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joyeux noël

  • Stanley Kubrick - La terreur et le désir III

    stanley kubrick,fear and desire,sentiers de la gloire,spartacus,full metal jacket,joyeux noël,christian carion,jean-luc godard,stéphane zagdanskistanley kubrick,fear and desire,sentiers de la gloire,spartacus,full metal jacket,joyeux noël,christian carion,jean-luc godard,stéphane zagdanskiIls sont plus nombreux qu’on ne le croit ces contempteurs du cinéma qui ne supportent pas cette croyance naturelle que nous avons tous en l’image-mouvement - peut-être parce qu’ils y croient trop eux-mêmes et confondent, en bons puritains qu’ils sont, l’image avec le réel, même quand les lumières se rallument et que le générique défile. A leurs yeux pour le coup « trop » grand ouverts, trucages avoués ou non, le mal (c’est-à-dire le faux) est fait. Comme le dit lui-même Alex obligé de regarder des films de violence pour « guérir » de sa violence : « c’est drôle comme les couleurs de la vie ne semblent vraiment vraies que lorsqu’on les regarde sur un écran de cinéma ».  Sauf que le spectateur mature sait que l’image n’est juste qu’une image et qu’il n’y a pas lieu d’en faire, quelle que soit sa beauté et son intensité, un totem ou un tabou. Le cinéma, du moins le grand, nous apprend à jouir des images autant qu’à les contrôler - et il faut être aussi peu sûr de soi qu’un Zagdanski pour se défier de cette jouissance et condamner l’image dans son ensemble. Il faut vraiment avoir de la merde dans les yeux pour croire que tout ce que les yeux voient en soit. En vérité, la surexposition kubrickienne montre à la fois les marionnettes et les ficelles, nous fait croire aux premières tout en nous faisant prendre conscience des secondes.  A l’instar d’Hitchcock, cet autre grand cinéaste du regard, Kubrick, nous apprend à regarder et à comprendre ce que l’on regarde.

    stanley kubrick,fear and desire,sentiers de la gloire,spartacus,full metal jacket,joyeux noël,christian carion,jean-luc godardA condition que ce que l’on regarde ne délivre aucun « message »  - ce qui arrive bel et bien avec Spartacus et surtout avec Les sentiers de la gloire, œuvres formellement abouties mais bien trop moralisantes, militantes, dénonciatrices pour être crédibles. La surexposition ne saurait se mettre au service de la morale ni le travelling au service de l’idéologie – et c’est ce qui fait que Les sentiers de la gloire est le plus mauvais film de Kubrick, en fait le seul, tant il peut justement donner de l’eau aux moulin de ceux qui se méfient de la puissance mensongère du cinéma. Sauf que là, parce que sans doute c’est un film « contre la guerre », parce que c’est un film fait, comme aurait dit Joseph Losey, « pour l’exemple », parce que c’est un film qui se termine comme le Joyeux Noël de Christian Carion, les mêmes qui n’ont stanley kubrick,fear and desire,sentiers de la gloire,spartacus,full metal jacket,joyeux noël,christian carion,jean-luc godard,stéphane zagdanski,puritanismede cesse de dénoncer les manipulations cinématographiques encensent généralement ce film qui accumule clichés humanistes et indignations faciles. Les sentiers de la gloire, le seul film du maître qui fait mine de croire à une cause, le seul film qui met en scène des personnages aussi stéréotypés que ces trois militaires : l’idéaliste, quoique fort impuissant, Dax (joué avec une sorte de contentement dans la conviction par Kirk Douglas), le vieux renard manipulateur (délicieux Adolphe Menjou) et le salaud pathétique (George Macready), tellement nul et arrogant qu’on est bien content qu’il soit destitué à la fin par le manipulateur. Les sentiers de la gloire avec sa scène de procès tellement injuste que le spectateur outré d’indignation aurait envie de hurler : « quels salauds ces salauds ! ». Les sentiers de la gloire avec sa chanteuse allemande qui fait pleurer tous les hommes, car, n’est-ce pas, allemands et français, nous sommes tous frères, et la guerre, quelle connerie ! Les sentiers de la gloire, le film le plus roublard et le plus honteux de son auteur, paradoxalement le plus prisé par les idéologues.

    FMJ Rafterman.jpgAu contraire, Full metal jacket apparaît comme le film de guerre le plus probe et le plus objectif jamais fait et le meilleur antidote au Sentiers. Ici, ni méchant, ni gentil, ni modèle édifiant ni figure répulsive, simplement des humains pris dans des dispositifs qui les dépassent et les forcent à être ce qu’ils sont - sergents instructeurs chargés de gueuler contre des bidasses (mais prêts à reconnaître la valeur du pire engagé quand celui, tel Baleine, se révèle excellent tireur), soldats qui arborent un symbole de paix sur leur casque, lui-même portant l'inscription "Born to kill", et cela afin d' "exprimer la dualité de l'homme" et sur un ton drolatique encore, « machines à tuer » qui ne finissent par tuer leur ennemie que parce que celle-ci leur demande et par compassion pour elle, grands gosses qui chantent la chanson de Mickey House tant ils sont heureux de revenir sains et saufs de la bataille. Full metal jacket ou la guerre objectale. Full metal jacket ou la survie du sujet dans l’objet. Full metal jacket ou l’effondrement idéologique – et qui pour certains ne peut qu’aller de pair avec la tentation du néant. Car un film de guerre qui ne se veut ni héroïque, ni pacifiste, ni belliciste, un film de guerre qui n’est ni Le jour le plus long ni La ligne rouge, ni Platoon, un film de guerre qui se contente de poser la guerre comme une situation donnée, un simple et tragique être-là, une réalité de la matière, est pire qu’un film antimilitariste, c’est un film nihiliste ! C’est un film qui s’accommode de la dégueulasserie qu’il filme – et qui de ce point de vue rejoint « les effets faciles du spectacle majoritaire » selon Jean-Luc Godard (et selon le langage Inrockuptibles).

    godard.jpgMais « les effets faciles du spectacle majoritaire », c’est  Les sentiers de la gloire dont on parlait à l’instant, avec son humanisme Prisunic, ses effets d’indignation à la Stéphane Hessel, sa manière de faire du chantage affectif au spectateur et que n’aurait pas renié un Oliver Stone ni même un Jean-Luc Godard dans Le petit soldat. Rien de moins facile que Full metal jacket, ses deux parties apparemment sans rapports et même en conflit, son assymétrie symétrique, sa forme « déflationniste » qui fait qu’à un moment donné, plus rien ne se passe, on tourne en rond entre les putes, les cadavres, les planqués cyniques, les Rambo en manque, les journalistes télé et leurs micros et caméras, et avant le carnage surprise de la fin. Qu’est-ce que reproche Godard à Kubrick dans Full metal jacket sinon d’avoir juste montré la guerre et non pas d’en avoir fait une image juste, une image à la Godard ou à la Prévert, une image d’objecteur de conscience, une image de déserteur ? Le problème avec les idéologues, c’est qu’ils voient de l’idéologie partout, enfin, surtout celle des autres. Alors, nihiliste, Stanley Kubrick ? Pour Bertrand Tavernier qui dans son Dictionnaire du cinéma américain disait préférer Outrages de Brian de Palma au Kubrick parce qu’au moins il posait des questions morales, certainement. C’est que pour Tatave, comme d’ailleurs pour Godard, on ne peut filmer la guerre sans dire « J’accuse », on ne peut laisser un malheureux bidasse qui va se suicider dans son « monde merdique » sans ouvrir une enquête pour comprendre pourquoi il en est arrivé là, on ne peut terminer un film de guerre avec la satisfaction infantile de soldats contents d’être en vie. On ne peut faire un film de guerre sans s’engager contre la guerre. Et Kubrick ne s’engage pas contre la guerre. Il la constate, mais ce constat est celui d’un dieu insensible, d’un dieu qui aurait abandonné les hommes. Pascalien, l’univers kubrickien ?

    Full metal jacket for ever, donc. Pour autant, nous ne bouderons pas notre plaisir à revoir Spartacus et Les sentiers de la gloire. Puisque l’on dit tout le temps que l’art de Kubrick fut de creuser tous les genres, pourquoi n’aurait-il pas creusé non plus celui du film héroïque humaniste avec Spartacus et celui de la fiction de gauche avec Les sentiers de la gloire ? Au moins la niaiserie de ces films est-elle compensée par leur splendeur plastique et la fossette de Kirk Douglas. 

     

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    Trous noirs & continents noirs.

    virginia leith,fear and desireEt c’est bien évidemment ce qui manque à Fear and desire, holding foutraque et assez ridicule des grandes œuvres à venir mais sur lequel il faut s’attarder tant il met en place avec une candeur que l’auteur se reprochera sans doute toute sa vie cette thématique iconoclaste et paradoxale, pour ne pas dire inavouable, qui traverse tout son cinéma en même temps que celui-ci fait tout pour la cacher, et qui n’est rien d’autre que l’angoisse de l’homme face à la sexualité. Cinéaste connu et apprécié, entre autres, pour ses audaces érotiques, l’auteur de Lolita et d’Orange mécanique n’aurait-il pas d’abord été le cinéaste de la panique qui prend l’homme quand il se retrouve devant une belle femme nue ou menaçant de l’être ? Et si les hommes faisaient tant la guerre dans ses films, ne serait-ce pas avant tout pour éviter de faire l’amour ? Mars terrorisé par Vénus - le secret de l’humanité dévoilé par Stanley Kubrick ? A voir.

    virginia leith,fear and desireElle est étonnante cette séquence, « érotique » s’il en est, de Fear and desire, dans laquelle quatre soldats ont capturé une femme, supposant qu’elle fait partie du camp ennemi, et l’ont attachée à un arbre, ne sachant pas très bien quoi en faire.  Les regards souverains que celle-ci jette à ces hommes perdus et que Kubrick filme comme si lui-même avait été révélé à son métier de cinéaste grâce à ses yeux et grâce à cette femme (Virginia Leith, qu’êtes-vous devenue ?). Si l’on osait, on dirait que dans le cinéma de Kubrick la femme est aux hommes ce que le monolithe est aux singe – une prise de conscience qui, sauf dans Eyes wide shut, tourne mal et se termine le plus souvent par la folie de l’homme et le meurtre (ou le viol) de la femme.

    C’est que le désir terrorise l’homme, celui qu’il a pour la femme, et pire, celui que la femme peut avoir pour lui. Curieusement, ce n’est que dans son premier film puis dans son dernier que Kubrick abordera de front ce problème – tous les autres le traitant par voie indirecte. C’est une femme, Virgina Leith, qui aura ouvert son œuvre et c’est une autre femme, Nicole Kidman qui l’aura fermée. Entre temps, il se sera passé tout ce qui constitue une phénoménologie masculine qui se respecte, à savoir guerres, viols, tueries, explosions atomiques, duels, lavages de cerveau, aliénations – soient tous les trous noirs du monde pour éviter le continent noir…

    virginia leith,fear and desireDonc, voici Sidney, petit soldat incarné par Paul Mazursky et épouvanté de devoir rester auprès de la femme attachée tandis que ses supérieurs iront explorer les environs. La confusion grandissante qui va le prendre aux côtés de cette belle captive et qui commence par ce numéro de bouffon, le premier du genre dans un film de Kubrick, auquel il s’adonne devant elle, imitant le général ennemi afin de la faire rire - car un homme doit faire rire une femme s’il veut l’amadouer, n’est-ce pas ? Regards attentifs et pénétrants de la femme qui perçoit ce petit homme comme elle percevrait un singe. Elle n’a pas l’air d’avoir peur et comme le dit Michel Chion, elle apparaît immédiatement non pas comme « une femme-objet ou une anonyme » mais bien comme « une personne voyant et jugeant, jaugeant » et devant lequel les hommes pourraient être précisément être des objets, ridicules automates rouillés, incapable de fonctionner correctement et dont le comportement sexuel ne peut osciller qu’entre le viol et l’impuissance (ce qui est souvent la même chose…) Pauvre Sidney qui finit par s’agenouiller devant cette femme totémique (comme Alex s’agenouillera aux pieds de la strip-teaseuse, prouvant qu’il a renoncé au sexe et à la violence, dans Orange mécanique), la suppliant de lui pardonner (mais de quoi ?), de le comprendre (« I’m lost ! »), de l’aimer enfin, avant de se frotter à elle dans un geste obscène et pourtant inoffensif et en lui criant « dead, dead, dead ! » dans les oreilles, tel l'homme abandonné à lui-même devant une femme. Le voilà qui lui rapporte de l’eau au creux de ses mains pour la faire boire et la voilà qu’elle qui lui lèche les paumes en un plan érotique inouï (et qui n’est pas sans rappeler la scène de L’âge d’or de Bunuel quand la femme mordille les doigts de Gaston Modot), ce qui achève de le faire déraisonner. Croyant qu’elle accepterait de se donner librement à lui, il la libère, mais la voyant prendre la fuite et persuadée qu’elle va le dénoncer au général dont il vient de se moquer, il lui tire dessus et la tue net. Fin de la terreur. Fin du désir. Retour à la guerre. Retour au monde des hommes. Mais avant cela, le gros plan célèbre de la main de l’officier qui vient effleurer le visage de la morte et qui est filmé du point de vue impossible de celle-ci – comme si, même morte, la femme continuait de voir de ses yeux grands ouverts ces pauvres hommes perdus. La vue, c’est la vie, et la vie, c’est la femme. Et les hommes qui ne voient rien, qui ne veulent surtout rien voir, tuent la femme. Banal ? Mais non, biblique.

     

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    A SUIVRE...



     


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