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Temps qui passe - Page 20

  • Cinq ans

     
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    333 notes. 9000 visites en moyenne par mois - et ce, certainement, grâce au Ring sur lequel je sévis depuis décembre 2009. L'autre "ring", par contre, a du mal se forger. Les psys traînent à vouloir me traiter. Le dispositif semble s'être enrayé, et c'est à moi de le remettre en route, en allant mendier pour la troisième fois je ne sais quel rendez-vous "psy"qui m'emmerde déjà. A force d'être à la porte du Château qui ne veut jamais ouvrir (et bien que cette porte ne puisse s'ouvrir que pour moi - c'est toujours comme ça la vie : la seule clef que vous avez n'ouvre rien, la seule porte qui est à votre nom ne s'ouvre jamais), j'en finis par me demander si je ne vais pas rebrousser chemin. En même temps, j'amortis ce fameux "pouvoir des psys" dont presse et télé parlent tant et dont je ne peux m'empêcher de penser tout le mal possible. Quel salaud ce saint de Freud ! Tant pis. Peut-être ne serai-je jamais seigneur de l'anneau. Ni Golum ni Alberich. A moi donc d'être Siegfried avec mes maigres moyens d'obèse ! Sans Brunnehilde, la tâche apparaît rude, crépuscule sans déesse - mais je suis croyant. Et gourmand. Il est vrai que depuis que je me suis imposé mon principe d'un restaurant par mois et par arrondissement (ce soir, c'était le sympatoche Balzar), il n'y a pas à dire, j'ai un peu dégonflé. Si l' alcoolo-boulimique mondain en moi annihilait l'alcoolo-boulimique casanier, pour sûr, je serais sauvé. Plus sensible à la grâce qu'à la volonté, j'ai toutes mes chances.
     
    "Un jeune homme peut se défendre du vice en pensant continuellement à la maladie. Il peut également s'en défendre en pensant constamment à la Vierge Marie. On peut se demander laquelle des deux méthodes est la plus raisonnable, ou même la plus efficace, mais on ne saurait douter de celle qui est la plus saine", écrit Chesterton dans Hérétiques, p 23 dans l'ancienne édition.
     
    Mes trois Vierges préférées ? Celle de Ernst, bien entendu, celle de Léonard, et celle-ci, en rouge et bleu, de Botticini - qui était aussi celle de Matzneff dans Cette camisole de flammes. Tiens, Matzneff, je l'ai croisé et salué, hier après-midi dans un café de Maubert. Il était en conversation avec un type de trente ans à qui il avait l'air de dispenser sa bonne parole. Nous avons tous été ce jeune matznévien complaisant. Quand il m'a vu, le gourou, pas l'apôtre, il m'a dit, avec son accent des années trente, que "j'étais fort peu couvert et qu'avec ce temps, je risquais la mal mort, n'est-ce pas ?". Les gros n'ont pas besoin de trop se couvrir, en effet. Et ont renoncé à baiser depuis belle lurette. Même avec l'adorable Anna B... (moi aussi, je peux faire du Matzneff, tiens !) avec qui je passais un agréable moment et que je remercie ici. J'en suis à penser qu'un visage aimable, une jolie voix, et quelques confidences cliniques, les siennes contre les miennes, doivent suffir à ma vie affective. Posséder a toujours été au dessus de mes moyens. Toucher à l'essence de la vie, avoir un contact avec Dieu (ce à quoi conduit fondamentalement l'Eternel Féminin), m'est impossible depuis l'adolescence. Avant, c'était ma mère - cette bélière tueuse de toréros qui m'a, pour mon malheur et son bonheur inavouable, trop dégoûté de la vie pour que je puisse me mêler réellement, charnellement, spirituellement, à celle-ci. Où Groddeck dit-il que lorsque nous parlons de la vie, nous parlons en fait de notre mère ? Ah oui, dans un texte de présentation du.... Ring de Wagner - ça ne s'invente pas. "La vie, écrit l'amortisseur du "Ca", c'est ce que chacun ressent pour sa mère ; vivre, c'est parvenir à clarifier suffisamment la passion pour ne pas être brisé par elle." Putain, comme j'aime la psychanalyse, moi ! Et Onfray et compagnie qui voulaient nous en priver, les salauds ! Entre les mères juives et les pères nazis, on était déjà mal, et voilà qu'à cause d'eux, on ne pourrait même plus s'étoiler - encore que chez moi, sur le plan symbolique, c'est plutôt ma mère qui est nazie, mon père qui est juif, moi qui suis juif-nazi, et ma soeur qui est goy. Voilà exactement le genre de chose que permet de dire la psychanalyse, et c'est pour cela que j'y suis attaché.  Si on n'a même plus d'Oedipe, de Jocaste ou d'Electre pour se dénoncer, c'est-à-dire pour se comprendre les uns ou les autres, on n'a plus aucune chance de pouvoir baiser un jour normalement. Rayer Freud, c'est rayer ce qui nous reste d'adamique. Et je veux croire que je suis encore un sous petit-fils de l'homme. Par ailleurs, je me refuse à cette idée infecte que c'est moi qui suis responsable de moi. Il est là le mensonge absolu de la famille, de la patrie, du monde - et là la libération de Moïse-Freud. Personne n'est responsable de soi, tout le monde est responsable des autres. Si je suis un connard immature saturé de déficiences, c'est à cause de mes parents, point barre - rien à voir avec moi qui n'ai jamais voulu ça de moi. Par contre, si un clodo meurt dans la rue, ou si un africain meurt dans sa brousse, c'est en revanche  bien de ma faute. Les guerres, les famines, la misère partout et totale sont toujours de mon fait. Mais mon embonpoint, mes névroses, ma saloperie ontologique, mes travers de porc narcissique sont du vôtre.
     
    Comme me le disait un ami, Marc A... pour ne pas le citer, mieux vaut être frustré que déçu. Au fond, la frustration permet de rester jeune. La frustration est une sorte d'espoir bougon. Devant moi, le champ étale du possible. Même si rien n'arrive, au moins j'y aurais cru, ce qui n'est pas si mal. Alors que lorsqu'on est déçu, comme tant de baisants désabusés autour du moi, on a tendance à avoir perdu tout espoir,  et pire, à s'en vouloir vraiment. C'est qu'il y a du réel derrière nous, du réel dont on ne veut plus, du réel "réel" qui s'accroche, qui vampirise, qui empêche tout échappatoire - toute joie. Du réel qui nous prive de penser qu'il y ait autre chose que ce réel dégueulasse. Que Dieu m'en préserve ! Moi, je suis un peu comme Félicité, l'héroïne de Conte d'hiver de Rohmer, je préfère une vie d'espérance qui n'aboutit à rien plutôt qu'une vie à côté de la plaque, remplie de devoirs  et de contrariétés, qui aboutit à de la mortification à perpétuité. Plutôt être châtré que châtié.
     
    Et puis, il y a Aurora. Les genoux d'Aurora. Les sourcils d'Aurora. L'accent d'Aurora. Pour elle, oui, je me le mettrai bien cet anneau de merde. Elle ou un avatar d'elle.
     
    "Avatar" - le mot qui résume tout. Notre époque. Vous. Moi. Tout le monde.
     
    En tous cas, j'ai renoncé au suicide. Je ne suis pas César Pavèse que je comprends pourtant jusqu'au bout. Mais je pense que s'il s'est flingué, c'est parce qu'il prenait trop le métier de vivre au sérieux.  Dès qu'on prend la vie au sérieux, on a envie de mourir. Moi, je préfère encore rester en vie dans ma peau de mort-né plutôt que de crever à vivre comme un mort (il faut que j'arrête les inversions, ça devient lourd). Les arts, la gastronomie et une vague croyance en Dieu, compensent largement la misère individuelle. Avoir renoncé au suicide et avoir accepté ma condition de zombie bienveillant, c'est déjà énorme pour quelqu'un comme moi. Le peu d'amour que j'ai pour le Christ m'a été rendu en quintuple, ça, je le soutiendrais toujours. Une seconde de ferveur catholique par jour et vous vous éloignez un peu plus de l'enfer. Par ailleurs, il m'arrive trop de bonnes choses dans l'existence (qui a tellement peu à voir avec la vie) pour que je sombre dans le ressentiment. Non pas que je ne sois pas plein de ressentiment et d'aigreur et d'amertume et de haine contre tout. Mais la haine contre tout, chez moi, c'est de cinq à sept. Le reste du temps, je suis plutôt dans l'euphorie. Tout m'amuse, tout m'attise, tout m'excite. Amis, amies, Donna Musique et Donna Prouhèse, tête de veaux et Gamay gouleyant comme ce soir au Balzar (cinquième restaurant du cinquième arrondissement pour le cinquième mois de l'année - la numérologie, c'est vraiment mieux que la psychothérapie). Sans compter les diamants de l'humanité que sont les oeuvres d'art. On dit que c'est vivre avec les morts. Mais non, c'est vivre avec les vivants de toujours. En ce moment, je découvre le Don Carlos de Verdi, je ne peux plus m'en passer. Je l'écoute en boucle depuis des semaines. J'aime particulièrement cette phrase "perduto ben, mio sol tesor", si douloureusement amoureux, si amoureusement douloureux (j'arrête les inversions, j'ai dit !), mais une douleur joyeuse comme on les aime, une douleur, j'allais dire : une douceur, qui se roule sur elle-même, qui se repaît de son contentement, une douleur qui fait qu'on roucoule de bonheur, enroulé dans les bras de son amante. Même moi, j'ai connu ça, il y a des années.
     
    Et d'ailleurs, je me dis que ça peut suffire à une vie. Si c'était ma part d'amour, elle était courte, mais totale. Trois ans, trente ans. On s'est plus touché que l'homme et la femme du Soulier de Satin. On s'est bien touché. Ma pauvre Noisette, quand je pense que je t'avais amené voir ça deux soirs de suite. Du Claudel, j'ai bien dit !
     
    C'est marrant, les choses tristes. On va encore croire que je suis malheureux alors que je ne le suis pas du tout. Ecrire des choses tristes, c'est la preuve qu'on les a surmontées. C'est quand on n'écrit rien qu'on souffre vraiment. Et alors là, les gens croient que vous allez bien. Mais épanchez-vous sur une page, et là vous allez vous faire plaindre, sinon blâmer : "quand même, il devrait un peu réagir, ce niais !", "qu'est-ce que c'est que ces façons que de vivre dans le passé !" Mais je ne vis pas dans le passé, je vis dans mon présent éternel. Nul de moins passéiste que moi. Quand j'aime un truc, une oeuvre, une personne, c'est pour toujours. Et en parallèle, plus je parle de ma merde, plus je suis loin de celle-ci, c'est ça que les normaux ne pigent pas.
     
    Non, ce qui me fait vraiment souffrir, c'est l'intendance. Le ménage. Le linge. L'économie. Les petites choses de la vie humble. Humble  - un mot qui pour le coup me déchire. Si un jour je passe sur la table de la machine de la colonie pénitentiaire de Kafka (comme celle que l'on peut voir actuellement à l'expo Crime et châtiment dans ma thébaïde), cela sera pour que celle-ci m'écrive-écorche sur la poitrine : "tu seras humble, tu diras oui à la vie normale et tu préfèreras l'intendance à Léonard de Vinci. Tu diras oui aux trucs chiants. Tu agiras." Agir, le mot le plus atroce de tous les vocabulaires du monde. Hitler agit. Pol Poth agit. Pas moi. Ni mon cher Oblomov. Ni mon cher Des Esseintes. Ni mon cher Tonio Krüger. Ni mon cher Gab La Rafale. Ni mon cher Loge. Ni mon cher Guido. Non à l'agir, oui au délire.
     
    (Allez comprendre...)
     
    D'autant que je crois que j'ai déjà dit des choses comme ça. Je me répète. Comme dans mon journal intime. A propos, il faudra bien un jour que je le tienne ici. Au moins un mois. Ecrire de l'impubliable, comme disait l'autre. Sans honte, pas de sel à la vie. Et la honte, ça me connaît, croyez-moi. Il était beau ce texte d'Alina. Elle ne me parle plus, Alina. Elle trouve que je me trompe sans arrêt. Mais non, je fais semblant, semblant, semblant, semblant, semblant, de me tromper. Mon côté Joker.
     
    Ah le Joker ! Quelle prétention quand j'y pense !
     
    La vérité est que je suis un rigolo qui se prend pour le Joker.
     
    Un cracmol qui se prend pour un Serpentard.
     
    Un bon petit diable qui se prend pour Dolmancé.
     
    Une grosse Baleine qui se prend pour Alex.
     
    Une Bovary qui se prend pour Stavroguine.
     
    Un Falstaff qui se prend pour Richard III.
     
    Un chien andalou qui se prend pour une voie lactée.
     
    Un crabe qui se prend pour un lion (une fable de La Fontaine, en somme)
     
    Un blogueur qui se prend pour un écrivain.
     
    Un Pierre Rey qui se prend pour Pierre Cormary.
     
    Ah, le name dropping, je sais faire, y a pas à chier !
     
    (J'adore la vanité inouïe de l'avant dernière proposition.)
     
    De toutes façons, il faut toujours tricher si l'on veut faire quelque chose dans sa vie. "C'est pour ça que je suis de droite.... Parce que c'est pas possible... Les gens de gauche, il y a toujours un règlement quelque part... Il y a toujours un truc de.... "Oui, mais tu mérites pas".... Mais putain, si on a que ce qu'on mérite, on n'aura jamais rien... Faut toujours tricher... Y a que la droite qui comprend ça." (Hector Obalk, dans le bonus de son Titien) Ne pas tricher, c'est la guillotine immédiate, comme dit l'autre. Très impressionnante la guillotine de l'expo Crime et châtiment.
     
    La guillotine : le seul appareil de mort avec lequel vous ne pouvez pas vous suicider. C'est ça qui est terrifiant. Un appareil d'état qui ne sert qu'à donner la mort sans que vous puissiez mais. On peut se tirer une balle dans la tête, se pendre, se noyer, se jeter du haut d'une falaise, on ne peut se guillotiner.
     
    Trichons donc.
     
    Ou plus exactement, faisons semblant de tricher. Faisons semblant d'être malhonnête. Avançons en biais. Finalement, je tiens plus du crabe que du lion.
     
    Et vivons un peu. A vue d'oeil, mon existence de littérateur aura commencé à 35 ans, il y a cinq ans, avec ce blog, Vebret, et maintenant le Ring. Mon enfance. Si cela continue comme ça, je me vois bien multiplier les articles, les revues, de manière plus sérieuse et plus fournie, plus légitime, disons, encore cinq ans. Puis le livre, vers 45 ans, en pleine adolescence. Celle-ci risquera de durer jusqu'à 60 ans, mais c'est dans cette période que je produirai le plus. Enfin, la maturité, et un certain bonheur, conjugal même pourquoi pas, soyons fou, de 60 à 80 ans - même si j'ai l'impression, depuis mes 37 ans, que je ne dépasserais pas 74 ans. Au fait, je vais avoir 40 ans cette année, "ce qui n'est pas si mal pour un homme de mon âge." A moins que je ne perde vraiment ces cinquante kilos grâce à l'anneau de merde et que dans ce cas, j'aie une vieillesse sportive jusqu'à 80, 90 rêver, mais faut pas rêver.
     
    "Le problème avec toi, c'est que tu n'es pas attiré par ce qui te dégoûte" (in Mes très riches heures de duc de FaceBerry, ça aussi, il faudrait que je les mette en ligne)
     
     
     
    En attendant....
     
     
     
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    C'était le 31 mars 2010 et j'ai compris pourquoi Jacques Chirac et Bill Clinton venaient souvent ici, à L'ami Louis, 32, rue Vertbois, métro Temple.
     
    Merci à tous.
     
    (Mais pourquoi je remercie, nom de Dieu ?)
     
     
     
     
     
     

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