Les Riches Heures de la Duchesse d'Hochet (à propos d'Armures, de Stéphanie Hochet) (22/03/2025)

Sur Zone critique, le 20 mars 2025

 

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Mais d’où vient Stéphanie Hochet ? Et qu’est-elle en train d’inventer ? Après William où elle osait l’autofiction via une biographie rêvée du grand homme, voici Armures où, à travers les figures de Jeanne d’Arc et de Gilles de Rais, elle tente l’introjection, sinon la descendance mythique. Dévastateur.

 

 

Soit une première partie (en trois chapitres : Une, Grâce, Toxique) conçue comme un tableau médiéval, un mystère chrétien où tout est écrit au présent, le texte faisant figure, la silhouette enluminure, l’action fresque ou miniature. Ainsi, dès la première ligne, Jeanne faisant corps avec son cheval, devenant son cheval, galopant au milieu des soldats sous le regard de « Dieu [qui] assiste et approuve ». L’importance de l’animal dans l’œuvre de Stéphanie Hochet, ses Eloges du chat, du lapin, son Animal et son biographe, et ici sa métamorphose équidéenne : « mon corps était mon cheval ». Suivent les voix, l’appel, la mission, tout ce que l’on connaît de la Pucelle et qui réapparaît ici comme dans un livre d’heure – ou d’éphéméride, comme elle aurait dit. Livre de croyante ? Plutôt de voyante, sinon d’écoutante. Si Jeanne a entendu des voix, elle en est elle-même devenue une auprès de tant de gens.  

En vérité, si la femme est abominable, et quoiqu’en dise ce malappris de Baudelaire, c’est parce qu’elle est surnaturelle. Jeanne est surnaturelle. Remarquable cette note de bas de page où, parlant d’Isabeau d’Arc, la mère de Jeanne, l’autrice ne peut s’empêcher de l’imaginer « sainte » et pour la raison « inévitable, logique, que la plus glorieuse des pucelles n’a pu venir au monde que du ventre consacré d’une femme luttant pour le Bien ». Stéphanie Hochet, apologue de l’Immaculée Conception, on aura tout vu !  

 

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Représentation de Jeanne d'Arc dans un registre du Parlement de Paris par le greffier Clément de Fauquembergue, Paris, Archives nationales, 10 mai 1429.

 

Il est vrai que cette paysanne a de quoi forcer le respect, même six cents ans après. Son courage, son autorité mais aussi son éloquence étonnante pour une fille du peuple. Et Hochet de retranscrire sa célèbre réponse à Cauchon : « Jeanne, croyez-vous être en état de grâce ? – Si je n’y suis, que Dieu m’y mette ; si j’y suis, que Dieu m’y tienne », ainsi que sa formidable lettre aux Anglais où elle se révèle une styliste digne de Bossuet : « Si vous ne voulez croire ces nouvelles de par Dieu et la Pucelle, en quelque lieu que nous vous retrouverons, nous frapperons dedans et y feront un si grand hahay qu’il y a bien mille ans qu’en France si n’y en eut un si grand ».  Tout cela peut-être, grâce à la marque de Dieu que Gilles croit discerner sur son visage, « entre le sourcil et l’œil ». Et là, on se met à son tour à scruter le visage de Stéphanie Hochet, lequel n’est pas sans rappeler le fameux dessin de Clément de Fauquembergue, greffier du parlement de Paris, le 10 mai 1429, et qui est la seule représentation d’époque de la Pucelle.   

L’Histoire qui contient toutes les histoires. La Victime qui incarne toutes les autres. Jeanne, initiale de tant de vierges violées et qu’Hochet fait bien de mettre en écho avec les victimes contemporaines, celles de Michel Fourniret ou encore la jeune Shaïna dont des garçons voulaient « vérifier » la pureté (Creil, 2019.) Littérature christique (pléonasme ?) qui prend tout son sens dans la deuxième moitié du livre, intitulé comme il se doit À rebours, où tout se rejoue à travers la propre vie de Stéphanie Hochet (elle-même, originaire de Tiffauges, patrie de Gilles de Raychet), l’actuel prenant le pas sur l’archaïque, l’existentiel sur l’immémorial - la phonétique elle-même s’en mêlant avec le nom du psy de l’autrice qui s’appelle Gilles le Ray et comme si les noms eux-mêmes étaient des revenants !  

De même revient la famille « bernanosienne » de Stéphanie Hochet (elle-même ayant tant à voir à Mouchette) déjà aperçue dans William : le père brutal et envieux, l’oncle atroce, les deux cousin violés et suicidés, et cette mère, fausse sainte et vraie hystérique, qui bat sa fille au nom du père et aussi de sa jouissance à elle : « Elle me corrige. Belle main bien à plat, bien démonstrative. Sa main devient rouge ». Et tout cela pour compenser sa blessure, le grand secret du livre, et dont, comme la narratrice, on tombera des nues quand on le saura. Ou comment un trauma s’avère une vétille. Un mot malheureux qui peut faire d’une âme simple une bourrelle. Il en faut passer par la mystique et la monstruosité la plus absolue pour comprendre « le train-train du mal », « la peur dans une poignée de poussière », comme le dit T.S Eliot, cité par l’autrice, le dérisoire mortifère et le crachat pour éviter le meurtre. Et c’est pourquoi Hochet s’identifie « à ceux qui ont commis des crimes sans préméditations, sous l’effet d’une douloureuse colère » et qui sont « ses frères et sœurs de sang versé ». En attendant, la voilà déshéritée par ses géniteurs qui n’ont pas accepté ce que leur fille disait d’eux dans son livre précédent, preuve que quand on ne sait pas aimer, on ne sait pas lire - ou l’inverse. La littérature, haine absolue des familles. Et Hochet résistante ! Sans Jeanne et Gilles, elle aurait sans doute péri. Ses armures mentales, mythiques, peut-être génétiques, ce sont eux. 

C’est de ce mélange assumé entre l’image d’Épinal et le drame social que se joue le récit – et toujours à travers cette écriture anti-spectaculaire propre à l’autrice du Roman anglais, qui n’a besoin d’aucune baroquerie pour inciser comme il faut, toucher la membrane, vérifier l’hymen et réveiller la Meffraye. Ce qui nous semblait figuratif, un rien académique, était en fait fractal, sinon occulte. Hochet franchit en ce sens une étape dans son art. Là où William ne faisait que dans l’introjection, Armures frôle la mystique, sinon la métempsychose. L’étonnante page finale qui agit comme une révélation. Bon Dieu ! Ne me dites pas que la femme avec qui j’ai pris un verre l’autre jour (et pas qu’un !) est la descendante de…. !

 

Stéphanie Hochet sur Soleil et croix. 

Chiennement vôtre (sur Les Ephémérides)

Peau de chagrin (sur Sang d'encre)

Dissolution dans un jardin anglais (Un Roman anglais)

Le songe d'une nuit d'Hochet (William)

10:07 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (0) | Tags : stéphanie hochet, armures, william, jeanne d'arc, gilles de rais | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer