A toi, Nathalie B., infâme fatale.
Revenons à sa haine de l'Unique. Son européanisme non-chrétien. Son rejet absolu du libéralisme - mais l'histoire de l'Europe n'est-elle justement pas celle du christianisme (au secours Ratzinger !) et du libéralisme (au secours, Pierre Manent !) ? De quelle « alternance » européenne Deub's est-il le nom ? Avouons-le : les indécences intellectualistes et idéalistes dont il se rend coupable de temps en temps nous font quand même mal au cul - quand il déclare, par exemple, un peu à la Alain Badiou, avoir plus de sympathie pour
« les Khmers rouges et les communistes du Vietnam qui avaient une foi [plutôt que pour] les « GI's désoeuvrés et drogués qui n'en avaient pas ».
Lorsque Sade rappelle que l'idéalisme est naturellement sanguinaire, Deub's pourrait en prendre de la graine. On peut critiquer les dérives du capitalisme, les excès du libéralisme, on ne peut les comparer à l'horreur communiste. Le capitalisme n'est pas criminogène, le communisme, si. Ce point n'est pas négociable.
Pourtant, l'homme s'affirme démocrate au sens fort : seul le peuple est souverain et doit « participer ». Alain de Benoist ou la démocratie participative. Non pas, bien entendu, sur le mode libéral qu'il abhorre (« un homme, un vote ») mais bien sur un mode républicain pur jus (« un citoyen, un vote ».)
Son « maître à penser », c'est Stéphane Lupasco, « le Hegel du XX ème siècle », dont l'idée physico-philosophique est de définir la structure du réel comme contradictoire et selon un processus de potentialisation et d'actualisation. Entre les trois formes de la matière-énergie (la macrophysique, la vivante et la psychique), le réel se déploie dans des conflits qui lui sont inhérents mais en récupérant toujours ce qui le contrarie - ce qu'il appelle, si j'ai bien compris, ce qui n'est pas si sûr, « le tiers-inclus ». Une sorte de dynamique du contradictoire et du conciliant à travers laquelle sont rendue possibles la diversité, l'hétérogène et la différenciation - le contraire du processus monothéiste, selon Deub's.
« Les choses réelles peuvent être ceci et cela, elles peuvent être une chose et son contraire », écrit-il.
Mieux, chaque chose génère son contraire.
« Sur le plan social, par exemple, les tendances novatrices potentialisent des tendances réactionnaires, et vice versa. »
Qu'en termes héraclitéens ces choses-là sont dites ! Et j'espère que tu vas en prendre de la graine, Nathalie, petite colombe en sucre. Car oui, prendre conscience de la grande contradiction des choses, c'est les approuver toutes, ou du moins, c'est comprendre la valeur relative de chacune, et pouvoir les utiliser en fonction de nos besoins et de nos intérêts, et selon une logique purement machiavélienne : telle force à laquelle je m'oppose d'habitude peut devenir mon allié en certaine circonstance (exemple actuel : l'Iran, la Syrie et les USA, alliés objectifs contre Daesh, ennemi commun s'il en est). D'où le paradoxe alléchant que c'est la conscience de la contradiction qui génère la tolérance et le vivre-ensemble. C'est lorsqu'on sait que les choses sont originellement contraires qu'elles peuvent être appréhendées comme complémentaires, voire érogènes (homme & femme).
Tout cela est admirable et je le partage en grande partie puisque pour moi, c'est justement la définition du..... libéralisme (et dont Machiavel fut précisément l'un des pères fondateurs : il y a une "fécondité du mal" dans la mesure où le mal nous permet de sortir de soi et de percevoir l'autre comme différent et érotique. « Le méchant est sacré », disait Jung dans son Livre Rouge.) Et lorsque Deub's s'affirme alors non pas tant comme un homme « ni ni » (ni à droite ni à gauche) mais au contraire comme un « homme de droite de gauche ou de gauche de droite », j'entends, moi, qu'il se définit comme l'homme libéral par excellence. LA RECONCILIATION EST UNE NOTION LIBERALE.
En revanche, je ne le suis plus lorsqu'il parle de l'opposition « christianisme / paganisme » comme d'une opposition irréductible, puisque, comme l'ont montré Chesterton et Simone Weil, le christianisme est d'origine païenne autant que d'essence juive. Comme quoi, on est tous libéral ou socialiste, monothéiste ou polythéiste, chrétien, juif ou païen, irréductible ou coulant - mais pas aux mêmes endroits ni aux mêmes moments. La vraie différence entre toi et moi, ce que j'appelle le « glaive » (mais qui pourrait s'appeler indistinctement distinction, abîme, écart ontologique), ce n'est pas que tu es rouge, qu'il est bleu, et que je suis blanc, non, c'est que tu es rouge, bleu blanc, ici, qu'il est bleu, blanc, rouge, là, et que je suis blanc, bleu, rouge ici et là. Tu as compris, Nathalie Bati ?