A Lina Maeva
« Vous pouvez l’apprécier, comme elle peut vous déplaire :
Bon ou mauvais, ce sont les hasards de la guerre. »,
Avertit le Prologue – et qui ne relève pas pour une fois du simple « As you like », mais bien d’un risque que cette pièce ne nous déplaise pour de bon. Moins féroce que Mesure pour mesure, plus ironique que Tout est bien qui finit bien, Troïlus et Cressida est la grande pièce parodique de Shakespeare, mais d’une parodie noire, inquiétante, mystificatrice, où le mauvais sentiment triomphe, où la légende pâtit, où les héros d’antan se révèlent de bien tristes sires : Achille, orgueilleux et lâche ; Ajax, vaniteux bovin ; Nestor, gâteux ; Ménélas, cocu magnifique ; Agamemnon, faiblard sentencieux ; Ulysse, pousse-au-crime (et qui, pour cette raison, s’en sort « amoralement » mieux que les autres) ; Diomède, obsédé sexuel ; Hector (Hector ! le personnage le plus vertueux de Homère), sadique ; Cressida, adultère – et qui, pourtant, après Juliette et Cléopâtre, donne son nom à la pièce, nouvelle sorte d’amante, pragmatique et sensuelle, et qui laisse le pauvre Troïlus, le seul encore fidèle à l’ancien monde, le seul qui pensait que la parole garantissait la vérité, le seul épris d’absolu (mais avec quel narcissisme !), à sa plainte hamlétienne : « Des mots, des mots, de simples mots. »