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  • Le peuple, l'opium des souverainistes.

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    Vivement impressionné par ce commentaire de Slothorp mais trouvant dommage que placé en fin de liste, il ne passe inaperçu, je le remets en ligne pour un nouveau round, suivi des premiers commentaires qui l'ont suivi, à commencer par le mien. Pour ceux qui peuvent encore me supporter et ceux qui ne peuvent supporter de ne pas m'avoir encore atteint, et pour moi aussi, la fête continue...

    "Je n’ai pas pour habitude d’ajouter mon commentaire sur les étals à saucisse tant les opinions constituées semblent à la fin se répéter dans une circularité logorrhéique. Mon opinion, le plus souvent, est comme mon vote : elle ne vaut pas grand chose et je la tais. Mais dans cette dispute où les anathèmes ont vite tenu lieu de polémique, et même si je viens après la bataille, j’entrevois le même élan irréfléchi de part et d’autre à invoquer ce concept de « Peuple » comme une évidence non discutée. Qu’est que donc à la fin que ce Peuple qui prend sa « revanche », est-ce le même que ce « Peuple de m… » ? Quand j’ai écouté le soir du 29 mai, les habituels commentateurs et bidibules politiques nous raconter une fois de plus que les Français avaient dit que…, que le peuple voulait que… comme ils l’avaient fait le soir du 21 avril et comme ils continueront de le faire avec la plus parfaite impunité sur les plateaux télé et dans leurs éditoriaux insipides, j’ai vu la misère intellectuelle de ce pays engluer tous ses rouages institutionnels au point que ce qui devrait être une crise de la représentation devient une crise de la démocratie dont nous ne sortirons pas aisément, car ceux qui la commentent et ceux qui s’y commettent y trouvent leur compte, c’est à dire leurs revenus. Que cache-t-on à la fin derrière cet emploi malvenu du mot « peuple » si ce n’est un fantasme unitaire dont on connaît les ravages ? Il est donc sûr que la France n’en aura jamais fini avec la Terreur qui continue, avouée ou non, de faire bander des intellectuels de bureau qui aiment à briser leur ennui tertiaire avec de grands mots dont l’emploi, en d’autres temps, pouvait se payer de son sang. Parler avec ou contre le Peuple, le ventriloquer pour tout dire, relève d’une illusion arrogante quand on veut s’arroger un vote pour l’encenser ou le conspuer, qu’importe, l’erreur au fond est rigoureusement la même. Misère de ce mot dont la polysémie finit d’égarer tous les esprits, misère de ces commentateurs de scrutins qui bavent allégrement leurs vérités d’un soir et qui peuvent vous le dire ce que le Peuple a voulu exprimer ! Mais quoi, ce Peuple c’est du 55/45, c’est une division nette, tranchée, c’est un corps démembré qui n’avance plus, c’est deux jambes et deux têtes et dans chacune un petit chaos, c’est des professeurs de secondaire et des ouvriers du privé, des infirmières et des intermittents, des étudiants et des patrons de PME, c’est vous, moi, nous tous, et il est évident que nous ne sommes pas d’accord, alors pourquoi aller invoquer une parole unique qui n’est qu’un songe creux ? Ce qui s’est décidé dimanche dernier s’est fait à la majorité des votants, point. Ce n’est pas les Français qui ont dit non, sinon que penser des 45% qui ont voté oui : c’étaient des zoulous genevois ? A chaque fois que je lis ce mot de peuple, je me dis que nous sommes tous à faire du rousseauisme sans le savoir, à unifier ce qui demeure désuni, à tyranniser tant qu’on peut jusqu’à ce que les coutures cèdent, et elles finiront bien par céder si l’on considère le désir éteint que nous avons de vivre ensemble. On pourra encore m’objecter que le Peuple, c’est la vision du corps populaire des exclus, les pauvres à qui on ne demande rien et qui, cette fois, ont pris la parole, une idée en somme à laquelle on doit se confronter pour définir sa place. Mais ce Peuple-là n’est possible qu’au travers d’une mystique, un bloc entier d’images et de mots qui vous meut et vous pousse dans l’action. Or, de mystique, nous n’en avons plus, ni en France, ni en Europe, le rêve s’est achevé il y a longtemps pour céder place à l’ennui, un ennui bien pur qui empoisse tout et qui parfois se distrait le temps d’un referendum. Pourquoi alors parler d’un peuple, et pourquoi vouloir aussi imaginer une Europe politique quand la politique elle-même demeure introuvable, exclue des champs institutionnels parce que trop dangereuse pour cette pacification des esprits qui nous enchaîne hors de l’histoire ? Ce referendum, sorti du simple débat technique sur un texte dans lequel il aurait du demeurer, n’est qu’une trappe à politique : on croit en faire, mais on éructe dans le vide."

    Rien que pour votre intervention, Slothorp, je suis heureux d'avoir ouvert ce débat. Enfin une intervention qui fait avancer le schmilblick, celui de tous ceux qui me sont tombés dessus (même si, il est vrai, j'ai tout fait pour les chercher), et le mien. Peut-être ne serez-vous pas d'accord avec ce qui suit, mais c'est ce que m'inspire votre beau texte.

    Le peuple, dans une démocratie, c'est la majorité. Autrement dit, ça n'existe pas. On peut donc l'insulter sans mal. Mon mépris supposé du "peuple" vient de là. Quand je dis qu' "il faut dissoudre le peuple", (j'aurais pu tout autant dire "mort au peuple"), je m'attaque à une notion qui n'a plus du tout cours dans notre pays et qui par conséquent n'indigne que ceux qui y croient encore. Et ils montent tous au cocotier, les peuplophiles ! De même, quand je reprends cette formule d'Autant-Lara, éructée par Gabin dans La traversée de Paris, "salauds de pauvres", il y a des imbéciles qui prennent vraiment ça au premier degré, qui pensent sérieusement que pour moi les pauvres sont des salauds, alors que ce que je veux signifier est que "les pauvres" n'ont pas de valeur morale en soi, et que depuis Zola et Céline, on sait qu'ils ont autant de tares que les riches. D'ailleurs, comme disait Céline, "un prolo, c'est un bourgeois qui n'a pas réussi."
    Pas plus qu'il n'y a une mystique du pauvre il n'y a une mystique du peuple - sauf chez les intellos d'extrême droite qui se persuadent que ce petit dénominateur commun entre les gens qui constitue la majorité est la preuve d'une nation organique, unie et transcendante. A l'extrême gauche, c'est un peu différent dans la mesure où le peuple qui compte est le prolétariat... Dans les deux cas, on appelle "peuple" la partie ultra-sélectionnée qui correspond à l'idéologie en question. Le peuple, c'est donc bien l'opium des souverainistes et des révolutionnaires.

    En fait, ce n'est que dans une monarchie que la notion de "peuple" peut avoir un sens. Le peuple est alors cette entité mystique, nationale, qui dépasse de loin toutes les opinions particulières et qui s'impose comme une singularité de langue, de terre et de sang autour d'un monarque qui incarne transubstantionnellement le royaume. Rien à voir donc avec le "peuple" démocratique où ce qui compte est non la singularité unifiante de la nation, mais les opinions particulières de chacun - et qui provoque inévitablement la zizanie, comme ce forum l'atteste. On me croira si on voudra mais j'ai eu la tentation monarchiste dans ma "jeunesse". J'étais très sensible à l'idée qu'un homme - qu'une femme ! dépasse les opinions-trous du cul de tout un chacun et élève nos coeurs vers un idéal mystique, fraternel et terrien commun. Hélas ! ma nature "pragmatique", et aussi la toute petite expérience que j'ai eu de ces milieux m'ont bien vite fait comprendre que les "royalistes" sont pour la plupart des fous furieux anti-parlementaires, des réacs anti-tout, des fascistes rêveurs, et m'ont détourné de cet idéal qui, si j'avais été anglais, espagnol, belge ou suédois, m'aurait été permis.
    Obligé de faire mauvaise fortune bon coeur, j'ai dû me retourner vers la démocratie et le triomphe de l'opinion - opinion dans laquelle, loin d'unifier le peuple, le système de la majorité qu'elle est l'éclate à jamais. Et c'est cette opinion du non à l'Europe qui m'a paru, à tort ou à raison, honteuse et détestable.

    Voilà donc comment il fallait me lire si vous aviez eu un tant soit peu de sens littéraire. Mais cela...


    PS : Consanguin n'est donc pas mort. Il changeait sa couleur de présentation.

     

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