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Trainspotting à Lyon Perrache.

medium_milan.jpgMais qui est donc ce Milan Dargent dont personne ne parle ? Un enfant des années soixante-dix qui raconte comment les Rolling Stones ont donné un sens à sa vie ? Un ex-jeune qui se souvient avec nostalgie de ses années vinyl ? Un adolescent qui a rêvé d’être célèbre comme Mick Jagger et qui, vu la longévité de la carrière de ce dernier, en rêve encore ? Un peu de tout cela.

Si la littérature peut faire aimer les choses que l’on n’aime pas dans la vie, alors ce petit livre est une réussite épatante. Pour l’auteur de ces lignes qui n’a jamais pu supporter le rock, la drogue et le sexe, cette Soupe à la tête de bouc était difficilement ingurgitable. Et pourtant, le trip a pris. C’est que Milan Dargent –quel patronyme stendhalien !- est un « trainspotter » de chez nous. Un lyonnais transmuté à la sauce stonienne. Un Monsieur Brun’s sympathy for the devil, car c’est au « pays des quenelles et de Guignol » que le plus grand groupe de rock du monde vient jouer ce 09 juin 1976.

Tout le charme de son livre tient en ce mélange incongru de culture anglo-américaine et de franchouillardise assumée. C’est sous l’égide de Charles Perrault, autant que d’Irwin Welsh, que Dargent raconte son épopée rockeuse : « Ce soir, ils ont choisi une forêt de contes de fées. Sombre et mystérieuse, avec des arbres géants dont les branches ressemblent à des tentacules. Le genre de forêt où on a dû réintroduire des loups et des rapaces. Bon, il est vrai qu’on n’est pas là pour rigoler, on est dans une free party hardcore. » Le ton est donné : le narrateur prend des airs de D.J satanique mais reste jusqu’au bout un Petit Nicolas égaré dans le Pays Imaginaire des guitares électriques. Et les nombreux titres anglo-saxons apparaissent comme autant de sortilèges et de maléfices délicieux. C’est ainsi que se mélangent Black and Blue et l’allée Pierre de Coubertin, Honky Tonk Women et l’avenue Jean Jaurès, Street Figthing Man et la rue Jean-Pierre Chevrot, Sticky Fingers et l’arrêt à Perrache.

Son texte n’en demeure pas moins fébrile et enivrant dans la grande tradition du roman rock. Avec ses chapitres conçus en pistes CD, ses bruits de batterie, « KLANG KLANG KLANG KLANG KLANG », ses solo rayé : « number nine… number nine… number nine », ou sa typographie amusante (le « trou noir » que provoque une prise d’acid est vraiment un trou noir sur la page blanche), Milan Dargent trouve sans peine le style physique qui rend compte à merveille des sensations d’un concert de rock, des effets de drogues, des filles qui obsèdent, et du grand tournis qui finit par faire tourner la tête au lecteur. Quand l’écriture fait du corps à corps, l’écrivain a gagné.

La rencontre avec l’idole sera forcément décevante. Que dire à son dieu, sinon qu’on veut secrètement lui ressembler ? C’est le côté Podium de Milan Dargent. Avoir voulu, lui aussi, en être.

Plus dure sera la chute, c’est-à-dire la vie réelle. C’est avec un ton quasi houellebecquien que Dargent rapporte la suite de son existence d’insatisfait fou de Satisfaction et qui n’aura jamais sa place sur la piste : « Mick, tu sais ce qui m’attend demain ? Je vais pointer au bureau et près de la machine à café un collègue va me serrer la main en me demandant « comment ça va ? » Et tu sais ce que je vais lui répondre à ce collègue ? Je vais lui répondre « comme un lundi » comme chaque lundi. »

Le lundi, on ne travaille pas en France.

(2005, Le Journal de la culture.)

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