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rachel bespaloff - Page 17

  • Iliade XVII - Chevaux de guerre

     

    A Mathilde Babkine

     

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    Cheval de guerre, Steven Spielberg

     

    Chant XVII –  Parfois, Homère sommeille, dit-on à propos de tel ou tel passage moins inspiré que les autres. Il semble que le chant XVII, « combat sur le corps de Patrocle », n'ait pas la faveur des critiques qui en parlent souvent comme d'un « remplissage ». Pourtant, une phrase comme

    « le tumulte de fer gagne le ciel de bronze et traverse l'espace infini de l'éther »

    n'est pas des moindres et a quelque chose de powysien dans sa volonté de décrire les forces invisibles, les entités mystérieuses qui nous entourent. Et comment ne pas être ému par l'épisode des chevaux d'Achille, ma chère Mathilde, qui refusent de bouger après la mort de Patrocle ?

    « Ils restent sans bouger, plantés comme une stèle à tout jamais dressés au-dessus du tombeau d'un mort ou d'une morte [magnifique détail "féministe" s'il en est] : c'est ainsi que, devant le magnifique char, ils restent immobiles, en appuyant tous deux leur tête sur le sol. A terre, de leurs yeux, coulent des pleurs brûlants, que le regret de leur cocher leur fait répandre ; leur crinière abondante en est toute souillée, qui tombe du collier, des deux côtés du joug. »

    Pendant ce temps, la bataille fait rage entre les preux, chaque camp voulant arracher le corps et les armes de Patrocle à l'autre - se battre à mort pour un mort, tel est aussi l'enjeu de la guerre, sinon de l'humanité. Récupérer le corps soit pour le glorifier lorsqu'il est des nôtres soit pour le souiller lorsqu'il est des autres. La guerre va jusque dans le rituel mortuaire ou dans la volonté d'en priver ses ennemis, les atteindre ainsi dans leur honneur, sinon leur coeur, voire leur statut d'homme. Empêcher l'autre d'enterrer ses morts, telle est peut-être la plus grande violence réelle et symbolique qu'on peut lui faire. C'est tuer deux fois la personne et insulter ses proches - c'est profaner son âme, continuer la souffrance après sa mort, faire de son éternité un enfer (un peu comme voudra le faire le ministre Saint-Fond dans Juliette de Sade). Et c'est à ce moment que la guerre apparaît vraiment comme une barbarie sans nom où, malgré les civilités antiques ou modernes qu'on y met, la violence de l'homme contre l'homme devient pure et sanguinaire affirmation. Il s'agit non seulement de tuer mais de faire en sorte que la tuerie blesse l'âme de celui qui la subit et fasse jouir celui qui l'effectue.

    Ainsi, Apollon stimule Hector tandis qu'Athéna verse dans le coeur de Ménélas

    « l'audace de la mouche, qui s'acharne à piquer un homme dont le sang est pour elle un régal. »

    Ajax, lui, supplie Zeus de leur accorder le corps de Patrocle - quitte à ce qu'ils perdent la bataille :

    « Ah ! Zeus Père, du moins, tire de ce brouillard les fils de l'Achaïe ; donne-nous un ciel clair, fais que nos yeux y voient, puis, en pleine lumière, achève de nous perdre, puisqu'il te plaît ainsi. »

     Et Zeus, « touché par ses larmes », l'exauce. La guerre est aussi une guerre des affects - et peut-être pour les dieux la guerre est-elle une manière, la seule manière, d'avoir un affect, j'allais dire un contact amoureux avec les hommes.

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     Automédon avec les chevaux d'Achille, Henri Regnault

     

     

     

    A suivre

     

     



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