« CE QUE JE REPROCHE A LA GAUCHE, c'est d'abord son universalisme, qu'elle a hérité du monothéisme judéo-chrétien (...) Dans une telle perspective, tout ce qui distingue les cultures et les peuples est nécessairement gommé, ignoré ou considéré comme inessentiel. La gauche ne voit pas que nous n'appartenons à l'humanité que par la médiation d'une culture singulière. C'est pour cela qu'elle attache autant d'importance à la "France des Droits de l'Homme", laissant entendre que son principal titre de gloire est d'avoir proclamé de façon surplombante l'identité des droits humains [d'où son colonialisme tout azimut au XIX ème et au XX ème siècle qui n'est qu'une forme d'ethocentrisme larvé.] (...)
Cet universalisme explique la préférence de la gauche pour l'égalité arithmétique plutôt que pour l'égalité proportionnelle. La gauche a tendance à identifier l'égalité à la Mêmeté, d'où toute une série de tensions entre universalisme et défense de la cause des peuples, entre féminisme identitaire et féminisme égalitaire, entre l'antiracisme et la critique du communautarisme, etc.(...)
L'universalisme, en outre, amène à tenir les frontières pour inexistantes ou du moins à les considérer comme nuisibles, en s'imaginant qu'elles visent d'abord à exclure, alors qu'en réalité elles protègent. (...) La gauche n'aime pas les limites. C'est pourquoi elle s'est si souvent engagée dans leproductivisme à outrance, rivalisant en cela avec le capitalisme libéral. La logique du toujours plus relève aussi du prométhéisme, qui est l'idéologie de la démesure. La gauche ne croit pas à un donné préexistant à tout acte créateur. Elle croit aux pouvoirs illimités de la volonté rationnelle, sur le modèle biblique de la volonté de Dieu qui crée ex nihilo sans être conditionné par quoi que ce soit. (...) [LA GAUCHE EST CONSTRUCTIVISTE.]
Si l'erreur de la droite est trop souvent de croire que rien ne doit jamais changer, l'erreur de la gauche est, à l'inverse, de croire que tout est possible (...)
Anthropologiquement parlant, la gauche a une conception gravement déficiente de la nature humaine. Par optimisme, ou par irénisme, elle s'interdit de voir que le mal est en l'homme, tout autant que le bien, ce qui l'empêche d'identifier les racines exactes de ce qu'elle déplore dans la société. (...)
La gauche, du fait de son universalisme, préfère les morales déontologiques aux morales arétiques. A l'éthique, elle préfère la morale, et la morale dont elle se réclame donne la priorité au juste sur le bien. Par ailleurs, tandis que la droite radicale a une vision adolescentiste de la politique, qu'elle ramène à l'éthique, la gauche radicale a une vision infantile de la politique, qu'elle ramène à la morale. Idéal héroïque d'un côté, idéal fusionnel de l'autre. Modèle du père d'un côté, modèle de la mère de l'autre, mais même incapacité à résoudre son Oedipe. Parce que la gauche donne la priorité au juste sur le bien, sa critique sociale se borne souvent à dire que le monde est "injuste", qu'il faut le "réparer" pour le rendre plus juste - idée qui, elle aussi, provient de la Bible. C'est pourquoi sa critique de l'injustice sociale tombe souvent dans le dolorisme. Toute domination étant injuste à ses yeux, elle prend systématiquement le parti des humbles et des opprimés, non pour les aider à devenir plus forts, mais pour affirmer la supériorité de la faiblesse et de l'humilité. Les dominés seraient en tant que tels des élus promis à la rédemption. Je suis tout à fait allergique à cette idée oblative de justes souffrants et rédempteurs, rédempteurs parce que souffrants et souffrants parce que justes. Une telle attitude ne relève pas du socialisme mais de l'esprit des Béatitudes, c'est-à-dire de l'apologie de la faiblesse et de la haine de la puissance [quel nietzschéen conséquent, tout de même !] (...) Je crois qu'on peut dénoncer la raison du plus fort sans pour autant déconsidérer la force (...)
Ce que je reproche enfin à la gauche, c'est son adhésion à la théorie du progrès. L'erreur de la théorie du progrès, c'est d'abord son historicisme : l'idée que l'humanité est appelée à évoluer de façon solidaire dans une direction donnée, dont on on pourrait prévoir à l'avance le point d'aboutissement (...) »
[Et de nous rappeler le coup du "ruban de Moebius" cher à Michéa qui voit le libéralisme sociétal de gauche rejoindre le libéralisme économique de droite qui dans tous les cas profite au marché total et cela même si gauchiste et droitistes se rejettent inlassablement la patate chaude du libéralisme.]
ADDENDUM - discussion avec Balme sur mon mur FB :
Balme - Au moins d'accord sur deux points: le ruban de Moebius, et surtout: Dieu est à gauche. C'est Deub's qui le dit.
25 mars, 13:38 · J’aime · 1
Pierre Cormary - Un créateur ne peut être de gauche, voyons. C'est antinomique.
Hier, à 09:07 · J’aime
Balme - La plupart des créateurs sont de gauche (mais parmi les plus intéressants on trouve des droitards, c'est vrai)
Hier, à 09:56 · J’aime
Pierre Cormary - Aucun grand créateur n'est de gauche !!! Chateaubriand, Dostoïevski, Balzac, Baudelaire, Flaubert, tous de fieffés réactionnaires... Et ça va de soi : quand on écrit, on ne recherche pas le progrès (sauf Hugo, éventuellement...)
Hier, à 10:02 · J’aime · 1
Raphaël - De toute façon, Dieu a inventé la gauche ET la droite. Il est donc ambidextre.
Hier, à 10:05 · Je n’aime plus · 1
Eric L. - Dominique de Roux, lettre à Pierre de Boisdeffre le 22 décembre 1968 :
« Car je dirai que depuis plusieurs dizaines d’années (30 ans - 40 ans) le grand Art est à droite, la grande littérature n’est qu’à droite, et son héroïsme et sa folie. Je ne parlerai ici ni des Nimiers, ni des Blondins, qui ne sont jamais sortis des crèches bourgeoises où officient, bedonnants et imbéciles, les sinistres cuistots à la Revel.
L’origine se cache sous le commencement. Et toute grande trajectoire artistique est celle de l’échec, d’un désespoir qui s’applique fermement à s’y tenir comme le cavalier guindé sous la visière de son heaume. Blanchot / Michaux / Gadda / Cummings / Joyce / Yeats / Nizan / Jean Genet / Claudel / G. Benn / E. Pound / Ungaretti / Lawrence / Jünger / Heidegger / Gombrowicz / Biely / Artaud / L-F Céline, tous des écrivains de droite, qui ont su dès le départ qu’il n’y avait pas d’arc-en-ciel possible au-dessus du désert. Tous aussi n’ont cherché le repos que dans l’éternité, révélant de nouveaux signes, essayant par là de recréer les Dieux.
A gauche ? La grande époque de la gauche est antérieure. C’est une partie du XIX ème siècle. C’est Zola, c’est Hugo (à la rigueur, mais déjà traître). Ce sont les quelques porteurs de larmes, les larmatori dont Péguy est la dernière méditation. Un Péguy de gauche qui constate que la gauche ne va plus être soudain que ces progressistes fuyant le divin, contents d’eux, séparés de la réalité, tachés de toutes les sauces que donne le repos dans la science. De gros convives. De simples maîtres de tavernes. »
23 h · Je n’aime plus · 3
Ludovic - Pour créer, il faut savoir donner vie à l'Autre, ne pas l'enfermer dans un stéréotype, évoquer l'ensemble des forces en présence sans en maudire ou en oublier certaines...bref ne pas être de gauche !
23 h · Je n’aime plus · 2
Faustin - Et n'oublions pas : qui est de gauche est de droite, et inversement !!
23 h · J’aime
François X - Aucune, tout est faux dans "gauche" ; l'expression populaire le rappelle d'ailleurs ; comme tout est roide dans "droite" : donc vive le roi !
21 h · J’aime
Balme - Déjà Pierre, tu classes un peu vite les auteurs que tu aimes à droite: Flaubert on est d'accord. Chateaubriand je veux bien, meme si comme dit D'Ormesson il est un peu trop libéral pour etre conservateur; mais Balzac, Baudelaire et Dostoïevski c'est beaucoup plus compliqué. Balzac était rejeté par les deux camps et avait certaines idées égalitaires, Baudelaire a participé aux barricades en 1848, et Dostoïevski était très libéral avant son virage orthodoxe mystique. Et puis bon, Victor Hugo évidemment, mais quid de: Proust ? Camus ? Malraux ? Lamartine ? Montesquieu ? Rousseau ? Nerval ? Sand ? Sartre ? Stendhal ? Zola ? Aragon ? Et hors de l'hexagone: Garcia Marquez ? Asimov ? Faulkner ? Steinbeck ? Hemingway ? Auster ? Dickens ? Garcia Lorca ? Hughes ? Et surtout, surtout, Orwell ????
13 h · J’aime · 1
Pierre Cormary - Dostoïevski est ultra slavophile (nationaliste) christo intégriste (et, avec Les Démons, anti-bolchévique avant l'heure), Balzac est catho-légitimiste, Baudelaire est à l'extrême droite de l'extrême droite (partisan de la peine de mort qui le fait bander et qui dira que Sand, en effet de gauche, est une "latrine"), Proust est un dreyfusard maurrassien, Stendhal (gauche politique au sens anti-monarchiste mais super droite de tempérament) est le maître à penser de Nietzsche et des hussards, Montesquieu est pour la monarchie parlementaire, ZOLA EST UN DREYUSARD D'EXTREME DROITE (et là, on peut le prouver facilement), Rousseau un libéral démocrate qui contient en effet la terreur (cas extrêmement compliqué et passionnant : ses essais politiques sont de gauche, ses livres autobio de droite), Faulkner est américain sudiste, Malraux un connard prétentieux illisible, Sartre, un salaud lisible, Aragon un coco adoré à droite (j'adore son Aurélien), Hemingway un génial américain de gauche, ce qui complique la donne. Les autres, il faudrait vraiment se renseigner (Dickens ? Nerval ?). Quant à Orwell, il est l'honneur d'une gauche qui n'existe pas et qui n'est célébrée qu'à droite. Le plus grand antistalinien de sa génération, en tous cas.
Mais "libéral", est-ce la gauche ou la droite. Je nous donne quatre cent heures...
12 h · J’aime · 2
Balme - oui mais on insulte un femme qui se trouve etre de gauche, oui mais on aime Maurras, oui mais quand-meme niveau tempérament, oui mais on est pour la Monarchie (à l'époque ou tout le monde l'est ou presque), oui mais on est Zola mais on est d'extreme-droite parce que et puis c'est tout, oui mais son autobio, oui mais on est du sud des US, oui mais on écrit mal (enfin selon toi), oui mais on est un salaud (de gauche quand-meme), oui mais les gens de droite l'aiment bien, oui mais il est seul et les gens de droite le célèbrent => Tu cherches la droite chez les gens toi.
12 h · J’aime
Balme - Sinon, libéral n'est ni de droite ni de gauche. C'est rien. Mais à l'époque, à gauche bien sur. Meme Bastiat siégeait à gauche au Parlement de Bordeaux.
12 h · J’aime
Pierre Cormary - Je cherche la droite chez les gens et parfois je la trouve pire que chez moi (Baudelaire, Dostoïevski, Balzac, Zola, etc) et je peux t'assurer que je ne "tire" rien de force. Rousseau et Stendhal sont des cas plus compliqués, c'est vrai, mais La Chartreuse de Parme et les Rêveries du promeneur solitaire ne sont pas des rêveries de gauche. Non, je t'assure... D'ailleurs, en tant lecteur de Houellebecq, tu le sais bien. Dans Les particules élémentaires, le narrateur montait à Paris voir Sollers qui lui disait la même chose ! "Les grands auteurs sont réactionnaires" (sauf Hugo, Hector Malot et quelques autres moins brillants...)
De toutes façons, l'art et la littérature sont de droite par nature, ne serait-ce que parce la gauche leur préfère la culture, l'Histoire, "la poursuite du bonheur". Or la littérature ne poursuit pas du tout le bonheur mais plutôt la tragédie. Quand on est de gauche, écrivait Cioran, on a comme souci l'avenir, le progrès, la réforme de l'humanité, et par conséquent on méprise tous ces gens qui décrivent le présent, louent le passé, ou se complaisent avec la mort et la mémoire. QUAND ON EST DE GAUCHE ON VEUT CHANGER CONCRETEMENT LE MONDE ET SURTOUT ON VEUT INTELLECTUELLEMENT ET MORALEMENT LE GAGNER. La gauche joue pour et dans le temps alors que la droite n'aime que l'éternité. D'où son souci du style, de la belle phrase, de l'outre-tombe, ce qui pour la gauche est complètement secondaire, superficiel et d'une certaine façon elle a raison. La droite est par essence superficielle (mais profonde). La gauche est vide mais volontariste.
Reste le serpent de mer du libéralisme qui s'invite à droite et à gauche et emmerde tout le monde puisque les libéraux de droite méprisent le libéralisme de gauche et que les libéraux de gauche haïssent le libéralisme de la droite.
8 h · Modifié · J’aime · 1
Pierre Cormary - Encore une fois, la gauche se soucie avant tout de ce qui est moral, social, légal. La gauche raisonne d'abord à partir du devoir-être. Alors que la droite ne s'intéresse qu'à l'être. Si Sophocle avait été de gauche, il n'aurait jamais écrit Oedipe roi (ou sinon avec une fin heureuse, "juste", "droidlhommienne" et tout et tout). Et Racine n'aurait pas écrit Britannicus. L'enjeu métaphysique de la gauche est d'abolir le tragique, le négatif, l'injustice. L'enjeu métaphysique de la droite est de les comprendre et de les décrire.
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Pierre Cormary - Quand Rousseau condamne le théâtre et s'en prend "personnellement" à Molière qu'il trouve pessimiste et sans espoir (se reconnaissant dans Alceste, ce qu'il est assurément, le con), il réagit vraiment en homme de gauche. Parce qu'on n'est ni misanthrope ni pessimiste à gauche. Impossible.
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Pierre Cormary - Aucun homme de gauche n'aurait pu écrire Don Quichotte, cet idéaliste qui perd à tous les coups.
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Pierre Cormary - La gauche croit en l'homme. La droite en la vie qui parfois massacre l'homme (Iliade).
8 h · Modifié · J’aime
Pierre Cormary - En ce sens, la gauche est plus "chrétienne" que la droite - mais d'un christianisme immanent, réalisable.... donc antichrétien. La gauche pense que le royaume de Dieu est de ce monde - alors que la droite, pas du tout (voir Pascal : on est tous pourris, le monde est un chaos, et à par le pari, on n'a aucune chance.) La gauche pense que le Christ revient ici-bas alors que la droite estime qu'il revient là-haut. LA GAUCHE ESPERE DANS LE SOCIAL, LA DROITE ESPERE DANS LE SALUT.
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Pierre Cormary- Maintenant, je reconnais bien volontiers que l'on a dialectiquement besoin de l'une et de l'autre.
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Pierre Cormary - J'ai besoin de toi, Balme !!!!
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