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hélène devynck

  • L'homme qui voulait qu'on l'aime

     

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    À Hélène F.

    « Est-ce donc la vie d’un homme ? Oui, et la vie des autres hommes aussi. Nul de nous n’a l’honneur d’avoir une vie qui soit à lui. Ma vie est la vôtre, votre vie est la mienne, vous vivez ce que je vis ; la destinée est une. Prenez donc ce miroir, et regardez-vous-y. On se plaint quelquefois des écrivains qui disent moi. Parlez-nous de nous, leur crie-t-on. Hélas ! quand je vous parle de moi, je vous parle de vous. Comment ne le sentez-vous pas ? Ah ! insensé, qui crois que je ne suis pas toi ! »

    Victor Hugo, préface des Contemplations

    « Et c'est parce que tu es, Emmanuel, l'artisan d'une écriture qui renonce elle aussi à l'objectivité que je me sens si à l'aise dans tes livres. »

    Marion Muller-Colard[1]

    Le nombre de gens avec qui l’on se querelle à cause de Camus, Houellebecq ou Carrère. Le nombre de Grecs qui ont dû se disputer à l’époque à propos de Sophocle, Euripide et Eschyle. On a l’impression que la littérature sert à ça : à se prendre sur la gueule. « Il suffit d’écrire une phrase pour se brouiller avec la moitié de l’humanité », disait un jour Amélie Nothomb (à propos de laquelle on se dispute beaucoup aussi.) Et pas tant pour des raisons politiques ou idéologique (encore que…) que pour des raisons intimes. C’est que lorsqu’on aime un écrivain, on se l’approprie, on se confond avec lui, on s’élève avec lui, on se console avec lui – et dès lors on prendra très mal qu’un critique butor argue que celui-ci est nul, facile, attrape-gogo. Surtout à propos d’un auteur aussi vocatif qu’Emmanuel Carrère en lequel on s’investit nécessairement et à qui la théologienne protestante, Marion Muller-Colard, écrivait un jour : « Moi, quand je lis tes livres, je ne pense pas à toi. Et c'est pour cela que j'aime ton écriture. Quand je lis tes livres - et parce que tu les écris en étant suffisamment libre – je pense à moi. » Voilà précisément ce qui semble insupportable à ceux qui, en littérature, comme en tout, n’aiment pas jouer le jeu de l’introjection, détestent se laisser prendre par l’âme d’un tel (peut-être parce qu’eux-mêmes n’en ont pas), gardent la tête froide en toute circonstance. Il faudra creuser un jour sur ce thème du lecteur-à-qui-on-ne-la-fait-pas, en fait du mauvais lecteur qui se croit exigeant, du non-lecteur plus soucieux de culture que de littérature.

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    Lien permanent Catégories : Emmanuel Carrère Pin it! Imprimer