanaël et Nicodème, le troisième interlocuteur du Christ – interloctutrice en l'occurrence. Et quelle ! Ennemie des Juifs, ultra-pêcheresse, dévoreuse d'homme, une infréquentable !
Jésus avait élu le premier rien qu'en le voyant et en le désignant. Le second était venu naturellement à lui. À la troisième, il demande à boire. Trois modes de contact, donc : l'élection active (Dieu choisit), l'accueil « passif » (Dieu attend), la demande vitale (Dieu a besoin d'eau et d'humanité).
Jésus a soif de l'homme – de la femme en l'occurrence, associée comme il se doit, à l'eau, au puits, aux profondeurs.
Pour autant, celle-ci a le feu dans son nom : « Photine », comme la nomment les orthodoxes, c'est-à-dire lumineuse en grec - tout comme ses soeurs : Phota (« feux »), Photide (« fille du feu »), Parascève (« préparation » du Sabbat, soit vendredi) et Cyriaquie (« seigneuriale ».)
Jésus et la samaritaine, école italienne du XVII ème siècle.
Jésus et la samaritaine, Michel-Ange Anselmi (vers 1550), Musée du bord de la rivière Peoria (Illinois.)
Un des épisodes les mieux dessinés, a-t-on dit.
En effet, la source dite de Jacob - autrement dit, des ancêtres, du peuple commun, Juifs et Samaritains n'étant pas si éloignés (les seconds reconnaissant le Pentateuque sur fond de paganisme.)
La sixième heure, midi.
Le dialogue - infiniment délicat, subtil mais aussi très intense, où l'on se renvoie les demandes, chacun demandant à l'autre de l'abreuver.
De l'eau réelle à l'eau spirituelle (vive);- ce qui est somme toute presque plus miraculeux que le contraire.
Un miracle physique, Jésus en fera un à la fin, guérissant le fils du Centurion - et avec une certaine mauvaise humeur : y a que ma magie qui vous intéresse !
Alors que les vrais miracles sont spirituels.
Et cette conversation est hautement spirituelle.
Quatre choses à en retenir.
- Dès qu'elle a compris à qui elle avait à faire, la femme admet tout de suite que c'est elle qui a besoin d'eau spirituelle. « Seigneur, donne-moi cette eau éternelle que je n'aie plus jamais soif et plus jamais besoin de venir puiser cette eau ici. » En un mot, Jésus a inversé la relation, la demande, le désir. Jésus, « l'inverseur » (« L’Un Verseur » ?)
- Puis, elle avoue encore plus vite qu'elle « n'a pas de mari », parce qu'elle en a déjà eu cinq (autrement dit, et comme le précise Jean-Yves Leloup, cinq malheurs, une vie de malheurs) et que le dernier mec avec qui elle vit ne l'est pas. Serait-elle adultère ou briseuse de ménage ? À Ieschoua, on peut dire ces choses-là sans crainte d'être lapidée. Ieschoua n'est ni moral ni social. Le social, c'est Satan.
- Contre le social, le sociable. Au diable les clivages ethniques et culturels ! Même si « LE SALUT [VIENDRA] PAR LES JUIFS » (et parce que les Juifs connaissent ce qu'ils croient, contrairement aux autres qui se contentent d'idolâtrer, étrangers qu'ils sont à toute étude de Dieu) est du devoir des Juifs de s'adresser aux non-Juifs - et tout comme Jésus en donne l'exemple.
- Puis, il rajoute cette parole sidérante que le Messie... c'est Lui. « MOI QUI TE PARLE – JE SUIS » (IV – 26)
Le premier des Eigo Eimi (« Je suis »)
[Cf Jean XVIII]
Première présentation de Jésus en tant que Christ par lui-même, donc. Et preuve que celui-ci sait qui il est.
Tout l'Evangile de Jean tourne autour de conscience de lui-même par lui-même, sa relation avec le Père, sa tautologie ontologique.
Jésus et la samaritaine, Etienne Parrocel (1696 - 1775), Musée des Beaux-Arts d'Ajaccio.
Du coup, la femme en retourne au village en transe... en oubliant de servir de l'eau à Jésus ! Oubliant de même sa propre cruche car elle aussi n'a plus besoin d'eau.
Peu importe puisque Jésus entérine son idée auprès de ses disciples (qui se sont étonnés de le voir parler à une femme, ennemie de leur clan qui plus est) que la vraie nourriture, après l'eau, n'est pas de ce monde – et même si on a quand même besoin des premières.
Jésus, donc, abstrait, platonise, coupe, divise – et en même temps concilie, ouvre à d'autres dimensions, réjouit tout le monde. Car l'eau, la nourriture, la moisson, c'est tout de suite, pas dans trois jours, trois semaines, trois mois. La conversion dépend d'un instant. La réjouissance est instantanée et ne dépend pas d'une « lutte des classes » – et comme l'atteste cette merveilleuse parole :
« CELUI QUI SÈME SE RÉJOUIT EN MEME TEMPS QUE CELUI QUI MOISSONNE. »
Jésus et la femme de Samarie, Le Guerchin (1591 - 1666)
De son côté, la femme persuade son entourage de la puissance psychique de ce personnage insolite – qui pour l'instant se révèle éminemment sympathique, intéressant, opératoire.
« Il m'a dit tout ce que j'ai fait. »
Verset que j'aime entre tous et qui est comme une méthode d'appréhension de l'Écriture.
Il m'a parlé de moi.
DIEU ME PARLE DE MOI.
Dieu me connaît mieux que moi.
Dieu me dit mes quatre (cinq en l'occurrence !) vérités (sinon mon Pentateuque) mais sans me juger à aucun moment.
Dieu me rend à ma vérité sans me sanctionner.
Dieu me rend libre.
Car être vrai, c'est être libre.
Dieu apprend à être moi et à m'aimer.
Comment ne pas l'aimer ?
Vérité sans jugement – c'est peut-être cela le jugement dernier, le jugement qui n'en est plus un.
La samaritaine, donc, femme médiatrice de Jésus. Aaron(e) du Christ. « Il faut toujours avoir des femmes avec soi », chantaient les contrebandiers de Carmen.
Jésus et la samaritaine (Jean-François de Troy, 1742), Musée des Beaux-Arts de Lyon.
Entre temps, l'insolite a fait son deuxième miracle – la guérison de l'enfant d'un haut fonctionnaire.
Bref, voilà un type qui parle à une femme, un juif qui contacte une étrangère (et d'une tribu adversaire), un gars qui a des pouvoirs thaumaturgiques, un anar qui ne respecte pas les codes, ni les siens ni ceux des autres et un joyeux luron qui dispense joie et liberté.
À noter aussi comme tout se répand vite à partir de lui. La femme, le village, la contrée. Quelque chose s'accélère dans les âmes – et qui s'appelle l'esprit.
« DIEU EST ESPRIT »
(IV - 24)
Rappelons ce qu'écrivait Renan de ce mot essentiel :
« Le jour où il prononça cette parole, il fut vraiment le fils de Dieu. Il dit pour la première fois le mot sur lequel reposera l'édifice de la religion éternelle. Il fonda le culte pur, sans date, sans patrie, celui que pratiqueront les âmes élevées jusqu'à la fin des temps. Non seulement sa religion, ce jour-là, fut la bonne religion de l'humanité, ce fut la religion absolue et, si d'autres planètes ont des habitants doués de raison et de moralité, leur religion ne peut être différente de celle que Jésus a proclamée près du puits de Jacob. »
Et bien sûr, il est permis de lire en cette histoire une idylle peu catholique (et comme les peintres l'ont suggéré.)
Benvenuto Tisi, école italienne (XVI ème siècle), Musée des Beaux-Arts de Narbonne (petite vidéo de la présentation de ce très troublant tableau, ici)
À SUIVRE – JEAN V L'infirme qui n'avait personne
À REPRENDRE – JEAN III Nicodème ou le nigaud de Dieu (+ le Christ serpent, selon Louis Pernot.)
07:49 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : samaritaine, miracle, dieu, esprit, amour, idylle, photine | | del.icio.us | | Digg | Facebook | | Imprimer