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hans urs von balthasar - Page 7

  • Contre l'enfer III - Ce que dit l'Ecriture

     

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    « Le Nouveau Testament aligne deux séries d'affirmations scripturaires que nous ne saurions ramener à une synthèse unifiée. La première ouvre à notre espérance des perspectives apparemment illimitées ; [la seconde] interdit toute conclusion légère (tout ira bien, vous verrez), et nous met implacablement devant la possibilité gravissime de notre perdition ».

    D'un côté, le salut pour tous, d'un autre, le risque réel de la damnation. Le Christ Lui-même affirme avec la même force les deux lignes :

    « je ne suis pas venu pour juger le monde mais pour le sauver » (Jean 12,47)

    et « c'est pour un jugement que je suis venu dans ce monde » (9, 39).

    D'habitude, l'on s'en sort en arguant que ce jugement de Jésus est surtout celui de l'individu envers lui-même. Jésus vient sauver tout le monde sauf qu'il y en a qui ne veulent pas l'être, endurcis dans leurs péchés, se damnant en toute conscience, choisissant volontairement l'enfer. Bien entendu, personne n'en est sûre. Et c'est là que la sensibilité pénale ou miséricordieuse (pour ne pas dire sadique ou douce)  de chacun intervient.

    A la question « celui qui se récuse aujourd'hui va-t-il se récuser définitivement ? », « deux réponses sont possibles. La première s'empresse de répondre oui. C'est le partisan de la solution infernale [qu'on est en droit d'appeler solution finale !]. La seconde consiste à dire : je ne sais pas, mais je crois pouvoir espérer (en me basant sur la première série d'affirmations scripturaires) que la lumière de l'amour divin sera finalement capable de traverser tout obscurité et tout refus de l'homme. »

    Tout l'argumentaire de Balthasar (qui penche évidemment pour la seconde) consistera à suggérer que la rigueur des versets infernaux n'est là que comme un avertissement et que si la damnation est une possibilité réelle, sérieuse (qui conditionne le sérieux de la foi, etc.), on n'a pas la certitude de sa concrétisation – CAR LA CROYANCE N'EST PAS UNE CERTITUDE NI UNE SCIENCE. Je crois en Dieu ne veut pas dire je sais en Dieu.

    L'enfer est donc bien une sorte de piège à con qui va révéler la nature de chacun : intransigeante ou sadique pour les uns, miséricordieuse ou mollassonne pour les autres. D'un côté, ceux qui ont soif de justice comme les dieux d'Anatole France, de l'autre, ceux qui ont soif d'amour y compris sous le soleil de Satan. L'enfer se révélerait alors comme un dogme... dialectique qui joue la loi contre le pardon, le pardon contre le jugement, le jugement contre l'amour, l'amour contre la justice, etc.

    Entre les bénédictions et les malédictions, chacun suivra sa pente même si Balthasar fait remarquer que dans la Bible les secondes sont plus nombreuses que les premières – mais peut-être parce qu'une bénédiction vaut cent malédictions. Un « viens » vaut mille « va-t'en ».

    L'enfer serait-il donc une sorte de dissuasion nucléaire ? Même à moi à qui il fait horreur, je suis bien obligé de reconnaître qu'il a son efficacité sociale et éducative. Dieu a sans doute besoin de nous faire peur pour nous motiver et un verset comme « Chacun recevra le prix de ce qu'il aura fait durant sa vie corporelle, soit en bien soit en mal » (2 Cor 5, 10) relève du bon sens juridique universel plus que de la miséricorde. Il est clair que les méchants doivent être punis et que la justice, comme la police, est une nécessité sociale. Mais c'est par cette légitimité sociale que repose paradoxalement la réalité mystique de l'enfer. Si le ciel ne fait que développer sur un mode « céleste » ce qui se passe sur la terre, si l'on passe du tribunal de grande instance au tribunal du Jugement Dernier, de la prison des hommes à la prison de Dieu, au-delà de l'horreur que cela suscite, naît un sentiment de déception majeure. Le Jugement Dernier ne serait qu'un jugement de plus – on passerait du bourreau relatif au bourreau suprême. Ça valait bien la peine de nous rebattre les oreilles pendant des millions de messe en nous disant que Dieu nous ouvrait à une « autre dimension » ? Tu parles de la dimension ! Si l'espérance n'est qu'une vie éternelle qui reprend les modes de la vie mortelle, autant aller boire un coup au Suffren. En revanche, une espérance qui espère un amour total, infini, qui déborde tout ce que l'on peut imaginer, là, on veut bien faire un effort.

    Je l'aime vraiment beaucoup, cet Hans Urs.

     

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    Disputation avec Fricka, Hagen et Tannhäuser

     

    Hagen - Moi aussi, je l'aime beaucoup, même si je l'ai peu lu. Mais je garde un souvenir émerveillé des pages de La Gloire et la Croix que j'avais longuement feuilletées, un après-midi pluvieux de printemps du siècle dernier, à la bibliothèque Sainte-Geneviève, quelques jours avant la Fête-Dieu ; notamment de ce qu'il y disait sur le Faust de Goethe (je serais pourtant incapable de restituer correctement ou intégralement le sens de son propos). Pour autant, toutes ces histoires sur l'Enfer vide ou plein, réel ou symbolique, ne m'ont jamais beaucoup accroché ou tourmenté. Les angoisses de Luther ou de Pascal ne furent jamais les miennes (pourvu que ça dure). À mes yeux, l'Enfer, c'est le Néant. Exactement l'inverse de ce qu'en dit Sartre dans son opus philosophique majeur. Satan est et sera toujours le Prince mineur de ce monde, et son oeuvre consiste à nous rendre volontairement absents lors de la résurrection des corps qui précèdera l'avènement de la Parousie. C'est l'amour de Dieu et pour Dieu qui compte, "sur la Terre comme au Ciel". C'est lui, et lui seul qui sauve - peut-être. L'Enfer, c'est surtout une tombe qui ne s'ouvrira jamais plus sur rien. Une fille un peu punk et sataniste que j'avais croisée à l'âge de 19 ans m'avait dit : "J'aime Satan parce qu'il est mon Maître et qu'il m'épargnera toute vie éternelle". Voilà une vraie parole de croyant(e), que je n'ai jamais oubliée.

    Cormary - Sexy la sataniste.

    Hagen - Vous n'avez pas idée. Malheureusement, aussi puritaine qu'une chaisière et castratrice qu'une dévote d'un roman de Mauriac.

    Tannhäuser - Pierre Cormary, le propos ci-dessus d'Hagen, recoupe exactement la thèse développée dans mon livre sur l'Apocatastase au sujet de l'anéantissement des damnés, non ?

    Cormary -  Tannhäuser, oui, on est en plein enfer, tu tombes bien.

    Tannhäuser - Oui, je vois que tu as lu Van Balthasar. Son Enfer en question, je l'ai parcouru de la première à la dernière ligne il y a plus de 20 ans... J'en ai fait un compte rendu peu élogieux dans l'Apocatastase, Irons-nous tous au Paradis ? Mais tu dois t'en souvenir... Autrement, j'ai récemment trouvé une piste confirmant la croyance en l'anéantissement des damnés au livre V de l'Adversus haereses de St Irénée de Lyon. Une pointure et un poids (lourd) dans la balance de cette épineuse question.

    Tannhäuser - Depuis trois ans, Balthasar m'intéresse sur un autre plan : sur celui de sa direction spirituelle de la mystique et néanmoins amie Adrienne von Speyr. Du super bizarre, là encore.

    Fricka - Qu'est-ce que l'anéantissement des damnés ?

    Cormary - Fricka, une solution pratique. Dieu liquide les damnés pour de bon.

    Enfin, je crois, dixit Tannhäuser ?

    Même si je trouve cette solution très humaine mais pas très divine.

    Fricka - Ça ne colle pas avec le Credo, la liquidation.

    "Je crois à la rémission des péchés, à la résurrection de la chair, à la vie éternelle"

    Tannhäuser - Pierre Cormary a écrit : "Solution très humaine mais pas très divine". Solution hors de la portée de l'homme puisque l'âme est indestructible ! Seul le feu dévorant de la Colère divine a le pouvoir d'annihiler les âmes ou la substance des anges : mais là c'est l'anéantissement à tout jamais. Saint Irénée penche vers cette Justice-là qui verrait la destruction à jamais du souvenir et des oeuvres des méchants, des impies, des adultères à Dieu. C'est une hypothèse théologique concernant l'enfer...

    Cormary - Mais que réponds-tu à l'objection de Fricka sur le credo ?

    Tannhäuser - Par une pirouette rhétorique: si les damnés sont anéantis, c'est qu'ils n'auront jamais existé et donc que le credo ne parle pas d'eux. Que les pécheurs dont parle le Credo sont ceux qui auront été capables d'un repentir... qui sauve et fait vivre.

    Cormary - Mais les damnés ou supposés tels ont existé, et leurs situations et proches aussi. Hitler et Staline ont existé pour hélas des millions de gens. Cette Théodicée-là est un peu négationniste, non?

    Dieu ne peut faire qu'une situation qui ait eu lieu n'ait pas eu lieu. Enfin, il me semble.

    Tannhäuser - Argument audible mais qu'anéantit la néantisation de leur existence de damnés...

    Que quelqu'un ou quelque chose ne soit plus définitivement un jour, jamais elle n'aura été, ni hier, ni aujourd'hui ni demain. C'est la logique absurde du Néant.

    Cormary - Un néant à contretemps alors. Un néant en action et rétroactif. Un néant à la Thanos (le méchant de Marvel qui a la possibilité d'abolir l'humanité en un claquement de doigt).

    Tannhäuser - C'est pratique pour le coup le futur antérieur pour parler de telles abstractions fatales.

    Cormary - Donc le divin se rature ? Hitler pourrait n'avoir jamais existé - et donc avec lui, tous les juifs exterminés ?

    Tannhäuser - Point Goldwin, très Cher, là, non ?

    (...)

    Cormary - J'avoue que cet argument de la disparition totale des damnés (quid des démons, d'ailleurs ?) me sidère quelque peu.

    (...)

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    Vitrail de Lucien Bégule, église Saint-Irénée, Lyon.

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