. Médaillon d'une coupe attique à figures rouges, v. 480 av. J.-C.
Chant XIV - Femme, vin et bain moussant.
« Toi, pourtant, reste assis et bois tranquillement ce vin couleur de flamme, en attendant que ma servante aux belles tresses, Hécamédé, fasse chauffer l'eau de ton bain. »
« Machaon recherche Hécamédé » - je me demande si cela marcherait sur Adopte un mec ce genre d'annonce.
A part ça, qui a dit qu'Héra était moche et peu amène de séduire son Zeusounet ?
Fabuleux chant XIV tout entier sous le signe de l'éros d'Héra ! Pour permettre à Poséidon (très actif ces derniers chants et qui adore s'incarner en plusieurs avatars) d'aider les Achéens plutôt mal au point, Héra décide de berner son mari. Pour cela, elle se refait une beauté, demande à Aphrodite un petit sortilège d'amour que celle-ci, toute à sa complicité de femme, accepte bien volontiers de lui donner (et sans pour autant lui demander quel est l'enjeu politique de cette tromperie), en l'occurrence un petit ruban ensorcelé, puis se présente à son mari toute câline et se donne à lui. Peu après l'amour, il s'endort (parce que l'amour, ça fait roupiller un mec comme chacun sait) et les Achéens, secondés par Poséidon, reprennent du poil de la bête et emportent la bataille contre les Troyens - Hector lui-même étant blessé.
De cet épisode connu sous le titre « Zeus berné » (et que condamnèrent pour des raisons morales non le cardinal Barbarin ni Clémentine Autain mais bien Aristophane lui-même et Aristarque de Samothrace, le Roland Barthes de l'époque) on voudrait tout citer tant chaque détail est merveilleux :
« [Héra] gagne sa chambre, ouvrage d'Héphaïstos, son fils, qui la munit d'une porte solide dont un verrou secret ajuste les montants : nul autre dieu ne l'ouvre. Elle franchit le seuil et referme aussitôt la porte scintillante
[cette insistance de l'entrée d'Héra dans sa chambre, presque trop longue pour nous qui parlions il y a quelques jours de la vitesse stylistique d'Homère, avec le verrou, l'entrée, la refermeture - jamais on n'a décrit aussi érotiquement le passage d'une femme dans sa chambre].
De son corps désirable, avec de l'ambroisie, elle efface toute malpropreté. Puis elle prend une huile agréable et divine, parfumée à son goût ; lorsque, dans le palais de Zeus au seuil de bronze, on agite cette huile, la senteur s'en répand au ciel et sur la terre ; elle en oint son beau corps, puis, de SES PROPRES MAINS
[que n'imagine-t-on pas ce qu'elle fait en propre et seule avec ses mains - les mains d'Héra ?],
peigne sa chevelure. De son front immortel bientôt pendent les tresses qui brillent d'un éclat magnifique et divin. Ensuite, elle revêt une robe divine
[pourquoi l'emploi de cet adjectif, "divin" ou "divine", qui apparaît trois fois dans la même phrase, n'est jamais redondant et se révèle toujours plus érogène ?],
ouvrage qu'Athéna fit et lustra pour elle
[Athéna brodeuse de ses propres mains, donc - les dieux, et surtout les déesses, sont des manuels, et on a envie d'écrire "manuelles"..],
non sans l'agrémenter de mille broderies, et des agrafes d'or la tiennent sur sa gorge. D'une ceinture à cent franges elle se pare. Puis elle attache à ses oreilles bien percées des pendentifs à trois chatons, d'un fin travail, pleins de grâce et d'éclat. D'un beau voile tout neuf, blanc comme le soleil, cette toute divine enfin couvre sa tête, et sous ses pieds brillants met de belles sandales. Lorsque ainsi tout son corps a reçu sa parure, elle sort de sa chambre, elle appelle Aphrodite, et, LOIN DES AUTRES DIEUX, l'interpelle en ces termes (....) ».
Armée du ruban vénusien, elle se présente à Zeus sur son mont Gargare qui dès, qu'il l'aperçoit, et grâce au ruban, se met à la désirer comme au premier jour, d'
« un amour aussi fort que celui de jadis, au jour où tous les deux, POUR LA PREMIERE FOIS, S'UNIRENT DANS UN LIT A L'INSU DES PARENTS. »
Parce que faire l'amour, même pour les dieux, est un affranchissement. Ne pouvant plus se retenir comme l'ado qu'il est redevenu, Zeus se précipite sur sa femme qui à cet instant redevient l'Héra hargneuse qu'on ne connaît que trop, lui jetant cette remarque étonnamment moderne que sans doute toutes les femmes se sont faites un jour ou l'on faites à leur compagnon :
« Allons-nous coucher là, puisque DECIDEMENT c'est le lit qui t'attire. »
Et c'est sur une nature divine en joie que se termine cet épisode unique :
« A ces mots, le Cronide en ses bras prend sa femme. Sous eux le sol divin fait naître une herbe tendre où se mêlent safran, jacinthe et frais lotus, - tapis doux et serré qui les soutient tous deux au-dessus de la terre : ils s'étendent sur lui, tandis que les entoure un beau nuage d'or, d'où perle une rosée en gouttes scintillantes. »
A favorite custom, par Sir Lawrence Alma Tadema