Ok

En poursuivant votre navigation sur ce site, vous acceptez l'utilisation de cookies. Ces derniers assurent le bon fonctionnement de nos services. En savoir plus.

l'empire des sens

  • Les nouveaux corps du délit : le logos, le phallus, le père

    Empire des sens.jpgI - Génération lyrique

    « Celui qui permettra à l'humanité de la délivrer de l'embarrassante sujétion sexuelle, quelque sottise qu'il choisisse de dire, sera considéré comme un héros. » Sigmund Freud, lettre du 17 mai 1914.

    Pour encore combien de temps cette phrase de Freud sera-t-elle comprise ? Quel écho peut-elle avoir chez un bipède de 25 ans, persuadé de son innocence congénitale, certain de son inconscient créateur, virginal jusqu'au bout de son piercing ? Ils sont terrifiants ces nouveaux cathares, qu'ils aient quinze, vingt, trente ou quarante ans, avec leur civilisation sans malaise, leur désir de « ne pas se prendre la tête » - donc de ne pas avoir de désir -, leur ignorance crasse de l'ordre symbolique, leurs grands éclats de rire quand on leur rappelle les lois anthropologiques les plus élémentaires. Dans leur existence sans péché, sans part maudite, sans blessure, sans négatif, leur Eros sans Thanatos, ils ne se rendent pas compte de la fragilité du monde, de la vulnérabilité de leur toute petite conscience, de la toxicité de leur pureté. Ils ne comprennent pas, par exemple, que la résistance à l'inceste et au meurtre est un effort permanent, qu'il y a toujours en nous un démon régressif qui peut nous ramener à une vie barbare. En revanche, ils jugent extrêmement douteux que l'on tienne à ses frontières et à son identité. Leur idéal, c’est le fameux  « vivre ensemble » où tout ce qui distingua naguère les choses et les êtres est progressivement aboli. Pour eux, le fasciste n’est pas seulement hétéro, il est aussi sioniste. Inconsciemment antisémites et consciemment antichrétiens, ils refusent de toutes leurs forces de post-ados pro-festifs tout ce qui ressemble de près ou de loin à la distinction, à l'élection, à l'excellence, au salut. Le seul mal qu'ils admettent, eux qui n’admettent pas le mal, c'est l'ancien monde. Freud. Sade. Pascal. « Les voilà les vrais salopards avec qui il faut en finir, les inquiéteurs qui nous ont fait croire que la vie n'était pas cool. Oui, c'est vrai, nous n'en avons rien à foutre de vos notions d'inconscient, de transcendance, d'Eros et de Thanatos. Oh bien sûr, on n'est pas naïf, contrairement à ce que vous croyez, on sait que la mort existe, mais pour nous la pulsion de mort est une mauvaise blague, comme le sont d’ailleurs toutes vos histoires d’Oedipe ou de péché originel. Nous ne croyons plus ni à la Bible ni à la castration. Quant aux « méchants » qui tuent et qui violent, eh bien, ce sont des malades qu'il faut soigner – des malades qui ont trop lu la Bible et Freud mais qui, dans tous les cas, n'ont rien à voir avec votre mal métaphysico-réactionnaire. Quoi ? Que dites-vous dans votre barbe ? Une phrase de Montaigne ? Et alors, vous croyez que ça va nous édifier un truc qu'a dit un type il y a quatre cent ans ? Comment  ? « Si on supprimait le mal en l'homme, on détruirait les conditions fondamentales de la vie » ???? Ha ha ha ha ha ha !!! Laissez-nous rire ! Quelle foutaise, la pensée classique tout de même ! Et vous y croyez vous ? Allez va ! Vous êtes pitoyable avec vos références d'un autre âge  ! Quand on vous le disait que votre soi-disant grande culture était bien le lieu de toutes les aberrations. »

    oedipe roi.jpg1 - Paroles de moderne.

    « La littérature, dites-vous, messieurs les littérateurs de l’ancien monde, est là pour exprimer la tragédie du monde... Eh bien non ! Désolé, mais nous, les citoyens du XXI ème siècle, ce n’est pas comme cela que nous voyons les choses. La littérature selon notre choix est une littérature qui sert la cause du progrès, voilà tout. La littérature sera citoyenne ou ne sera pas. Sophocle, voyez-vous, cela ne nous botte pas trop. Nous n’avons pas tué notre père, nous n’avons pas fait l’amour avec notre mère. Nous ne sommes responsables d’aucune peste réelle ou métaphorique. Nous aimons nos parents, nos parents nous aiment, et nous pensons tous les trois que Sophocle ne fait que raconter ses fantasmes de merde, point barre. Au reste, Sophocle, il en fait trop. La vie n’a rien à voir avec ces tragédies qu’il raconte bien complaisamment. La vie, il faut savoir la prendre du bon côté, et pis c’est tout. Tant pis pour Sophocle, mais nous, on n'a vraiment pas besoin de  ce genre de truc pour vivre. Car heureux et innocents, oui, nous le sommes...

    Pareil pour les autres, tous les autres, Sade, Pascal, Shakespeare, l’horrible saint Paul, et même Camus ! Nous ne sommes pas pécheurs, nous ne sommes pas castrés, nous ne sommes pas sadiques. Nous sommes attachés autant à la justice qu'à nos mamans, et nous emmerdons tous les Oedipe et tous les Job de la terre. Tant pis pour ceux meurent sots à force d'avoir cru à ces balivernes ! Pour dire vrai, nous plaignons sincèrement les croyants névrosés  et masos de l'ancien monde, et nous sommes même prêts à les aider à abandonner leurs croyances.  Mais plus question en tous cas de les laisser polluer notre beau monde avec leurs angoisses et leurs saloperies existentielles ! Pareil pour les peintres. Plus question de voir de la viande dans une étoffe rouge ou de la corrida dans l’amour. D’ailleurs, la corrida sera bientôt totalement interdite, et c’est tant mieux, car les animaux sont des êtres humains comme les autres. Quant à l’amour, il n’a plus rien à voir avec ce que les obscurantistes du passé en disaient. Lorsque Philippe Muray de sinistre mémoire, écrivait pour s’en plaindre qu’un jour la fameuse phrase de Sade, « il n’est point d’homme qui ne veuille être despote quand il bande », serait bientôt incompréhensible aux hommes et aux femmes des temps futurs, il ne se croyait pas si proche de la vérité. Pour un homme ou une femme de bonne volonté, cette phrase ne veut strictement rien dire. Non qu’elle soit encore un objet de scandale comme elle pouvait l’être pour les féministes de son temps, mais précisément parce qu’elle n’a humainement aucun sens. Un homme en érection et un despote n’ont rien à voir, c'est clair. Comme du reste n'ont rien à voir non plus la guerre et l’amour ou la sexualité et la mort. Il est inouï de constater comment nos ancêtres ont pu sérieusement et pendant des millénaires relier le sexe et la mort, comment ils ont pu concevoir sincèrement cette absurdité inimaginable d’un couple Eros-Thanatos !!! On a beau les avoir étudiés en long et en large, les fossiles, cette volonté atroce qui était la leur de faire de la mort la condition de la vie nous laisse toujours pantois. C’est pourtant celle-ci qui les a incité à se donner tant de dieux sanglants, sacrificiels ou auto-sacrificiels. C’est cela que raconte leur inepte Bible avec son « déluge » de meurtres originels, de massacres matriciels, de fratricides fondateurs, Caïn et Abel, Abraham et Isaac, Samson et Dalila (toujours des femmes fatales, vénales, virales... On comprend d’où provient leur misogynie à ces enfoirés), sans compter Judas et Jésus – comme si la trahison était l’essence des relations humaines. Qu’est-ce que ce « livre des livres » a pu apporter à l’humanité sinon lui faire croire que sa condition se situait entre les assassinats et les trahisons, les coups de poignards et les bûchers, le tout au nom d’un dieu rédempteur et miséricordieux ? Nous ne sommes pas tordus, nous ! Et c’est pourquoi nous en avons fini avec toute cette folie de la Bible et cette maladie de la littérature. Et puis, l'épilepsie, ça se soigne mon cher Dostoïevski ! »


    old-boy-cut-it-out.png2 – Paroles du futur

    « Mais bien sûr que nous visons le langage ! Bien sûr que nous voulons extraire de lui le pire et garder le meilleur. Car, en effet, le langage est bien, comme l’écrivait votre sinistre Philippe Muray dans Les chiennes de loi,  le lieu du mal, le corps absolu du délit.

    « A bien le regarder, le langage n'est même composé que d'écarts de langages. Tout mot juste peut être considéré comme une insulte. La manière que la langue a de définir ce dont elle parle, donc de tracer des frontières, à commencer par la plus antique de toutes, celle des sexes, ne peut être qu'un affront pour les nouvelles mentalités flexibles et fluides, et une délinquance pour les néo-féministes des Chiennes de garde qui croient lutter contre les "insultes sexistes" mais qui s'emploient, avec bien d'autres, à faire rentrer les mots, tous les mots, à la niche de l'indifférencié. (....) Elles se plaignent que la langue soit immorale, qu' "entraîneur" et "entraîneuse" n'aient pas exactement le même sens, ni "professionnel" et "professionnelle", ni "coureur" et "coureuse". Mais la langue n'est pas morale ou immorale ; elle est ou a été sexuée, c'est-à-dire humaine, c'est-à-dire divisée, c'est-à-dire vivante, c'est-à-dire historique, et là est le scandale. La langue garde les cicatrices de la longue histoire du désir. »

    « Eh bien nous, ce sont ces cicatrices que nous voulons faire disparaître à jamais. Car oui, en effet, c’est par le langage que nous touchons le fond de votre criminelle anthropologie - soit l'abjecte différenciation sexuelle qui fut la vôtre pendant des millénaires, celle incarnée (soi-disant éternellement) par Adam et Eve. Nous qui avons largement dépassé ces archaïsmes savons que les notions d’homme et de femme ne renvoient à aucune réalité originelle – puisque, comme nous l’a appris Judith Butler, la « nature » n’est qu’une idéologie masculine surannée, et la « réalité » une simple représentation phallocrate. Si nous employons encore ces mots de nature et de réalité, c'est par simple usage pratique – même si en effet, nous travaillons à purifier le langage le langage de sa dimension machiste et mortifère. Et d’abord cette abominable expression de   « faire l’amour » qui renvoie substantiellement et exclusivement à l'atroce rapport pénis-vagin – alors que nous savons aujourd’hui que faire l’amour signifie tout simplement s’aimer et de toutes les façons qui soient. Même ne pas le faire, c’est encore le faire. Dans notre nouveau monde, la négative n'est jamais que relative et n'implique aucune négativité effective. Le langage, dont les salopards d’antan faisaient un usage si abusivement restrictif (comme si un mot désignait juste un sens ou une chose), et d’ailleurs si souvent insultant (heureusement l’insulte sera bientôt classée parmi les crime contre l’humanité), s’est complètement libéré - et tel le personnage de Humpty Dumpty de Lewis Carroll (un auteur intéressant mais trop douteux pour qu’on puisse le remettre en librairie), nous sommes « les maîtres du langage et les mots signifient ce que nous voulons qu’ils signifient » - et ce que nous voulons qu’ils signifient avant toutes choses, c’est le respect des droits, la dignité humaine, l'égalité absolu des êtres et des choses. Oui, notre plus grande fierté, c'est d'avoir pacifié le langage. En aucun cas, il ne peut plus être discriminatoire. Un mot qui a une connotation blessante et dont on ne peut rien tirer d'autre est banni du vocabulaire. Et quant à ceux qui nous accusent d'avoir réduit de trois quart l'ancienne langue, nous leur rétorquons en riant le célèbre slogan de notre association SOS Logos : « Mots en moins, maux en moins ».

    « Aux esprits chagrins qui nous accusent d'accélérer la disparition de l'humain, nous répondons que d'une part vie et mort ne sont que deux facettes d'une même réalité et que d'autre part le suicide assisté tend de plus en plus à rentrer dans les mœurs. Quoiqu'il en soit, nous continuerons à nous battre contre tous les séparatistes fanatiques, les bibliques terroristes, les babéliens criminogènes. Quand vous écriviez, Philippe Muray, que « l’épisode de Babel est une insulte à notre idéal de culture interculturelle et transfrontalière », sans le vouloir, vous tombiez juste. Babel est en effet une insulte à notre humanité, un crime contre nos valeurs  et un danger pour notre monde. Comment peut-on contester le noble effort qui consiste à ne plus faire qu'un et à ne parler plus qu’une seule langue ? Oui, nous tendons à abolir toutes les diversités, toutes les frontières, qui sont toujours causes de souffrances et que de la racaille d'écrivains cherche à infliger. Et n'allez pas nous rétorquer que nous sommes parano, c'est eux, les scribouillards qui avouent eux-mêmes qu'ils veulent saborder les mœurs, c’est eux qui répètent à qui mieux mieux que la littérature est faite pour démolir les valeurs du présent, donc de l'avenir. Votre Balzac adoré, que vous citez à tout vat, poussera même l'indignité à dire qu' « indiquer les désastres produits par les changements de moeurs est la seule mission des livres. » Quel aveu de scélératesse assumée ! Et bien nous, notre souci à nous est d'indiquer les désastres produits par les livres dans les moeurs. C’est la raison pour laquelle nous nous sommes aperçus que le seul vrai racisme de notre temps était littéraire. L’écrivain, non content de s’acharner à faire resurgir les blessures enfouies depuis longtemps, est en plus celui qui pousse la haine de l’humain à inventer une nouvelle langue au sein de la sienne, donc à exclure ! L’écrivain écrit toujours dans une langue étrangère à sa langue matérielle, participant ainsi à la babélisation odieuse du monde. Et ce qu’il nomme avec un mépris souverain et heureusement punissable de nos jours, « la langue de la tribu », est ce pour quoi nous nous battons. Que nous importe le style, cette méprise antique, qui n’a toujours été là que pour diffamer, discriminer, détruire ! L’écriture, pour un Homme Authentique, est un moyen pratique de transmettre des informations, ni plus ni moins. En faire autre chose relève de la manipulation.  Muray aurait bien pu nous accuser d’édulcorer le langage, c’est précisément parce que nous savons que les mots expriment souvent des choses indignes ou immorales, et que donc elles le deviennent,  que nous avons préféré nous préserver de tous les auteurs qui risquaient de corrompre la société. Lorsqu'il écrit qu’ « en point d’orgue, il y aura toujours quelqu’un pour dénoncer Sade comme nazi au nom du droit imprescriptible à la lecture au premier degré », nous lui rétorquons qu’en effet personne ne  peut reprocher à quelqu'un de lire comme il l’entend. Par ailleurs, oui, absolument, la lecture au premier degré est au fond la seule authentique. On ne nous le fait pas à nous le coup du « second degré », pas plus que celui de la « distanciation ». Aucun écrivain n'a du reste jamais rien fait que de se mettre en scène, lui et ses pulsions de malade. Comme ils nous font rire alors, ces « auteurs », quand ils disent  qu’ils ne sont pas leurs personnages, alors qu’ils ne sont que ça ! Car l’on ne peut être que soi, c'est prouvé, c'est scientifique, c'est éthique ! Même Gustave Flaubert l’a dit lui-même de lui à propos d’un des romans les plus honteux de l’histoire des hommes et des femmes.  Non, la sacro-sainte « interprétation » ne fut que l'un des plus misérables recours de l’ancienne histoire. La philologie, fausse science par excellence, est une atteinte à la transparence des significations - en plus d'être un monument d'hypocrisie. De toutes façons, un être humain intégralement authentique n'a pas de secret pour ses frères et soeurs. Et c'est comme ça qu'on l'aime. Car heureux, oui nous le sommes. »

    michaeljackson200809.jpg3 – Ni d’Eve ni d’Adam

    Le langage est donc fasciste, c’est-à-dire sexué. Le langage contient en lui l'altérité sexuelle et c’est altérité qu’il s’agit de liquider. Pour nos cathares, surtout s’ils sont gays, il est en effet scandaleux que le masculin l'emporte grammaticalement sur le féminin, abject que des mots n'aient pas le même sens au masculin (« entraîneur ») et au féminin (...), révoltant que la règle « sujet-verbe-complément » (ou dit autrement « sujet-copule-prédicat ») ramène la langue à l'assujettissement de la femme par l'homme. Pour eux qui se définissent comme n’étant ni d’Eve ni d’Adam, une chose leur apparaît sans équivoque : il faut changer ce monde odieusement patriarcal, ce système de pensée qui a aliéné les femmes, exclu les minorités sexuelles, bref, il faut  refonder la condition humaine sans l'ancien paradigme hétéro-fasciste, et pour cela liquider le vieux fond biblique de notre continent. Le symbolique est devenu criminel, l'anthropologique est de l'ordre du révisionnisme, le bon sens est obscène. Tout ce qui faisait le propre de l'homme relève désormais de la délinquance. Penser le réel, c'est être fou ou raciste. Comme l’écrivait encore Muray dans La génération lyrique :

    « Pour la première fois dans le monde, c'est la faculté de raisonner qui doit présenter des arguments pour sa défense, et même des excuses. C'est la capacité de juger, et c'est le pouvoir de définir des principes explicatifs, qui doivent plaider leur propre cause et tenter de se disculper. L'entendement lui-même n'est plus qu'une hypothèse, ou une survivance un peu désuète. Le propre de l'homme ancien est devenu une sorte de délinquance, et même un début de terrorisme à surveiller de près. »

    Le propre de l'homme nouveau est d'être un mutant, soit une créature qui aurait aboli toutes les frontières, un noir qui voudrait devenir blanc, un être sexué qui voudrait devenir androgyne, un adulte qui rêverait d'être un enfant - cette créature a existé, elle s'appellait Michael Jackson. Le monde entier l'a pleuré, car le monde entier avait perdu son idéal de transhumanité.


    II - La confusion des sexes

    Surtout, il faut « en finir avec la sexualité, son trouble, sa passion, sa part de souffrance et son envers de mort ». Et c'est ici que Michel Schneider et sa Confusion des sexes prend le relais et que nous retrouvons le sens initial de la phrase de Freud. Le sexe, en effet, c'est ce dont nous nous défions le plus aujourd'hui. Toutes nos tergiversations pour ne pas rencontrer l’autre. Toutes nos migraines ou nos crises de boulimie pour ne pas nous coltiner à l'effort d'aimer. Toute notre énergie à devenir impuissant, frigide ou pervers pour ne pas avoir à affronter « cette réalité de la différenciation sexuée » qui de tout temps constitua le plus grand bonheur de l'humanité autant que son plus grand fardeau. Bénédiction et malédiction du sexe. Qui d'entre nous ne s’est pas dit un jour que le sexe était le sel de la vie, même si ses expériences personnelles avaient été d'une grande fadeur ? Qui d'entre nous n’a pas été obnubilé par le sexe que ça marche ou ne marche pas ? L'amour, c'est encore ce que nous avons fait de mieux dans notre vie - et le diable sait que Dieu ne nous a guère aidé sur ce plan.

     

    Beaux gosses.jpg

    1 – Matriarcat et pédophilie

    Il est vrai que le système matriarcal actuel (celui que Schneider appelait dans un autre livre, « Big Mother ») ne nous aura pas facilité la tâche. L'obsession d'abolir les sexe, la croyance qu'ils n'ont en fait jamais existé et qu'ils ne furent que des produits socioculturels que l'on est en droit sinon en devoir d'évacuer, le fantasme maso-féministe que « l'homme est une femme comme les autres », comme le prétendait un mauvais film avec Antoine de Caunes (alors qu'évidemment, c'est la femme qui est un homme comme les autres), tout cette idéologie incestueuse et régressive qui est nôtre ne pousse pas à la volupté de vivre et encore moins de grandir - sans compter qu'à force d'infantilisation permanente, la société finit par se pédophiliser pour de bon. « La montée réelle des comportements pédophiles s'explique par l'effacement de toute idée de devenir, de maturation, de stades de développements psycho-affectif et sexuel. Vieillissant et ayant peur de vieillir, les sociétés comme les individus retombent en enfance », expliquet Schneider page 58. Pour autant, ne confondons pas, comme le font les psys, les puritains et de plus en plus de politiques, fantasmes et réalité. En psy orthodoxe qu'il est, Schneider précise que si « les comportements pédophiles sont moralement condamnables et relèvent d'une psychologie sexuelle perverse, les pensées et les fantasmes ne devraient pas être qualifiés d'actes sur le plan pénal », ce qui dans notre société à la fois transparente et procédurière risque d'aller de moins en moins de soi. Car dans un monde où le mal n'existe plus (c'est-à-dire est considéré comme non humain) et où tout ce qui existe ne l'est que par permission, dans un monde où l’être a été totalement investi par le légal, toute pensée mauvaise, tout fantasme mortifère, et par extension toute oeuvre d'art mettant en scène des pulsions inavouables, devient problématique. Il n'est pas sûr que Visconti pourrait aujourd'hui réaliser Mort à Venise. Et Tex Avery,  considéré comme fantasmatiquement raciste et sadique, donc l'étant réellement, a déjà été amputé[1].

    Dès lors que l'on commence à penser les choses sans média, c'est-à-dire sans le conflit du « ça » et du « surmoi » à l'intérieur du « moi » (et qui n'est autre que l'ancien conflit religieux du diable et de Dieu à l'intérieur de l'âme), la seule lecture possible est celle du premier degré. Dès lors que l'on exige une adéquation parfaite entre l'intérieur et l'extérieur, le latent et le patent, le désir et son passage à l'acte, et nous allions dire le féminin et le masculin, la seule réalité légitime est celle, bizarre, pathologique d'une immanence absolue et rationnelle. Dire quelque chose, c'est la promouvoir. Pour nos lecteurs du premier degré, Sade promeut le sadisme comme Dostoïevski promeut l'idiotie. Quant à Shakespeare, il est du côté de Richard III, c’est clair. Le texte n'a plus en lui cette ancienne potentialité qui permettait qu’on le lise ou qu’on l’interprète selon sa singularité. La seule interprétation qui vaille est celle du code civil. De même le nouvel être humain, « post-humain », pourrait-on dire. Il n'est plus ni flou ni fluide. Il existe entièrement sans choses à cacher ou à révéler. Il est un bloc de réalité rationnelle et morale. Une incarnation authentique, positive, archangélique, transparente. Telle est cette protestantisation du monde qui n’en finit pas de triompher : une ontologie entièrement légalisée (donc pénalisable) où l'on admet tout à condition que cela soit codifié, prévu, permis et surtout effectif aux yeux de tous. Adieu « la duplicité, la contradiction, le flou, la diversité, les faux-semblants et toute la comédie irresponsable des malentendus jamais résolus »[2] ! Comment y résister aussi ? Dans le monde protestant, tout est résolu, vertueux, hygiénique, responsable. Tout y est à l’image de Bree Van de Kamp – cette Eve Future pour qui nous nous damnerions ! Car nous avons beau maugréer contre l'empire du bien, nous sommes désarmés devant cette souveraine « desperate housewife » dont le sens de l’impeccabilité et de l'intransigeance victorienne picotent dangereusement nos sens.


    Bref, le nouveau monde se met en place. D'un côté, nous avons les néoconservateurs et leur positivisme puritain où le vice n'a pas lieu d'être. De l'autre, les cathares manichéens où le vice est devenu une vertu. D’un côté, les intégristes, de l’autre, les désintégrés. Dans le premier cas, l'homosexualité est un péché mortel qui mérite le bûcher ; dans le second, elle est une altérité sexuelle aussi digne et aussi normative que l'hétérosexualité. Ici, des prêtres envoient en enfer les pédés, là, des prêtres pédés se marient. Ce sont ces derniers qui nous occupent. Nul mieux que l'homosexuel militant n'illustre en effet la célèbre pensée de Pascal :

    « D'où vient qu'un boiteux ne nous irrite pas, et un esprit boiteux nous irrite ? A cause qu'un boiteux reconnaît que nous allons droit, et qu'un esprit boiteux dit que c'est nous qui boitons ».

    On l'aura compris : si l'homosexuel est le boiteux, c'est le gay qui a l'esprit boiteux. C'est lui généralement qui nie la différence sexuelle, affirme une pluralité des sexes, déconstruit les identités réelles pour en construire des imaginaires, dénie la notion de « perversion » bien trop ringarde de nos jours, préfère parler de « goût sexuel », défend l'idée que chacun peut fonder sa propre origine, bref, explique que tout est dans la nature sauf la nature. On reconnaît là le principe pervers par excellence, celui d'inverser les réalités et de faire croire que ce que l'on désire est désirable, « normal » ou va de soi et que « l'on ne voit pas du tout où est le problème ». Le problème est précisément dans cette confusion des sexes qu'entretient le pervers. Et c'est là, comme le dit Schneider, la différence capitale entre « le névrosé qui reconnaît la différence des sexes, quitte à chercher à s'en affranchir par ses symptômes » et le pervers qui « oppose un désaveu, un démenti » (p 74) à celle-ci. Est pervers donc non pas celui qui souffre de perversions sexuelles (dont il est évidemment innocent) que celui qui dit que ses perversions sexuelles n'en sont pas et au contraire constituent le nec plus ultra des relations humaines. Est pervers celui qui désire, en fait qui exige, que ses désirs deviennent des réalités sociales normatives et surtout légales. Est pervers celui qui demande au social de s’adapter à son orientation sexuelle, et de faire de son esthétique une éthique. Quant à l'enfant (que les homosexuels désirent avoir sans avoir à le faire - il est bien là le problème), qu’il soit très content d'avoir deux papas, quatre mamans, sans compter une demi-douzaine de patronymes auxquels s'en ajouteront d'autres au fur et à mesure des unions et des divorces.


    Dernier Tango à Paris.jpg2 – le nom du père


    Le nom du père, quelle histoire ! Là-dessus, Michel Schneider est lumineux. « Le nom du père, c'est ce presque rien que transmet le père pour que la mère ne soit pas tout. (...)  c'est ce qui signifie que l'enfant n'est pas une chose, un bien, une possession de la mère. Qu'il y a au moins quelque chose que la mère n'a pas donné. Mais ce nom du père ne signifie pas davantage que l'enfant est possédé par le père. Il est la trace en soi d'un autre, parce qu'il est la trace en la mère d'un désir paternel » (p 87). Pauvres enfants qui portent le nom de leur mère et qui n'ont plus aucun manque à vivre - qui n'ont plus aucun désir à être. Car une mère qui donne à son enfant le nom de son père à elle commet un inceste symbolique avec l'un et l'autre et instaure une de ces généalogies consanguines dont Sade avait le secret (« il épouse sa fille, a un fils d'elle qu'il fait enculer par son frère, lui-même n'étant que le fils qu'il a eu avec sa sœur »...). Ce qu'il faut comprendre, c'est que du fait de la différence des sexes, le régime de filiation est nécessairement « dysharmonique » (Levy-Strauss), et que si c'est la mère qui donne la vie, c'est le père qui ouvre au monde. Or, le nom, c'est le monde, ou plus exactement, c'est ce qui existait avant que j'arrive, c'est ce qui ne naît pas avec moi et du coup me donne une solidité, un appui social, une présence intangible dans le monde et fait de moi autre chose qu'une excroissance de ma mère. Enfin, comment désirer l'autre sexe si je porte le nom de ma mère ? Le nom du père porte le désir de l'autre et c'est ce désir que la mère tend à rendre impossible par l'effacement du père et de son nom. Pourquoi désirer puisque l'on est si bien avec maman - et cela en étant en bonne entente avec elle ou brouillé à mort ? Même quand on hait sa mère, c'est encore elle qui tient la laisse de notre désir. Bien des psys s'accordent à dire que l'homosexualité est l'une de ses laisses. Et l'on comprendrait presque le désarroi sinon la colère de l'homosexuel qui s'entend dire, lui qui généralement « adore » sa mère, que celle-ci est la responsable, inconsciente ou non,  de son homosexualité.

    Ajoutez ensuite que dans les relations hétéro, c'est l'homme qui prend la femme et c'est la femme qui adore être prise (avec évidemment un nombre infini de nuances et de paradoxes), et vous provoquerez en lui le dégoût prototypique de sa singularité. Car ce que le gay ne peut décemment supporter, et le rend si réactivement féministe, est le désir forcément dominant de l'homme sur la femme forcément soumise. La violence sexuelle pour lui  ce n'est pas simplement le viol et les coups, c'est le désir masculin. Or, si

    « ... les violences sexuelles doivent être sanctionnées, la violence du sexe ne saurait être éradiquée. Il n'existe pas de sexualité sans violence et ceux qui rêvent du contraire oublient qu'ils ne seraient pas là si un jour, un homme, leur père, n'avait pas pris, avec une certaine violence, une femme, leur mère. Prendre, non au sens de violer son corps mais de désirer son désir. Le désir n'est pas une relation égalitaire accordant deux volontés en un contrat. Psychiquement, pour les hommes qu'il emporte dans la conquête sexuelle comme pour les femmes qui cherchent à le susciter, il comporte toujours une part d'agressivité, de ravalement de l'objet sexuel à côté de son idéalisation. » (p 99)

    Et c'est pourquoi le langage de Guitry n'est pas « misogyne » (pas plus que le monde n'est « patriarcal ») mais qu'il est bien sexué, amoureux, désirant. Il n'y a que pour les hommes qui n'aiment pas les femmes et les femmes qui n'aiment pas les hommes que le monde obéit à un système de mâle dominant. Le coït lui-même devient l'acte innommable et dont on doit absolument diminuer l'importance par rapport aux caresses, coups de fouet, et autres baisers sur le front - non que tout ne soit pas érogène dans la psyché humaine, bien au contraire, mais il reste évident que c'est lorsqu'on entre réellement dans l'autre ou que l'on capture celui-ci (selon que l'on soit un homme ou une femme) qu'on le et qu'on se tue symboliquement, et ce faisant, que l'on s'aperçoit que la vie vaut d’un coup (de rein) le coup d'être vécue.

    « ... dès lors qu'il y a pénétration du corps, écrit Schneider, il y a effraction du psychique. Consenti ou pas, le rapport subi désintègre plus ou moins le moi, altère la personne, désubjectivise le sujet. La sexualité attire l'un vers l'autre des sujet qui veulent tous deux être réduits à n'être que des objets et traiter l'autre comme un objet. » (p 100)

    harvey milk.jpg3 – Droits et attributs (la question gay)

    Réduire la femme à un objet, c'est ce que refusent de faire (alors qu'ils ne font rien) les hommes impuissant et les femmes frigides - pendant que les sadomasos en font peut-être un peu trop (sans pour autant baiser) et que les homosexuels s'imaginent qu'ils baisent. Plus que le propre de l'Homme, la sexualité est donc bien le « le sale » de celui-ci. Et sans aller jusqu'à paraphraser le Baudelaire de Fusées pour qui « la volupté unique et suprême de l'amour gît dans la certitude de faire le mal », impossible d'éradiquer ce qu'il y a d'impur, de violent, et de bas dans le sexe. Et c'est la raison pour laquelle féministes, gays et... socialistes (la bête noire de Schneider, comment lui en vouloir ?) passent leur temps à parler... d'amour. « L'amour, c'est sous ce nom que le sexe a droit de cité » (p 108). L'amour, cache-sexe, et comme ce qui permet n'importe quoi - et notamment l'adoption des enfants par les homosexuels, comme si seul l'amour suffisait. L'amour qui permet d'aller au-delà des identités, des sexes, des désirs. L'amour, tue-désir. L'amour que l'on veut pur de toute souillure socioculturelle alors que l'on fait de la différence des sexes le résultat de cette souillure - alors que l'on serait en droit de penser que c'est juste le contraire, et que c'est l'amour qui suit le désir. De toutes les façons,

    « Que la différence des sexes soit socialement construite et historiquement déterminée, en quoi cela implique-t-elle qu'elle n'existe pas ? Dire qu'elle est un résultat de l'histoire est une chose ; affirmer qu'elle n'est que cela en est une autre. Elle prend un sens différent selon les époques mais existe dans toutes les époques et toutes les civilisations comme UN INVARIANT HORS DU TEMPS. »(p 118-119)

    Et c'est cet invariant que l'on veut éradiquer au nom de l'égalité sexuelle, en oubliant que « toute différence n'est pas une inégalité, toute inégalité une discrimination, toute discrimination une injustice. » C'est la raison pour laquelle, et sans aller jusqu'à dire que l'homophobie est une imposture intellectuelle et morale comme le fait Tony Anatrella (il y a vraiment des cassages de gueule et des meurtres de gays), force est de constater que si l'homosexualité a toujours fait horreur à toutes les sociétés du monde, comme l'inceste ou le meurtre, c'est parce qu'on voyait en elle une négation de la vie - la vie qui, nous le rappelons sans acrimonie, est hétérosexuelle. Inutile donc de nous rebattre les oreilles avec l'idée qu'on ne supporte pas la différence sexuelle puisque c'est l'homosexualité, « ce vice destructeur de l'humanité s'il était général » comme la qualifiait Voltaire, qui la nie. Ne confondons pas la résistance aux revendications illégitimes et absurdes des homosexuels  avec la vraie homophobie, celle qui veut casser du pédé, qui a une conduite meurtrière d'ailleurs punie par la loi. Au fond, l'homophobe n'est qu'un fanatique superstitieux qui veut la peau des homosexuels comme les bonnes gens d'antan voulaient la peau de l'hérétique, frappaient le bossu ou se moquaient des aveugles - réactions indignes et criminelles que l'on a heureusement fini par blâmer puis par punir mais sans admettre pour autant que l'hérésie valait l'orthodoxie ni que la cécité valait la vue.  Or, aujourd'hui, c'est comme si les aveugles demandaient non pas tant le droit d'être des citoyens comme les autres (ce qu'ils sont évidemment), mais d'avoir le droit de conduire comme les voyants. En fait, quand les homosexuels disent vouloir les mêmes droits que les hétérosexuels (comme se marier et avoir des enfants), ils ne réclament pas tant des droits que des attributs qu'ils n'ont pas. En une mécanique de pensée extrêmement perverse, ils réclament une égalité de traitement que leur être profond nie depuis toujours. Et ils traitent d'homophobe quiconque ose leur faire remarquer que c'est bien parce qu'ils sont des citoyens comme les autres qu'ils n'ont pas accès aux désirs qu'ils se sont eux-mêmes interdits.

    En bref, un enfant se fait avec les deux sexes. Si vous n'aimez pas l'autre sexe, éclatez-vous avec le vôtre mais ne venez pas réclamer quelque chose que vous refusez de faire ; n'exigez pas que l'on vous accorde ce que vous pourriez vous accorder vous-même si vous le vouliez ; ne demandez pas aux autres qu'ils fassent l'amour à votre place ; comprenez qu'il y a une indignité à mettre sur un pied d'égalité des gens qui peuvent faire un enfant et qui ne le font pas et des gens qui font tout pour le faire et ne le peuvent pas ; acceptez les conséquences de votre être et les limites de votre désir ; soyez vous-même, ne faites pas semblant d'être autre.

    Bibliographie :

    Marcel Schneider, La confusion des sexes, Flammarion.

    Jean-Joseph Goux, Renversements, Editions des femmes, Antoinette Fouque.

    Philippe Muray, Exorcismes spirituels III, Les belles lettres.

    George Steiner, Passions impunies, Folio.

     

    Cet article est paru dans Les carnets de la philosophie n°8 (juillet-août-septembre 2009)

     

    ET C'EST MA TROIS-CENTIEME

     

    NOTE !



    [1] Dans le coffret Warner Bros, édité en 2003 et censé contenir « l’intégrale » des dessins animés que ce génie réalisa, sept courts métrages ont été amputés d’un ou plusieurs plans (ceux qui présentaient une caricature africaine après une explosion) et deux courts métrages totalement évincés ! Il s’agissait pour la MGM de ne pas s’attirer les foudres des communautés africaines et de ne pas risquer un procès. Adieu donc à « Oncle Tom » et « Oncle Louis ».

    [2] Exorcismes spirituels III, « L’espace-France », p 236, Les belles lettres.

    Lien permanent Catégories : In memoriam Philippe Muray Pin it! Imprimer