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scott fitzgerald - Page 2

  • Neuf notes (et plus) sur Gatsby

    scott fitzgerald,gatsby le magnifique

     

    0 - Livres de jeunesse

    Les livres de jeunesse ne se comprennent que vieux (voir Le Grand Meaulnes). A vingt ans, Gatsby m'était tombé des mains. J'étais totalement étranger à cet univers de paillette, d’argent et de romantisme d'outre-Atlantique. Grâce au film de Baz Luhrmann, j'ai totalement changé d'avis et j'en suis bien aise. Bon, c'est entendu, le film manque singulièrement de fantômes, de charleston, et surtout d'incarnation féminine, mais tel qu'il est, décoratif, flamboyant, grossier, il ne manque pas de charme. En fait, il exagère Gatsby, mais je crois qu'on ne peut qu' exagérer Gatsby. Tant pis, pour l'art impressionniste, « féminin » de Fitzgerald qui fut toujours de rendre la violence avec délicatesse. On a affaire à un Gatsbyland plein de chantilly et de points sur les i. Ainsi de la fameuse scène où il est écrit que Gatsby faisait là « la tête d'un homme qui avait tué quelqu'un ». Dans le film de Clayton de 74, vaporeux, élégant, à la limite de la fadeur, Redford restait immobile et muet et paraissant d’autant plus inquiétant. Dans le Luhrmann, Caprio hurle à se défigurer et a tout de même la tête d’un homme qui aurait tué quelqu’un. Dans les deux cas, le texte est respecté à la lettre.

    1 – Epoché.

    Sous le signe de l' époché, de la suspension de jugement. L’art du roman est là. Ne pas juger. Surtout les jeunes gens dont l'identité relève souvent du plagiat de personnalité. Il est vrai que la fracture sociale est aussi une fracture mondaine et qu'il faut toujours tenir compte du fait que « le sens des convenances fondamentales [est] inégalement distribué à la naissance ». Le problème de Gatsby est d'avoir voulu liquider la sienne. Etre un autre. Etre un riche. En être. Comme Scott lui-même, tel K. devant le Château, disait Roger Grenier.

    Ecrire comme Nick Carraway.

    Ce que dit Daisy de la naissance de sa fille, qu'elle espère qu'elle sera une ravissante idiote (Zelda aurait dit la même chose de la leur.)

    1' - Nature morte.

    Tout est nature morte dans Gatsby. Tout menace de s'effondrer à tout moment. Les deux femmes sur le canapé : Daisy et Miss Baker qui semblent flotter dans une nacelle, une mongolfière qui s'envole dans les airs avant de revenir à terre.

    Daisy. « Elle était allongée de tout son long à l'une des extrémités du canapé, dans une complète immobilité, le menton légèrement levé comme si elle s'efforçait de faire tenir en équilibre quelque chose qui menaçait de tomber. »

    Daisy et le 21 juin. « Est-ce que vous ne guettez pas le jour le plus long de l'année, et puis chaque fois, vous le manquez ? » L'une des plus belles phrases du monde.

    Les accents tchékhoviens de Daisy : « Raffinée... Seigneur ! Voilà ce que je suis, raffinée ! »

    La traduction littérale de Jarwoski qui fait le tour de force de rendre compte des métaphores les plus improbables : « Puis, l’embrasement s’éteignit peu à peu, chaque lueur abandonnait ses traits à regrets, avec lenteur, comme des enfants au crépuscule quittent la rue où ils se sont tant amusés. » Ou comment frôler à chaque phrase l'effondrement et le merveilleux.

    « Le corps cruel » de Tom Buchanan.

    La lumière verte et le geste mystérieux de Gatsby qui fait "viens, viens" de la main.

    2 - Première violence

    Le paysage cendre. La ferme cendre. Les hommes cendres - et les yeux du Dr T.J. Eckleburg qui, du haut de son affiche, surveille le monde. Un roman écrit comme un scénario.

    Mrs Wilson, maîtresse de Tom. « Son rire, ses gestes, ses propos devenaient à chaque instant plus violemment affectés, et comme elle se répandait, le salon rapetissait en proportion, au point qu’elle semblait tournoyer sur un pivot abominablement grinçant dans l’atmosphère enfumée. »

    L'enivrement qui commence. La nature morte qui tremble et va s'écrouler.

    Carraway dépassé : « J’étais dedans et dehors, fasciné et écœuré tout à la fois par l’inépuisable diversité de la vie. »

    Le clash dans le salon. Tom qui gifle sa maîtesse et lui casse le nez. Première blessure. Il y en aura des dizaines d'autres.

    La violence et l'ivresse. Personne ne semble prendre cas de cet horion. Le texte lui-même devient ivre en fin de chapitre. Les tentations faulknériennes de Scott.

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    3 – Oranges et citrons.

    Les fêtes commencent. Les jardins bleus. La musique jaune cocktail. Les deux jeunes femmes à la robe jaune, « Albertines » s’il en est. Les lumières partout. A rapprocher de la première soirée d'EWS.

    Le sourire de Gatsby : « c’était un de ces sourires rares qui ont le don de vous rassurer à jamais, et qu’il arrive que l’on rencontre quatre ou cinq fois dans une vie. Il se portait – ou semblait se porter – un instant sur le mode extérieur tout entier, puis se concentrait sur vous, sur vous seul, avec un irrésistible préjugé en votre faveur. Il vous comprenait dans la mesure exacte où vous vouliez être compris, croyait en vous comme vous auriez aimé croire en vous-même, et vous assurait qu’il avait exactement de vous le sentiment que vous souhaitiez, au meilleur de vous-même, donner à autrui. » (David Spoken pourrait être être ça.)

    Ce monde mondain qui menace de chuter à tout moment. Encore la nature morte – « Quand L’histoire du monde racontée par le jazz eut pris fin, des jeunes femmes laissaient retomber leur tête sur des épaules d’hommes à la manière câline des chiots, des jeunes femmes jouaient à s’évanouir dans des bras d’hommes, ou même au milieu d’un groupe, sachant bien qu’il se trouverait quelqu’un pour arrêter leur chute. ».

    Le premier accident de voiture à la fin de la soirée, première annonce de l’accident final.

    Miss Jordan Baker, la tennesswoman « incurablement malhonnête », mais « On ne condamne jamais très sévèrement la malhonnêteté d’une femme. » Mon personnage préféré interprété par la sublime Lois Chiles dans le Clayton (les femmes dans le Caprio sont ratées.)

    Seconde annonce de l’accident. Le déterminisme tragique.

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    4 – Morts violentes. 

    Liste des mondains morts de mort violentes, l’un qui s’est noyé, l’autre qui s’est bagarré, le troisième ivre qui s’est fait écraser la main par une voiture, le quatrième qui s’est jeté sous une rame de métro – la violence latente de ce monde bling bling.

    A sa grande déception, Nick s'aperçoit que Gatsby n’a pas grand chose à dire // Déception du Narrateur devant la Duchesse de Guermantès.

    Le corbillard qui les dépasse. La mort annoncée partout, tout le temps.

    Wolfshiem, le maffieux et ses molaires.

    Encore une annonce d’accident, la troisième (et quatrième si on compte la main écrasée par une voiture.)

    La maison en face de l’autre. Tout est écho, doublure, gémellité, miroir - et mort.

    5 – Folies de chemises.

    « J’aimerais tant attraper un de ces nuages roses et vous mettre dedans, puis vous pousser au loin », dit Daisy à Gatsby. Ca pourrait être niais, c'est bouleversant (et érotique). Un romantisme qui marche.

    « La colossale vitalité des rêves » de Gatsby à côté desquels Daisy ne peut pas être à la hauteur.

    « Nul feu, nulle glace ne rivalisera jamais en intensité avec la foule des chimères qui se pressent dans un cœur d’homme. »

    « Un chose est vraie et rien n'est plus vrai. Les riches font du fric, les pauvres font...des gosses. » (chanson)

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    6 - Tentation de la reprise.

    « S’il faut dire la vérité, Jay Gatsby, de West Egg, Long Island, naquit de la conception platonicienne qu’il avait de lui-même. »

    Il ne boit pas, ce qui est important quand on vit au milieu de soiffards.

    « "- Pas revivre le passé ? s’écria-t-il, incrédule. Mais si, bien sûr qu’on le peut !" Il promena autour de lui un regard éperdu, comme si le passé se cachait là, dans l'ombre de sa maison, mais pas tout à fait sa portée. »

    Son ivresse, son passé, son secret. Revivre ce qu'il n'a jamais vécu. Parce que lorsqu'on veut revivre son passé, c'est qu'on ne l'a pas vécu, on n'a fait que passer à côté et/ou en rêver. On veut faire de son âge de plomb un âge d'or qui n'a jamais existé. Et provoquer les mêmes envies, les mêmes réminiscences chez les autres. Susciter le temps perdu chez tout un chacun. Temps perdu, temps enchanté. Meaulnes, aussi, était comme ça.

    « … sucer le sein de la vie, avaler à pleine gorge le lait incomparable de l’enchantement. »


    7 – «... mais je t'aimais toi aussi. »

    La grande scène d'explication à quatre. D’abord chez lui, puis en ville. Chaleur étouffante. L’échange de voitures.
    Aimer deux hommes à la fois. Aimer Gatsby, « aussi » - le terme le plus blessant.

    8 - « Cette fièvre légère et douce... »

    « Car Daisy était jeune, et son monde artificiel fleurait les orchidées, les plaisirs aimables du snobisme, les orchestres qui donnent à l'année ses rythmes, résumant dans des airs nouveaux la tristesse et les désirs de la vie. Toute la nuit, les saxophones faisaient entendre la complainte désespérée du Beale Street Blues, tandis que cent paires d'escarpins d'or et d'argent soulevaient la poussière brillante. A l'heure grise du thé, il y avait toujours des chambres où palpitait continûment cette fièvre légère et douce, tandis que des visages frais allaient et venaient comme des pétales de rose poussés ici et là sur le plancher par le souffle triste des cuivres. » Et c'est ainsi que Scott est devenu mon nouveau maître et ami.

    Son style impressionniste.

    Comme Swann allait de nouveau dîner dans les restaurants où il avait dîné avec Odette, Gatsby retournait aux endroits "daisyifiés". Moi, c'était au "nid d'Elizabeth", 342 rue Saint Jacques, un 13 août 1993... Encore une fois, Gatsby tend désespérément la main « comme pour saisir ne fût-ce qu'un souffle d'air, sauver de la disparition un fragment de ce lieu qu'elle lui avait rendu si beau. »

    Mais le désenchantement est proche :

    « Levant les yeux vers les hauteurs d’un ciel inconnu qu’il apercevait à travers des feuillages effrayants, il dut frissonner en comprenant combien une rose est grotesque, et cruelle la lumière du soleil qui tombe sur l’herbe toute juste créée. Un monde nouveau, concret mais dépourvu de réalité, où de pauvres fantômes, respirant des songes comme on respire l’air, allaient au hasard... »

    Son costume rose.

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    9 - Barques à contre-courant

    La mort de Gatsby, victime de la folie des uns et des malentendus des autres.

    Les impostures médiatiques.

    La phrase la plus triste de la littérature – quand le narrateur va voir le cadavre de Gatsby et lui dire :

    « ne vous inquiétez pas, je vous trouverai quelqu’un.. »

    pour venir assister à son enterrement.

    Le père. La liste des résolutions que son fils tenait, adolescent. 

    N'a-t-on jamais évoqué Noël si justement ?

    « … l’émotion des retours en train de mes jeunes années, les réverbères dans les rues, les clochettes des traîneaux dans la nuit glacée, les ombres que jetaient sur la neige les couronnes de houx aux fenêtres illuminées. »

    Adieu, miss Baker.

    « Furieux, à demi amoureux d’elle, avec un terrible regret au cœur, je l’ai laissée là. »

    L’atroce insouciance des Buchanam qui font le mal autour d’eux sans s’en rendre compte et laissent aux autres le soin de nettoyer leurs saletés. Les faux forts.  Daisy qui n’est pas venue à l’enterrement. Daisy qui a bel et bien disparu du récit.

    La maison abandonnée. Gatsby, « le dernier et plus grand des rêves humains», sa « capacité d’émerveillement. »

    « C’est ainsi que nous avançons, barques à contre-courant, sans cesse ramenés vers le passé. »

    Il m'a fallu vingt-deux ans pour comprendre que ce livre était l'un des plus beaux du monde et un de ma vie. Peut-être parce que dans mon cas, c'est un passé qui a accepté de venir à moi. Un passé bien plus jeune que moi et qui est mon présent et mon futur. Un passé qui va étonnamment dans le sens du courant. Un passé qui s'est levé comme une aurore.

     

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