D'après le chapitre Interregnum de Poésie et Terreur, le grand classique de Marc Fumaroli consacré à Chateaubriand. Et toujours avec l'indispensable Gabriel Nerciat.
1 - Les ennemis.
On a voulu voir en Chateaubriand un opportuniste, un égocentrique, un intriguant – en plus d'un queutard limite entretenu. On lui a dénié le droit de n'avoir rien d'autre que des blessures d'orgueil – alors qu'il en eut surtout de civiles. Chateaubriand a souffert dans sa chair et son âme du destin de la France. Un frère et une belle-soeur guillotinés sous la Révolution, et lui exilé, un cousin exécuté sous l'Empire, lui-même deux fois deux fois désavoué et viré sous la Restauration, arrêté et emprisonné – une nuit de garde à vue, certes, mais une nuit suffit à vous faire frôler la mort et le néant - pendant la Monarchie de Juillet. Rejeté par tous les nouveaux régimes et surtout ceux qu'il voulait servir. Accusé, surtout, de jouer sur tous les tableaux : trop libéral pour les ultras, trop ultra pour les libéraux, « incohérent » pour tout le monde.
Pour les radicaux des deux camps, les obtus, les droits dans leurs bottes, les d'un bloc, son positionnement était incompréhensible, donc suspect. Pour les professionnels de la politique et de la théologie, il est apparu comme un type pas sérieux, un dilettante, un imposteur. Pire, on a même été lui chercher des poux dans sa littérature. Trop stylée pour être honnête. Trop à la mode pour durer. Il est clair que sans les Mémoires, Chateaubriand serait resté pour la postérité un séducteur, un poseur, un faiseur – et même si bien des indices vont dans le sens contraire (correspondances, amitiés, écrits politiques.)
Au XX ème siècle, Maurras crache sur lui, ce « naufrageur » de la Restauration, ce « pilleur d'épaves », et Sartre lui pisse dessus. S'il y a les infréquentables (Sade, Maistre, Rebatet et les autres) dont on se vante, il y a les irrécupérables que l'on fuit.