A l’heure de la confusion des sexes, de la mode queer et d’un certain narcissisme triomphant, rien de tel qu’un ouvrage érotique pour retrouver la simplicité biblique de l’attrait universel de l’homme pour la femme et celui de la femme pour l’homme. Scandées par des phrases du Cantique des Cantique, ces Petites douceurs constituent non seulement la délicate puis perverse initiation à l’amour d’une jeune fille autant qu’un poignant drame psychologique.
Soit Kitty, adolescente négligée par des parents bobos, père écrivain et amateur de femmes, mère artiste qui ne peint que des fœtus qui sont de plus en plus petits. Dans cet univers d’absences, elle retourne son intérêt et son affection, bientôt son désir, pour Joe, dandy venu de nulle part et qui lui propose de la révéler à l’amour. Petit à petit, il lui apprend à libérer la femme en elle, à surmonter la honte d’avoir du plaisir, le tout avec « une sorte d’effet à retardement » qui émoustille autant les sens de la jeune fille que ceux du lecteur. Car cette montée en excitation semble ne jamais avoir de fin et retombe aussitôt qu’elle allait atteindre son but. Mais peut-être Joe n’est-il pas l’homme qu’il dit. Il faudra arriver aux dernières pages pour comprendre le sens tragique de ces préliminaires. Le conte rose tourne alors au drame et révèle l’écriture magnifique de Cathy de Vasseley, à l’aise dans l’érotique aussi bien que dans le dramatique. Comme toutes les vraies histoires de sexe, celle-ci est une histoire de cœur et de cœur brisé. A son niveau, elle vient d’écrire son Sanctuaire.
Quatre questions à Cathy de Vasseley
Cathy de Vasseley, avouez, Kitty, c’est vous ?
Je crois que l’on ne peut écrire que sur soi ou plutôt à partir de soi. On extrait une histoire de sa propre matière, de ses propres données. Celles que l’on emmagasine jour après jour, heure après heure, filtrées par une sensibilité, une manière de trier l’information qui nous est personnelle. Dans ce sens, oui, Kitty c’est moi, mais c’est un moi travesti, un moi qui s’est créé son propre parcours, une forme d’arborescence à l’intérieur de moi. Cette histoire s’est écrite toute seule, il a suffi de laisser la bobine se dérouler. Ce n’est qu’après, bien plus tard, à la relecture du livre que j’ai pu comprendre d’où provenaient certains éléments. Tout est donc vrai, mais pas comme ça.
Dans votre livre, vous mettez en parallèle la négligence des parents avec l’aventure malheureuse de la jeune fille. Seriez-vous une moraliste doublée d’une féministe ?
Non, je suis tout sauf une « quelque-chose-iste ». Je déteste les étiquettes, les casiers où l’on range les gens. Il n’y a aucune morale à cette histoire. Loin de moi l’idée de vouloir culpabiliser les parents. Je dépeins, il me semble, des personnes enfermées dans leur propre construction, incapables de communiquer leurs sentiments ou leurs émotions, des artistes un peu autistes.
Quant au féminisme… Si être une femme éprise de liberté signifie être féministe, alors oui, je revendique ce titre.
Que pensez-vous de cette prise en main de la pornographie par les femmes en littérature comme au cinéma (Catherine Millet, Catherine Breillat) ?
Les femmes ont toujours écrit sur la sexualité. Le premier texte que j’ai lu à ce sujet a été le récit de la nuit de noces de Mme de Sévigné. Les femmes sont actrices au même titre que les hommes dans la sexualité. Il me paraît normal qu’elles abordent elles aussi ce thème. Si elles sont plus présentes que les hommes dans le domaine pornographique actuellement (en France, ce n’est pas le cas dans d’autres pays), et s’expriment d’une manière véhémente qui peut choquer, il s’agit peut-être d’un retour du balancier. Elles revendiquent une totale liberté sexuelle de manière provocante, je l’admets, mais un excès en engendre toujours un autre. On les avait tenues à l’écart, elles reviennent en force.
Votre prochain livre ?
J’y travaille. Il est le pendant de « Petites douceurs » dans le sens où l’héroïne parvient à ses fin. Elle adopte une attitude plus affirmée, plus rebelle. À partir d’une même matière, j’ai imaginé un texte très différent, sans doute plus jouissif. Puis je quitterai le thème de l’initiation. Le manuscrit sur lequel je travaille actuellement se situe dans une veine festive et très exotique. Je n’en dirai pas plus. Il ne faut jamais trop parler pendant la gestation.
(Cet article est paru dans le numéro sept du Magazine des Livres de décembre 07.)