La loi, rien que la loi, toute la loi, argueront les Javert de circonstance, trop gais d’apprendre la décision du Tribunal d’Instance du 15ème arrondissement d’expulser Frigide Barjot et sa famille de leur logement sous un délai de quatre mois. Nul n’est au-dessus de la loi et surtout pas une agitateuse qui a failli faire vaciller une loi qui fait vaciller l’ordre anthropologique.
Imaginons que les époux Tellenne aient été un peu légers sur le statut de leur logement, ce qui ne semble pas le cas au vu des documents qu’ils ont produits. Mais imaginons : si la loi était si légale que ça, elle aurait dû être appliquée il y a trente ans et non pas aujourd’hui. Jusqu’à présent, on s’en foutait de Jalons, de Frigide, de Basile, et de ce qu’ils pouvaient faire de leur appartement – combien d’auteurs, de monteurs, de photographes ou d’artisans dans leur cas ?
Le truc, c’est que l’on ne s’en fout plus du tout depuis un an. Il est vrai que la Manif pour Tous, avec Barjot à sa tête, était en passe de devenir un réel contre-pouvoir, une étonnante force de pure orthodoxie réunissant des gens de différentes obédiences, religions et ethnies. La Manif pour Tous version Barjot, c’était le surgissement d’une France réelle et plurielle n’en pouvant plus de la France officielle et univoque. Normal qu’on ait voulu faire la peau à celle qui était susceptible de rassembler les énergies, unifier les gens de bonne volonté et cliver les extrêmes, se faisant traiter de “facho” à gauche et de “travelo” à (l’extrême) droite. Bobo de droite si l’on veut, catho branchée comme elle se définissait elle-même, ex-star du Banana Café, Frigide Barjot fut ce météore de la vie publique de l’an dernier, très au fait du fonctionnement médiatique et représentant par là-même un danger certain, car capable de débattre comme il se doit avec les marchands de mode (et de genre) du temple. Cette femme sans haine attisa la leur.
On chercha alors la petite bête, on éplucha les contrats jusqu’à ne plus dormir afin de découvrir à tout prix l’alinéa qui pourrait causer sa chute – et le plus vite possible. De l’aveu même de l’avocat de la Régie immobilière de la ville de Paris (RIVP), c’est la notoriété de Barjot qui conduisit à enquêter sur elle. Anonyme, on l’aurait laissée tranquille. Partisane du Mariage pour Tous, on aurait carrément baissé son loyer. Peu importe qu’elle ait été entre-temps virée de son mouvement qui sans elle ne pouvait que redevenir une secte d’intégristes – et par là-même ne plus représenter aucun danger pour les prêtres de la nouvelle inhumanité.
Il fallait se venger. Il fallait en finir avec celle qui avait osé rappeler que c’est grammaticalement qu’il ne saurait y avoir de mariage entre deux personnes du même sexe. Cette expulsion est donc bien une décision, pour ne pas dire une exécution politique. Ce n’est pas la supposée indélicatesse immobilière de Barjot que l’on sanctionne, c’est son engagement moral, sa tentative de résistance à une aberration sociétale, son courage sacrificiel.
Mais il faut en prendre acte et désormais faire attention à ce que nous pouvons penser et dire. Ne jamais s’attaquer de front à une réforme sociétale imposée par une minorité – telle est la leçon antirépublicaine de cette très gerbante condamnation. Respect, Frigide !