« Mais si le Christ n’est pas ressuscité, vide alors est notre message, vide aussi votre foi. » (1 Co 15, 14)
Encore une fois, Benoît XVI a tout dit.
Sans Résurrection, le christianisme serait peu de chose. Au mieux, une belle et bonne philosophie de l’Homme. Un devoir-être très digne (mais Kant aussi). Un exemple à suivre comme on peut suivre Epictète, Confucius ou Forest Gump. Du beau banal. Du consciencieux normatif. De l’Humanité réduite à son appréciation sur elle-même – ce qui n’est déjà pas si mal, pourrait-on dire : vie, mort, un peu de morale au milieu, et puis s’en vont.
Seulement voilà, le Christ, Lui, ne s’en va pas. Il reste. Et Il nous invite à rester avec Lui. Il nous invite à nous élever en Lui. Au-delà des lois que son Père a Lui-même instituées. Au-delà des plus héroïques de nos critères. Ca peut paraître compliqué, ça ne l’est que pour les esprits compliqués. Soyons simples – c’est-à-dire : étudions.
« Que Jésus n’ait existé que dans le temps passé ou qu’au contraire, il existe encore dans le temps présent – cela dépend de la Résurrection », écrit Joseph Ratzinger page 276 de son Jésus de Nazareth seconde partie (Editions du Rocher), et que nous allons suivre pas à pas.
Et d’abord, cette idée que Jésus ne ressuscite pas comme un homme mais comme un Dieu.
Altération
La Résurrection de Jésus n’est pas une Résurrection des morts au sens traditionnel. Ce n’est pas une « réanimation de cadavre » comme il en arrive, paraît-il, de temps en temps, et comme ce que Jésus a fait Lui-même avec la fille de Jaïre ou Lazare. Jésus n’est pas un zombie, un golem, ou un miraculé provisoire. Il ne revient pas à la vie pour aller bouffer chez son beau-frère – et ensuite « remourir » comme Lazare. En vérité (c’est le cas de le dire), Il ne ressuscite pas pour Lui, mais pour nous. Il ressuscite pour que nous ressuscitions à notre tour. Et encore une fois sur un mode qui n’est pas celui d’un retour au bercail. Lazare ressuscité ne sortait pas de l’Histoire. Il ne bouleversait rien – hors ses proches. Jésus ressuscité transforme radicalement notre rapport au monde. Grâce à Lui, la mort n’est plus l’horizon de la vie. Fini « l’être-pour-la-mort » ! La Résurrection est un phénomène physique qui rend la métaphysique possible, un événement historique qui nous fait basculer hors de l’Histoire – Hors Satan, dirait Bruno Dumont. Quelque chose de nouveau dans l’ordre du temps et de la chair. « Je crois en la Résurrection de la chair », dit-on dans le Symbole des Apôtres. Mais une chair nouvelle. Une chair qui n’est plus corrompue. Une chair éternelle. Et c’est pourquoi Paul dit que si le Christ n’est pas ressuscité, notre foi chrétienne est morte – elle n’est plus que « philosophie » chrétienne. Devoirs de l’Homme avant la lettre. Respect du prochain seulement comme moi-même (et comme il n’est pas sûr que je me respecte moi-même….). Et tajine chez le frère à ta cousine.
Non, non ! Jésus ressuscite, et c’est pourquoi je peux Lui parler. La Résurrection, c’est ce qui permet que le Christ devienne mon contemporain, mon frère, mon coach. Et pas à la manière de Platon, de Shakespeare et de Mozart, génies parmi les génies, trinité insurpassable de la grandeur humaine, mais qui sont morts, qui appartiennent au passé, à la culture, et dont l’admiration infinie qu’on est en droit de leur porter ne sera jamais que subjective (et d’ailleurs interchangeable : on peut aimer ces trois là tout autant que n’importe quels autres de leurs confrères – à chacun ses grands hommes, pourrait-on dire, à chacun ses trinités artistiques et philosophiques, alors qu’on ne peut aimer qu’un seul Christ.) Un Christ qui est là et que nous n’appelons moins qu’Il nous appelle. Il faut insister sur ce point fondamental. A la limite, et si l’on voulait se faire peur, pourrait-on en effet « appeler » Mozart, Shakespeare et Platon selon le principe des tables tournantes, et tel qu’un Victor Hugo s’est amusé à le faire à Guernesey - mais pas Jésus. La Résurrection n’est pas une affaire d’occultisme. On ne communique pas avec le Christ comme on communique avec les « esprits ». Le Christ n’est pas un esprit « à travers les âges », ni un Beetlejuice quelconque, mais le Dieu vivant toujours là auprès de moi. Son mystère n’est pas une énigme et ne relève pas d’un « secret ». Il est là, Il m’appelle, Il m’attend. Et au lieu de pleurer sur moi, je devrais pleurer en Lui. Mais veux-je être consolé ?
La Résurrection est donc ce saut qualitatif qui nous fait passer à une nouvelle dimension de la vie et de l’être – un être qui n’est plus soumis au devenir matériel et culturel des choses. La Résurrection comme « nouvelle vie » et non pas comme « seconde vie ». « Nouvelle vie » au sens d’une vie qui n’existait pas avant. Comme si l’on mourrait « homme » et que l’on se réveillait « surhomme » ou plutôt, car « surhomme » est une métaphore fâcheuse ici, « supervivant ». La Résurrection à la fois comme altération (du latin populaire pascua, « nourriture » et du verbe pascere « paître ») et comme passage (de l’hébreu « Pessa’h », Pâque.) Quelque chose qui se passe entre l’être et le temps. Quelque chose qui se passe dans l’être contre le néant. Qui altère, annihile le néant.
Scandale et folie du christianisme. Non seulement personne n’avait pensé à un Messie crucifié mais personne n’avait encore moins pensé à un crucifié qui ressusciterait et nous ferait passer avec Lui dans une sorte de « quatrième dimension » - la dimension de l’infini et de l’amour. Après le corps terrestre, le Corps céleste. Après le Dieu fait homme, l’homme fait Dieu. La Résurrection comme nouvelle incarnation. De Lui pour nous. Et de nous par Lui. Plus besoin de l’attelage ailé de Platon pour voir les Idées, une fraction de seconde qui plus est – non, avec le christianisme, c’est l’Idée qui s’incarne et qui s’invite à table. Ce que les Apôtres (car il va falloir parler des Apôtres) ont vu ce dimanche-là et les jours qui ont suivi, ils l’ont vu pour nous, et nous n'en revenons toujours pas. Mieux qu’une lumière dans les ténèbres, une lumière dans le jour. Et pour les siècles des siècles.
C’est pourquoi l’on est en droit de dire qu’il y a dans la Résurrection quelque chose qui va au-delà de la création elle-même, au-delà des lois que Dieu a lui-même instaurées. Ce fut un vieux problème théologique que de se demander si Dieu aurait pu créer un autre monde que le nôtre, si la réalité aurait pu suivre un autre mode que celui que nous lui connaissons. Avec la Résurrection, on a la preuve que oui. On a la quadrature du cercle, si l’on peut dire. Ou la possibilité que deux plus deux fassent cinq. C’est le seul cas d’impossible réalisé, d’inconcevable en ligne, d’invraisemblable « live ». La preuve que Dieu ne se confond pas avec le réel comme dans la philosophie de Spinoza. La preuve que le créateur est libre dans sa création jusque dans le paradoxe, l’insensé, le scandaleux. La preuve que ce qui est impossible à l’homme est possible à Dieu – et que cet impossible sera désormais l’horizon de l’homme.
Profession et narration
Selon l’exégèse, il faut distinguer deux types de témoignages ou deux types de traditions :
- La tradition sous forme de profession : la fameuse « profession de foi » qui exprime l’essentiel de la foi et de l’identité chrétiennes et par laquelle on se reconnaît mutuellement devant Dieu et devant les hommes.
- La tradition sous forme de narration qui n’est autre que les différents récits par lesquels on nous a rapporté l’événement et d’où sortiront les futures professions. Autrement dit, avant le credo, le récit. Avant la prière, la version. Et avant les hommes, les femmes.
La Résurrection comme conte de bonne femme ? Et comment ! Il fallait bien l’hystérie féminine pour attester de cette invraisemblable vérité, pour donner encore plus de réalité à la réalité, et surtout pour que les hommes daignent sortir un instant de leur logique mortifère. La Résurrection, c’est la vie, et la vie, c’est une affaire de femmes. Elles étaient « hors d’elles-mêmes » en sortant du tombeau, raconte-t-on. Elles avaient vu quelque chose, quelqu’un, elles avaient vécu avant tout le monde ce que les mecs, ces cons normatifs, auraient au début un peu de mal à appréhender. Grâce aux femmes, ils verraient à leur tour. Ils n’en reviendraient pas. Ils coucheraient tout ça par écrit. Aux narrations féminines correspondraient alors les professions masculines. A l’émotion succèderait le juridique. « L’Eglise, dans sa structure juridique, est fondée sur Pierre et les Onze, écrit Benoît XVI, mais dans la forme concrète de la vie ecclésiale, ce sont toujours et de nouveau les femmes qui ouvrent la porte au Seigneur, qui l’accompagnent jusqu’au pied de la Croix et qui ainsi peuvent aussi le rencontrer en tant que Ressuscité. » Comme tous les hommes avisés, le Christ a compris qu’il fallait d’abord avoir les femmes de son côté si l’on voulait faire quelque chose de ce monde.
Les mecs (les Apôtres) ont donc témoigné – à la fois Matthieu, Marc et Jean, disciples « directs » de Jésus et qui L’ont suivi tout au long de son sacerdoce, et Luc et Paul, disciples « indirects » puisqu’arrivant après la mort de Celui-ci. Ce partage des témoignages est important car il montre que la transmission vient autant de ceux qui ont connu la personne terrestre du Seigneur que de ceux à qui Il est apparu après. La transmission ne saurait être consanguine ou communautaire. Ainsi Paul, « l’avorton », qui se place consciemment à l’intérieur de la chaîne de réception et de transmission, même si en dernier, expose ce qui inspirera le futur Symbole des apôtres :
« Le Christ est mort pour nos péchés selon les Ecritures,
il a été mis au tombeau,
il est ressuscité le troisième jour selon les Ecritures
il est apparu à Céphas, puis aux Douze.
Ensuite, il est apparu à plus de cinq cent frères à la fois :
La plupart d’entre eux le demeurent jusqu’à présent…
Ensuite il est apparu à Jacques, puis à tous les apôtres.
Et, en tout dernier lieu, il m’est apparu à moi aussi, comme à l’avorton. »
(1 - Corinthiens 15, 3 – 8)
Notons que Paul insiste sur le fait que Jésus soit apparu à Céphas (Pierre) et aux Douze autant qu’à Jacques - Jacques qui, plus que le frère ou le cousin de Jésus, était celui qui avait le plus de réserves quant à la « mission » de son parent. Par là, Paul sous-entend que même les gens les plus éloignés du Christ en cœur (et qui sont comme par hasard ceux de sa famille) et en esprit (Paul lui-même ayant été bouffeur de chrétien) ont pu être rattrapés par Lui. La Résurrection est donc à la fois temporelle et atemporelle, actuelle dans son éternité, éternelle dans son actualité. Encore une fois, il s’agit d’un événement « pour » - « pour nous les hommes et pour notre salut. »
Est-ce la raison pour laquelle le tombeau fut trouvé vide ? En vérité, cela aurait été une drôle de résurrection si le tombeau avait été trouvé « plein ». A quoi aurait-on alors assisté ? A un Jésus se levant dans ses bandelettes, sortant de son tombeau comme la Momie et demandant un verre pour trinquer avec tout le monde comme Finnegan ? Non, encore une fois, Jésus n’est pas un ressuscité comme un autre. Il fallait que le sépulcre soit vide afin de bien signifier que la Résurrection est d’un autre ordre que celle d’un retour corporel à la vie « normale » - et que si « Résurrection de la chair » il y a, cette chair est une chair nouvelle. Une chair qui n’est pas celle d’un cadavre. Une chair sans corruption. « Tu ne laisseras pas ton Saint voir la corruption », clame Pierre, premier « ressuscitologue » s’il en est, et citant David dans les Actes des Apôtres 2, 27. « Ne pas subir la corruption – cela est précisément la définition de la Résurrection », rajoute Benoît XVI. Le corps ressuscité de Jésus est un corps sublime, éblouissant, et on va le voir, d’abord inreconnaissable.
Mais pourquoi « le troisième jour » ? Pourquoi pas le lendemain ou la semaine suivante ? Parce que le troisième jour, c’est dimanche, soit, comme le disent les Ecritures depuis la Genèse, le premier jour de la semaine, le premier jour de Dieu. Avec la Résurrection, ce premier jour du Père devient le premier jour du Fils ressuscité – et mieux, précise Benoît, le premier jour de la rencontre entre le Fils ressuscité et l’homme, le premier jour du point de contact entre le fini et l’infini. Les Juifs fêtaient Dieu le dernier jour de la semaine, samedi, sabbat ; les chrétiens fêteront Dieu le lendemain, dimanche, jour du Seigneur. Nouvelle religion, nouvelle semaine, Nouveau Testament. Et le troisième jour comme jour privilégié - celui du retour du Christ, de la communauté transfigurée, de l’Eglise.
Apparitions
Jésus « apparaît » et on a du mal à le croire. Il faut le palper, lui mettre le doigt dans la plaie comme dans la célèbre Incrédulité de Thomas par Le Caravage, le voir manger, lui demander s’Il a vu Sarkozy hier soir au Grand Journal. C’est bien Lui mais quelque chose a changé. On ne le reconnaît pas comme avant. Plus curieux : alors même qu' on a plus ou moins constaté que c’était vraiment Lui et qu’on recommençait déjà à y croire, au Salut et à tout ça, il suffit qu’Il s’absente deux minutes pour qu’on l'oublie. Et lorsqu' Il réapparaît, lui demander de nouveau si c’est bien Lui. Ainsi, dans Jean 21, 12, se demande-t-on encore qui est ce type qui nous a dit d’aller à la pèche et qui revient déjeuner avec nous. « Après la pêche, alors que Jésus les invite à manger, une curieuse étrangeté continue à les envelopper, écrit Benoît. « Jésus leur dit : "venez déjeuner". Aucun des disciples n’osait lui demander : "Qui es-tu ?" : ils savaient bien que c'était le c’était le Seigneur. Vient Jésus, qui prend le pain et le leur donne, et du menu poisson pareillement. C'était déjà la troisième fois que Jésus se manifestait aux disciples après s'être relevé des morts. » La troisième fois et ils ne percutent toujours pas ! La Résurrection est tellement inconcevable qu’il faut l’attester à chaque fois que l’on retrouve le Ressuscité.
Ce qui se passe, c’est que les disciples ne Le reconnaissent pas de l’extérieur. Ou même quand ils le font, le doigt, la plaie, la bouffe, ce n’est pas suffisant. Quand ils finissent par Le reconnaître, c’est toujours de l’intérieur. On ne reconnaît pas Jésus par son apparence mais par sa vérité. On Le retrouve dans sa vérité et cette vérité est une nouvelle réalité. Ce qui est à la fois inquiétant (l'oubli coupable) et enthousiasmant (les retrouvailles permanentes). Un peu comme lorsque l’on revoit l’être aimé et que l’on se sent, à chaque fois, défaillir de bonheur. La Résurrection comme Eternel Retour de la Révélation.
C’est que le Christ ne cesse d’apparaître et de disparaître. « Leurs yeux s’ouvrirent et ils le reconnurent…Mais il avait disparu de devant eux. » (Luc, 24, 31). Distribution et rétraction de la Lumière. On ne le reconnaît pas quand Il est là, mais on le reconnaît dès qu’Il disparaît - ce qui est chrétien en diable, c'est-à-dire paradoxal. Corporel mais non soumis aux lois de la corporéité. Vivant mais au-delà de la vie. Même et autre. La Résurrection comme dialectique entre ici-bas et là-bas, identité et altérité, reconnaissance et connaissance nouvelle - et joyeuse. Nouvelle essence mystérieuse et joyeuse du Ressuscité. Nouveau mode de l’existence. Nouvel existentialisme – l’existentialisme qui, ne l'oublions jamais, est un christianisme avant d’être un sartrisme.
A ceux qui arguent que tout cela est tout de même bien confus, vu les « contradictions » qui existent entre les quatre Evangiles, il faut répondre, comme le pape, que ce sont précisément ces « contradictions », et pire ces maladresses dans le récit, qui prouvent la véridicité du truc.
« Si on avait voulu inventer la Résurrection, écrit Benoît, toute l’insistance se serait portée sur la pleine corporéité, sur le fait d’être immédiatement reconnaissable et, en plus, on aurait peut-être imaginé un pouvoir particulier comme signe distinctif du Ressuscité. Mais dans les aspects contradictoires de ce qui est expérimenté, caractéristique de tous les textes, dans le mystérieux ensemble d’altérité et d’identité, se reflète un nouveau mode de rencontre, qui, d’un point de vue apologétique, semble plutôt déconcertant, mais qui justement pour cela se révèle avec d’autant plus de force comme une description authentique de l’expérience faite. »
Et de rappeler les multiples théophanies de l’Ancien Testament (où Dieu apparaît à Abraham, Josué, Gédéon, Samson, etc) qui annoncent celles du Fils auprès des Apôtres et qui ont en commun le fait qu’à chaque fois on commence par se demander à qui on a affaire. « Dans le langage mythologique se manifestent en même temps, d’une part, la proximité du Seigneur qui apparaît comme un homme et, d’autre part, son altérité grâce à laquelle il est en dehors des lois de la vie matérielle. »
La différence de taille qui existe cependant entre ces apparitions et celles de Jésus ressuscité est que dans les secondes, Jésus apparaît comme homme qui précisément a été soustrait à la mort. Qui a vaincu la mort. Et c’est là qu’il ne faut pas se leurrer sur le sens de la prière : Jésus ne revient pas du monde des morts comme s’Il était mort tel un pékin moyen. Il ne revient pas du monde des morts même s’Il y est descendu afin, justement, de libérer les morts. Si l’on voulait faire le « timing » de ses « 24 h chrono », soit ce qui se passe entre l’instant de sa mort et sa première apparition en tant que jardinier, temps qui « outrepasse l’humain », temps du « trasumanar » aurait écrit Dante, on pourrait dire qu’après avoir expiré, Il monte directement au ciel (comme l’annonce d’ailleurs Sa dernière parole sur la Croix : « Père, entre tes mains, je remets mon esprit », Luc, 23, 46), se repose un instant (car tout de même…), embrasse sa mère "qui le lui avait bien dit qu'il ne fallait pas jouer avec ses petits camarades", signe des autographes aux anges, prend sa douche de Saint Esprit, puis fonce aux Enfers, bénit tout le monde, annonce que tout va s’arranger, remonte aux cieux, met au point les dernières formalités avec le Père, puis s’en retourne sur terre, prend l’apparence d’un jardinier et fait que Marie Madeleine a un orgasme cosmique en Le voyant. Bref, même s’Il est passé au royaume des morts, Il ne revient pas, proprement dit, de la mort. Bien au contraire, Il revient de la vie pure, de la vie divine, de l’essence de la vie, de cet Amour qui meut le soleil et les autres étoiles.
Certains exégètes ont reproché à Luc d’en faire trop dans la corporéité avec l’épisode du poisson grillé que Jésus mange - prétendant qu’il réduisait la portée de la Résurrection. Mais comme toujours dans le christianisme, il faut tenir les deux bouts : le corporel et le spirituel, l’autel et la table – et chez Luc comme chez Jean, le parler et le manger, l’esprit et le sel. Le sel, remède contre la putréfaction et la corruption des corps et que Luc introduit dans son texte quand il écrit qu’ « il partage un repas avec eux » - littéralement, « il mange le sel avec eux » (« synalizoménos »). Sel de la vie éternelle. Sel pour ne pas corrompre. Tout est dit. Jésus apparaît, disparaît, parle, bouffe, donne à bouffer, se fait bouffer, reste transsubstantiellement dans le pain, propose chaque jour et chaque dimanche une invitation au "Repas du Seigneur". La manducation fait partie du processus. « Apparaître – parler – être à table : ce sont là les trois manifestations du Ressuscité », écrit Benoît.
La Résurrection n’est donc ni biologique, ni spirite, ni même mystique – une expérience mystique étant en effet, et comme l’explique le pape, un « dépassement momentané du domaine de l’âme et de ses facultés perceptives », un moment où l’esprit humain est « soulevé au-dessus de lui-même et où il perçoit le monde du divin et de l’éternel pour revenir ensuite à l’horizon normal de son existence ». Rien à voir, donc, avec la Résurrection qui est avant tout « une rencontre avec une personne qui, de l’extérieur, s’approche de moi » et que je reconnais de l’intérieur, un rencontre du reste transmissible, ce que l’expérience mystique n’est pas, et qui accompagne ma vie dans l’extase comme dans le temps. La Résurrection est métaphysique, réelle et vivante. « La Résurrection fait entrevoir l’espace nouveau qui ouvre l’histoire au-delà d’elle-même et crée le définitif. En ce sens, il est vrai que la Résurrection n’est pas un événement historique du même genre que la naissance ou la crucifixion de Jésus. C’est quelque chose de nouveau. Un genre nouveau d’événement. » Un événement historique qui fait rentrer l’Histoire dans une autre dimension, un saut qualitatif radical par lequel s’ouvre un nouveau mode de la vie et de l’être-homme, un nouvel existentialisme où se « friende » le fini et l’infini. Quelque chose qui s’inscrit dans le temps et l’espace mais qui va bien au-delà. Même la matière – la corporéité - en est transformée. Corps cosmique du Christ en lequel tous les hommes vont pouvoir entrer en communion. Non une « revitalisation » clinique d’un mort mais bien une éruption onto-théologique d'un supervivant. Lui pour nous. Nous en Lui.
D’où la primeur accordée aux Apôtres qui ont témoigné de ce qui défiait les lois de Dieu elles-mêmes. D’où aussi les fameuses contradictions inhérentes à toute perception humaine et le scepticisme qui en découle. Pourquoi, comme le demande Judas (Jean, 14, 22), se manifester à un groupe de personne et non à tout le monde ? Pourquoi avoir cultivé le mystère ? Pourquoi si peu de témoignages ? Pourquoi Dieu s’adresse-t-il toujours à un tel et pas à tous ? A Abraham ? A Moïse ? Pourquoi, par extension, avoir choisi Israël et pas toutes les nations ? Pourquoi ce choix persistant de la singularité qui rend jaloux ou incrédule le voisin ? Pourquoi Thomas ? Pourquoi « heureux ceux qui croient sans voir » ? C’est ce que Benoît XVI appelle « le style du divin » - « Ne pas écraser par la puissance extérieure, mais donner la liberté, donner et susciter l’amour. » Son humilité qui lui fait s’adresser au plus petit pour arriver, peut-être, au plus grand. De l’infime à l’infini. Du rayon vert entraperçu par quelques-uns à l’illumination pour tous. Dieu ne parle pas à la télé. Dieu n’est pas un dictateur de l’audimat ou un dictateur tout court. Le seul média qu’Il s’autorise est l’homme. Que chacun soit pour les autres un média de Dieu. Dieu se transmet de fil en aiguille. Et ces fils et ces aiguilles peuvent s'appeler François d'Assise, Thérèse d'Avila, Jean de la Croix, Ignace de Loyola, et pourquoi pas Chesterton, Bernanos, Simone Weil ? Soient tous ceux qui, écrit Benoît, "portent en eux de nouvelles irruptions du Seigneur dans l'histoire confuse de leur siècle" et en lesquels on est en droit de dire qu'Il est revenu.
Alors, évidemment, on peut toujours être paranoïaque et complotiste à la Michel Onfray et soutenir que tout cela est un mensonge bien ficelé qui se transmet de génération en génération. Mais on peut aussi se demander si tout cela aurait été possible si cela n’avait pas été. Deux mille ans de baratin, de mensonges, d’aliénation, le christianisme ? C’est un peu comme si l’on disait que Homère et Platon, Eschyle et Sophocle n’avaient fondamentalement jamais eu aucune valeur ni aucun intérêt, sauf celui de servir le pouvoir des clercs - ces derniers se les transmettant jalousement en faisant croire au monde qu'il s'agirait d'auteurs essentiels à la pensée humaine, alors qu'au fond ce n'auraient jamais été que des attrapes gogos. Un immense « fake », le Logos ? Si on ne croit pas en l’Homme, peut-être…
Ascension
« Il est monté au ciel, il siège à la droite de Dieu le Père et il reviendra dans la gloire. »
Il reviendra, mais quand ? Et comment ? Et finalement est-ce si important que cela ? « Les disciples ont certainement parlé du retour de Jésus, mais surtout ils ont témoigné qu’il est celui qui maintenant vit, qui est la Vie elle-même en vertu de laquelle nous aussi nous devenons vivants », écrit Benoît qui semble lui-même très discret sur ce retour, se demandant même un peu plus loin : « peut-il venir aussi aujourd’hui ? » C’est que pour un chrétien, l’important n’est pas tant dans le fait que Jésus revienne que dans celui qu’il ne soit jamais parti et qu’il soit toujours là parmi nous - présence réelle contenue dans le pain, personne invisible qui accompagne chacun de nos pas et nous connaît mieux que nous, ombre bienveillante de nous même que nous pourrions reconnaître si nous daignons être un peu humbles et baisser la tête pour la voir. De plus, revenir en grandes pompes ne serait pas du « style » de Dieu. Certes, nous espérons aller en Christ et nous espérons Le trouver. Mais nous n’espérons pas tellement Le voir passer au Grand Journal. Nous serions bien embêtés avec un type qui dirait qu’il est le Messie. L'adoration se transformerait en idolâtrie et l'idolâtrie est ce qui a fait le plus de mal au monde et à Dieu.
En l'occurrence, les Evangiles sont très réservés quant à ce qui s’est passé après la Résurrection – soient les quarante jours qui précèdent l’Ascension. Quarante jours terrestres où le Ressuscité ne manque visiblement pas d’occupations : « Il y a encore beaucoup d’autres choses que Jésus a faites ; si on les écrivait une à une, le monde lui-même, je crois, ne saurait contenir les livres qu’on en écrirait », écrit Jean à la toute fin de son Evangile (21 – 25) sans pour autant en dire plus. Non, la dernière chose saisissante que l’on nous rapporte de la vie de Jésus sur Terre, c’est son départ aux Cieux, ce que l’on va appeler l’Ascension, à laquelle les disciples vont assister et dont il vont revenir en joie. Ce qui est somme toute assez curieux puisque le Christ ne sera plus a priori avec eux comme avant. « Or, comme il les bénissait, il se sépara d’eux, et il était emporté au ciel. Pour eux, s’étant prosternés devant lui, ils retournèrent à Jérusalem en grande joie, et ils étaient continuellement dans le Temple à bénir Dieu. » (Luc, 24, 50 – 53).
En vérité, cette joie est indice de changement profond. Contrairement à ce qui s’était passé le vendredi saint où les disciples s’étaient sentis abandonnés, l’Ascension marque le jour où ils sentent qu’ils ne le seront plus de toute éternité. Leur joie provient du fait qu’ils ont enfin pigé le truc. Ils ont enfin intériorisé le nouveau mode de la présence de Jésus et qui n’est rien d’autre que le mode de la foi. L’Ascension est donc autant le retour de Jésus « chez Lui » que son « installation chez nous ». C’est un départ qui est une venue. C’est une histoire d’amour qui va commencer et ne jamais finir. Contrairement à David, Moïse, Abraham et même le père Adam, autant de personnages bien sympathiques mais qui, quoique faisant partie de l’histoire, sont fort éloignés de nous, le Christ, par l’Ascension, entérine sa proximité avec nous.
Déjà dans l’épisode fameux de la marche sur les flots (Marc, 6, 45 – 52), Jésus avait montré qu’Il s’occupait de nous même en paraissant loin. Après la multiplication des pains, Il s’était retiré sur « la montagne » pour prier, ordonnant à ses disciples de reprendre la mer. Et voilà qu’une tempête avait lieu. Les disciples commençaient à s’affoler – mais le Seigneur qui les voyait de sa montagne les rejoignait aussitôt en marchant sur la mer, montait sur leur barque, calmait les flots, et rendait possible la traversée jusqu’à son but. Même loin d’eux, Il continuait à veiller sur eux. L’Ascension sera la confirmation de cette cette veille. Jésus monte aux cieux pour mieux nous voir et nous préparer à Le rejoindre.
En effet, l’Ascension nous servira d’échelle. Encore une fois, chaque étape christique précède chaque étape humaine. Encore faut-il comprendre le nouveau mode de contact qui s’est imposé entre Lui et nous après la Résurrection. Et pour cela, se rappeler ce moment incroyable lorsqu’après la découverte du tombeau vide, Marie de Magdala reconnaît Jésus dans le jardinier, se jette sur Lui pour l’embrasser et l'entend lui dire le fameux « Noli me tangere » - « ne me touche pas » (Jean, 20, 17). Voilà qui est un peu dur. Jésus ramène sa fraise devant la femme dont a tellement dit qu’elle était peut-être la sienne et Il refuse que celle-ci le touche – sous-entendant qu’elle pourra le faire quand il ne sera plus là, quand Il sera au ciel : « Ne me touche pas, car je ne suis pas encore monté vers le Père ». Paradoxe chrétien typique : tu ne peux pas me toucher quand je suis là mais tu le pourras quand je ne serai plus là, avec ça, débrouille toi ma fille. En réalité, le sens de ce refus réside, selon Benoît, dans le fait que « la relation précédente avec le Jésus terrestre n’est désormais plus possible (…) L’ancienne façon humaine d’être ensemble et de se rencontrer est dépassée. » Le Ressuscité est d’un autre ordre que le Crucifié, même si c’est la même personne. Comme le dira Paul (2 Corinthiens, 5, 16) : « Si nous avons connu le Christ à la manière humaine, maintenant nous ne le connaissons plus ainsi. Aussi, si quelqu’un est en Christ, il est une nouvelle créature. » On ne touche plus le Christ comme on le touchait avant.
- Pourtant, Il se laisse toucher par les hommes, notamment par Thomas…., pourrait rétorquer un esprit malin.
- Certes, lui répondra-t-on, mais peut-être parce qu’avec les hommes, le contact n’est que clinique, normatif, policé, alors qu’avec une femme, le rapport est par définition autre, plus charnel, affectif, érotique. On avait oublié de le dire tout à l’heure mais la Résurrection n’est pas plus occulte qu’elle n’est sexuelle.
Jésus nous invite donc à l’Ascension – à monter avec Lui. C’est à travers ce nouveau mode qu’on pourra Le toucher. Comme le dit le Saint Père, « le fait de toucher le Christ et le fait de monter sont [après la Résurrection] intrinsèquement liés. » Il ne s’agit pas de scruter l’avenir, mais de s’ouvrir au présent de sa présence. Et s’il y a Parousie, ce n’est pas de notre ressort ni même de celui des disciples. Pas d’éphéméride de la Parousie. Pas de date de l’Apocalypse. La seule chose qui compte, c’est comprendre sa parole :« Et voici que je suis avec vous pour toujours jusqu’à la fin du monde »
Bonne Ascension à toutes et tous !
(Cet article a été publié une première fois le 10 avril 2012 sur le site du RING)