L'Anté-Littéraire I (28/08/2016)

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Cet article d'humeur, que j'ai eu envie de relancer EN CE MOIS D'AOUT 2016, parut, il y a fort longtemps, dans le dernier numéro du Journal de la Culture (n°17), sous le titre "l'écrivain est définitivement un salaud !". Mis en ligne sur ce blog d'abord en décembre 2005, puis en décembre 2008, il sombrait un peu dans l'oubli, quoique toujours très cher à mon coeur, allez savoir pourquoi. D'où ce "revival" auquel je pensais depuis longtemps et dont l'occasion m'a été donné cette semaine... en remettant à jour un autre vieil article de 2005, pendant de celui-ci, et avec qui il forme désormais une sorte de diptyque. Alors comme d'habitude avec moi, il y a moult choses ridicules, mais d'autres qui, je crois, valent encore le coup, d'être dites. Et puis quoi ? On ne se refait pas...

NOTE DU 28/08/2016


« Apprendre à devenir poète, c’est désapprendre à vivre ».

Rester vivant, Michel Houellebecq. 

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Le drame de l’écrivain, c’est que les gens sont heureux. Même souffrants, ils sont encore heureux. Ils font encore des enfants. Ils croient en la vie. Ils souffrent des choses de la vie, mais ils ne souffrent pas de la vie. Le contraire de l’écrivain qui a toujours maille à partir avec elle. L’inconvénient d’être ici-bas. Flaubert, Maupassant, Huysmans, Cioran, Houellebecq. C’est pour cela qu’ils écrivent, ces gens-là. Pour dire du mal de la vie. Pour inquiéter ceux qui « l’aiment ». Les éducateurs et les professionnels de l'édition se demandent régulièrement pourquoi la communauté des lecteurs a toujours constitué,
quelles que soient les époques, les milieux et les politiques, une minorité. Pour garder le moral, pardi. Ni Billancourt, ni le seizième, ni les campagnes, ni les villes ne veulent qu’on les désespère. Pas fous, les pékins.  Quand on lit, non seulement on ne bosse pas, mais en plus on trouve dans ce qu'on lit des raisons de ne pas bosser - et même de ne pas vivre comme il faut ! Les vrais gens le sentent bien. Quelqu’un qui lit ou qui écrit ne travaille pas. Pire, il sape le travail des autres. Il subvertit l’ordre social – c’est-à-dire le bonheur. L’écrivain n’aime pas le bonheur qui n’est jamais gai et qui donne toujours le cafard. Car le bonheur, ce n’est pas comme l’extase ou la jouissance, c’est une construction sociale. Ce n’est pas une question d’esthétique mais d’éthique. C’est du sérieux. De l’adulte. Le bonheur, c’est un boulot, une femme-des enfants, un drapeau. Le bonheur, c’est travail, famille, patrie. Alors que l’écriture, c’est mélancolie, solitude, parole - dit autrement, du vice, de l'orgueil, de l'exhib. C’est la langue française plutôt que la France.

Ca commence très tôt. On les remarque les enfants liseurs dans les cours de récréation. Ils sont seuls, taciturnes, souvent l’air maussade et ils ont leur livre à la main. Souvent, ils se couchent un peu plus tard que les autres, soit parce qu’ils ont des parents naïfs et intello qui leur accordent ce privilège (on ne va pas empêcher le petit de lire Balzac), soit parce qu’ils ont déjà sournoisement pris le pouvoir dans la famille. Un enfant lecteur, toujours sage comme une image, sait qu’on le laissera tranquille – il peut lire tant et tout ce qu’il veut. On ira surveiller et punir ses turbulents frères et sœurs, mais lui, on le montrera en exemple. Du moins dans les familles lettrées (aisées). Car chez les ploucs, c’est lui dont on « surveillera les lecture », trop conscient qu’on est que littérature rime avec pourriture et que le livre est une cause de désordre social.  Alors que dans les familles aisées (lettrées), la littérature fait partie du savoir, et le savoir, c’est le pouvoir. J’avais un frère qui faisait toutes les conneries de son âge : il fumait, il fuguait, il sortait avec les filles, il répondait aux parents et il recevait des baffes. Moi, j’étais l’enfant modèle - de bonnes notes à l’école, le meilleur en français, les rédactions lues devant toute la classe. Tandis qu'il matait des pornos, je lisais Sade dans mon coin. A seize ans, il s’est dépucelé avec une camarade de classe et a quitté la maison. Depuis, il est chirurgien-dentiste, deux fois marié, quatre enfants et il vote UMP. A trente-six, je suis toujours chez mes parents,  puceau, et je me branle tous les soirs (et parfois sur les anciennes VHS de mon frère). Un ado qui lit beaucoup est un ado  qui se masturbe beaucoup et sur bien autre chose que les nichons et les chattes de ses copines. Son imaginaire, baudelairisé ou rimbaldisé, est déjà sale. Et il a beau pleurer dans son coin, rien n’y fait. Branlette et pleurnichage, voilà son lot.

C’est qu’ils sont si fragiles, ces artistes, si pathétiquement sensibles ! Comment prendre au sérieux des gens qui ressassent leurs petites misères existentielle ? Qui pleurnichent sur leur nombril endolori ? Un vilain petit souvenir par ci, une petite injustice par là. Un rien les traumatise, les scribouilleurs. Ils cristallisent sur tout. Pour une fessée mal vécue (Vallès) ou trop bien vécue (Rousseau), ils font le drame ou le sens de leur vie. Que de vanité dans leurs souffrances ! Le pire, c’est Proust. Imaginez un peu. Cet homme qui ne s’est jamais remis que sa mère, un soir (pas tous les soirs, un soir !), ne soit pas venue le border parce qu’elle avait des invités à s’occuper en bas. A cause de ces cinq minutes sans maman, Marcel deviendra asthmatique, homosexuel, jaloux à mort, et entre deux madeleines et trois pavés, méditera sur son temps perdu – et sans travailler une minute de sa vie, remarquez bien. Rentier, évidemment. Le temps, c’est de l’argent. A la recherche du fric trouvé (ou hérité.)

Non, les vrais enfants, comme les vrais gens, sentent bien que les livres ne sont là que pour se moquer d’eux. Les livres sont là pour faire sentir à ceux qui ne lisent pas qu’ils sont inférieurs à ceux qui les lisent. La première hiérarchie sociale est celle entre lecteurs et non-lecteurs. L’orgueil hautain de l’enfant qui lit. Son mépris vis-à-vis de ses petits camarades qui se contentent de jouer aux billes ou au ballon. Pas étonnant que ces derniers se vengent sur lui à coups de poing. Dans la cour de récréation, les anti-littéraires rossent les littéraires et c'est justice. Gide enfant a été tourmenté par ses condisciples aussi pour cette raison. Plus tard, il se vengera en mettant leurs petits frères et leurs petites soeurs dans son lit. Lire rend pédophile, on ne le dira jamais assez. Et être pédophile, c’est se venger des enfants qui vous ont pourri l’enfance. Vive la littérature, vraiment !

 

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La vraie vie n'est jamais écrite.

Ah ces professionnels de l’éducation qui font aujourd’hui tout ce qu’ils peuvent pour inciter les enfants à lire... Ne se sont-ils jamais demandés que ceux-ci ont mieux à faire ? Qu’ils préfèrent jouer avec leurs copains pour de vrai plutôt que de se plonger dans un truc qui est faux - un livre ? Qu’ils n’ont pas envie de vivre une vie qui n’est pas la leur. Qu’ils trouvent plus excitante la vie réelle que la vie écrite. Qu’ils pressentent dans leur rude sagesse que la vraie vie n’est jamais écrite. Voilà une phrase qui fera mal à tous ceux pour qui la littérature est la raison de vivre. Tant mieux.  Il faut se faire anti-littéraire pour comprendre la vie. On va même la répéter pour qu’elle entre bien dans la tête des littérateurs : la vraie vie n’est jamais écrite. La vraie vie n’est pas littérature. En écrivant le contraire, Proust s’est trompé à jamais.  C’est la vérité la plus décevante qu’on ait jamais eu à dire, mais quand on aime l’art, on n’aime pas la vie

Quelqu’un qui aime vraiment la vie se contente d’honorer ses parents, d’élever ses enfants en vue d’en faire de futurs parents, est heureux de travailler dur, respecte l’ordre du monde, chérit l’espèce plus que l’individu, rend grâce à Dieu, et surtout se fout complètement de Shakespeare et de Mozart qui lui apparaissent comme des idoles malsaines susceptibles de le détourner de ses bottes et de sa herse. Aimer vraiment la vie, c’est rendre grâce à Dieu. C’est penser que mêmes les malheurs sont des épreuves qu’Il nous nous fait passer et qu’il faut aimer. C’est enfanter quoiqu’il en coûte.  C’est préférer la grossesse de sa femme à son orgasme.  Heureusement, un monstre pareil n’existe pas dans nos cercles. Personne n’adhère totalement à la vie. Même Nietzsche avouait que sans la musique, la vie serait une erreur – soit dit en passant, voilà une phrase que n’aurait pas osé le pire homme du ressentiment et qui en dit long sur l’auteur de Ecce Homo ! CQFD. Lire avilit, écrire pervertit. La littérature est une entreprise de corruption, pollution, abjection.

Aujourd’hui, le livre est le support principal, et l’objet sacré, de l’éducation. Il n’en a pas toujours été ainsi. Pendant des siècles, la lecture était mal vue partout. Au Moyen Age, le preux chevalier se faisait une fierté de ne pas savoir lire. On laissait cette basse occupation aux clercs. Pour qui voulait être un homme, un vrai, lire et écrire, c’était la honte. La plume avait moins de valeur que la bêche qui en avait moins que l’épée. Avec le temps, on comprit que savoir lire pouvait être un plus dans l’existence, à condition bien sûr qu’on n’en profite pas pour rêvasser. Savoir lire, c’était comme savoir compter. La lettre prise pour un chiffre. Lire pour échanger, réguler, légiférer, mais certainement pas pour penser. De toutes façons, l’Eglise se méfiait depuis toujours de la connaissance qui éloigne toujours un peu plus de Dieu – la Salut ne passant pas par le savoir. Il fallait protéger le Verbe perpétuellement menacé par le plaisir du texte. Il n’y  avait que chez les Juifs où l’écriture, soit la Parole et les commentaires de la Parole, avait une valeur. C’est aussi pour cette raison qu’on les a haïs de toute éternité. Le peuple élu est le peuple le plus littéraire du monde. L’antisémitisme est aussi anti-littéraire. Cette phrase aussi, il faudrait la répéter mille fois.

Bref, depuis Platon, on ne compte plus les éducateurs, les penseurs, les philosophes qui ont mis en garde les peuples contre les dangers de la lecture. Il faut relire cette lettre de la mère de Schopenhauer où celle-ci incite son fils, elle qui pourtant était l’archétype de la grande bourgeoise cultivée et qui aimait à avoir son salon littéraire, à « mettre de côté pour quelque temps tous les écrivains sans exception [car] la vie te semblera insupportable avec cette habitude prise si jeune de perdre tout ton temps à t’occuper d’art » – imagine-t-on aujourd’hui un parent dire ça à son enfant ? Et pourtant, c’est ainsi que nos arrières grands-parents et nos grands-parents raisonnaient. Qu’on se rappelle l’exhortation drolatique de César à Marius dans la trilogie de Pagnol quand ce dernier avoue à son père qu’en ce moment, il déprime un peu :  « tu lis trop », le sermonne-t-il. Pas de doute, de Dantzig à Marseille, on dit la même chose. Lire dévirilise, rend mélancolique - fier d’être mélancolique. La littérature donne de la réalité aux illusions et de la vanité aux passions tristes. Voyez Don Quichotte, Madame Bovary, Hanno Buddenbrook - tous ces gens qui se sont détournés du réel au nom de leurs fantasmes. Au fond, la littérature est criminelle. Son envoûtement conduit toujours au suicide.

 

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Vicieuse mélancolie.

Il est remarquable de constater que les deux procès les plus célèbres de la littérature française aient concerné deux écrivains du mal de vivre. Baudelaire n’a pas tant indigné à cause de ses lesbiennes qu’à cause de ses geignardises d’enfant gâté oisif. Pour l’homme à la poursuite du bonheur commun, ça ne se fait pas de se complaire dans ses idées noires et de faire de son spleen un « idéal ».  Les passions littéraires sont les passions tristes et perverses - et la société est bien plus spinoziste que les spinozistes ne le croient. La mélancolie est un vice que l’on veut transmettre. Un vice dont on cherche à faire un virus. Rappelez-vous  Des Esseintes dans A rebours qui se met à gâter quelque temps un adolescent en vue de le corrompre puis qui cesse brutalement toute gâterie et espère que ce dernier, frustré, tombera dans l’addiction, la déprime, le crime. Même si Huysmans ne le rapporte pas, on peut aisément imaginer que pendant sa période de corruption, Des Esseintes offrit Les fleurs du mal au pauvre garçon. La poésie est si nocive pour la jeunesse, comment lui résister ? Combien de parents ont-ils interdit à leurs enfants de lire Baudelaire même après sa réhabilitation ? Et si par hasard, on en surprenait un à réciter ces vers dans son coin, combien de coups de pied au derrière, de livres arrachés, confisqués, jetés aux ordures ? Le père et les frères de Julien Sorel se faisaient un point d’honneur à corriger celui-ci pris en flagrant de lecture. Un bon passage à tabac, et c’est reparti comme en quarante ! Les vrais gens repartent toujours en quarante.

Quant à Flaubert, soyons clairs, il ne fut attaqué pour Madame Bovary non pour avoir raconter une simple histoire d’adultère mais pour avoir oser remettre en cause ce qui à l’époque constituait le bonheur de la femme. L’obscénité d’Emma est de ne pas se satisfaire de ce dont rêvent à l’époque toutes ses consœurs. Un mari gentil et attentionné qui a une bonne situation, un statut de notable de province, une petite fille adorable. Quel besoin d’espérer autre chose de la vie et de lire des romans qui vous en dégoûtent ? Ce n’est guère charitable pour celles qui sont privées de tout ça et ne lisent pas pour autant. Une fois de plus, il faut être social, moral, anti-littéraire et répéter que pour une Emma malheureuse, insatisfaite, malade d’avoir trop lu, cent mille femmes heureuses ! On croit toujours que les gens vont se reconnaître dans les livres, qu’ils vont suivre l’auteur... Quelle erreur ! Redisons-le jusqu’à la nausée : les gens sont heureux, ils aiment la vie, pas la littérature, ils se foutent d’une neurasthénique qui gâche sa vie au nom d’un idéal livresque. Ils auraient même tendance à la condamner. Des nantis qui dépriment, voilà qui est vraiment immoral, anti-social, anti-chrétien. Aux yeux du pékin, l’on a le droit d’être triste que si l’on a perdu son enfant, son mari ou son emploi (et pas par sa faute, attention!). Il faut être responsable et la littérature déresponsabilise comme nulle autre entreprise au monde. Déprimer quand tout va bien dans son ménage et dans son milieu est proprement indigne. Qu’un écrivain, qui plus est,  fasse la promotion de cette dépression mérite en effet un procès. L’écrivain est définitivement un salaud.

Abjection de la littérature. Au fond, le seul qui ait compris qu’il fallait faire quelque chose contre elle, c’est Jean-Marie Bigard. Un soir chez Ardisson, il exhorta les écrivains à  cesser d’alimenter le désespoir du monde. A quoi sert en effet de branler la misère ? C’est positiver la vie qu’il faut. Faire chaud au cœur. Rendre le moral. Alors il proposa sa solution. Au lieu d’écrire « un paysan n’avait pas de vaches », il faudrait mieux écrire  « un paysan avait deux vaches » (sic). L’écrivain de l’avenir serait l'écrivain de la vraie vie et du positif. Christine Angot était sur le plateau.

 

L'Anté-littéraire II (août 2016)

 

Piste à suivre :
 
La haine de la littérature, par William Marx, article Marianne

Romans à lire et romans à proscrire, par l'abbé Bethléem (1914), superbe document.

 

11:27 Écrit par Pierre CORMARY | Lien permanent | Commentaires (75) | Tags : écrivain, salaud, houellebecq, baudelaire, proust | |  del.icio.us | | Digg! Digg |  Facebook | |  Imprimer