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Pierre Cormary - Page 130

  • Deleuze - Welles : vérités et mensonges

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    ORSON WELLES A DIT

    « L’essentiel est la durée de chaque image, ce qui suit chaque image : c’est toute l’éloquence du cinéma que l’on fabrique dans la salle de montage. »

    « Je cherche le rythme exact entre un cadrage et le suivant. C’est une question d’oreille : le montage est le moment où le film a affaire avec le sens de l’ouïe. »

    « … le cerveau est plus engagé par l’ouïe que par la vue. Pour écouter, il faut penser : regarder est une expérience sensorielle, plus belle peut-être, plus poétique, mais où l’attention a une moins grande part. »

    « Je ne m’intéresse pas aux œuvres d’art, vous savez, à la postérité, à la renommée, seulement au plaisir de l’expérimentation elle-même : c’est le seul domaine où je me sente vraiment honnête et sincère. Je n’ai aucune dévotion pour ce que j’ai fait : c’est réellement sans valeur à mes yeux. Je suis profondément cynique envers mon travail et envers la plupart des œuvres que je vois dans le monde : mais je ne suis pas cynique envers l’acte de travailler sur un matériau (…) Je ne suis donc pas extase devant l’art : je suis en extase devant LA FONCTION HUMAINE, ce qui sous-tend tout ce que nous faisons avec nos mains, nos sens, etc. »

    « Plus ou moins volontairement, j’ai joué, vous savez, beaucoup de rôles de sales types. Je déteste Harry Lime, ce petit voyou du marché noir, tous ces gens horribles que j’ai interprétés ; mais ce ne sont pas des petits, parce que je suis un acteur pour grands personnages. (…) Naturellement, je joue toujours des rôles de chefs, de gens qui ont une ampleur extraordinaire : je dois toujours être BIGGER THAN LIFE, plus grand que nature. »

    « Si vous avez le choix entre l’abus du pouvoir policier et laisser un crime impuni, il faut choisir le crime impuni. Voilà mon point de vue. »

    « Ainsi, pour moi, Quinlan [le policier de La Soif du mal qui invente de fausses preuves pour arrêter de vrais criminels] est l’incarnation de tout ce contre quoi je lutte, politiquement et moralement parlant. Je suis contre Quinlan parce qu’il veut s’arroger le droit de juger : ET C’EST CE QUE JE DETESTE PAR-DESSUS TOUT, LES GENS QUI VEULENT JUGER DE LEUR PROPRE CHEF. Je crois qu’on n’a le droit de juger que selon une religion, ou une loi, ou les deux. Si vous décidez de vous-même que quelqu’un est coupable, bon ou méchant, c’est la loi de la jungle, la porte ouverte aux gens qui lynchent leurs semblables, aux petits gangsters qui se baladent dans les rues… Mais je dois aimer Quinlan à cause de quelque chose d’autre que je lui ai donné : le fait qu’il ait pu aimer Marlène Dietrich, qu’il ait reçu une balle à la place de son ami, le fait qu’il ait un cœur.  Mais ce à quoi il croit est détestable. »

    « Goering, par exemple, était un homme détestable, mais on a tout de même de la sympathie pour lui : il avait chez lui quelque chose de tellement humain, même lors du procès. – Par contre, Himmler était un parfait gangster. – Oui, si bien qu’il n’y a rien à dire sur lui. Mais Goering, on peut le regarder et dire : voilà mon ennemi, je le hais ; mais il est humain, il a une texture humaine, à défaut d’une morale. »

    « Hamlet est un traître, pas de doute, parce qu’il souhaite tuer son oncle sans permettre à son âme d’être sauvée. Regardez le plaisir avec lequel il décrit le meurtre de Rosencrantz : c’est un traître. Et il a beau être aussi tout autre chose, l’homme de la Renaissance, Shakespeare, tout ce qui a pu être écrit à son sujet, il est quand même un salaud. Tous les grands personnages de Shakespeare sont des salauds : ils sont forcés de l’être. »

    « Pour moi, c’est la vertu essentielle [la générosité]. Je hais toutes les opinions qui privent l’humanité du moindre de ses privilèges ; SI UNE CROYANCE QUELCONQUE EXIGE DE RENONCER À QUELQUE CHOSE D’HUMAIN, JE LA DETESTE. Je suis donc contre tous les fanatismes, je hais les slogans politiques ou religieux. JE DETESTE QUICONQUE VEUT RETRANCHER UNE NOTE DE LA GAMME HUMAINE : on doit à tout moment pouvoir en faire vibrer tous les accords. »

    « Personne au monde ne déteste plus Gide que moi (…) André Gide est un type funeste ! Non seulement je n’ai aucune sympathie pour lui, mais je n’ai pas envie de la compagnie de ses bouquins. Il a été néfaste à trop d’esprits en France, à trop de jeunes intellectuels. Et je ne crois pas qu’il ait eu le moins du monde l’esprit ou l’imagination d’un poète : c’était l’esprit le plus prosaïque qui fût. »

    « Il y a toutes sortes d’hérésies chrétiennes affirmant que l’âme n’est pas immortelle : et elles durent depuis pas mal de temps. Il y a Dieu, mais l’existence de Dieu n’implique pas que l’âme soit immortelle. »

    « Montaigne ? Vous avez dit Montaigne ? C’est mon auteur préféré, vous savez. (…) C’est un très grand ami de ma vie. Et, par plusieurs côtés, il rejoint l’esprit de Shakespeare, la violence en moins. »

    « [À propos de Harry Lime dans Le Troisième homme : « C’est le seul rôle que j’ai joué sans maquillage ! »

    « Le plus grand danger pour un artiste est de se trouver dans une position confortable : c’est son devoir de se trouver au point d’inconfort maximum, de chercher ce point. »

    « Un puritain vous refuse la permission de faire quelque chose. La définition essentielle du puritanisme – je suis technicien en puritanisme – est qu’il s’arroge le droit de d’interdire à quelqu’un de faire quelque chose. Pour moi, c’est la parfaite définition de tout ce contre quoi je suis. Un moraliste n’est pas du tout un puritain. »

    « Je crois que je suis partagé entre ma personnalité et mes croyances, pas entre mon cœur et mon esprit. Avez-vous la moindre idée, Messieurs, de ce à quoi je ressemblerais si j’obéissais à ma personnalité ? »

    « Je donne à mes ennemis non seulement les meilleurs arguments, mais ce qu’ils peuvent trouver de mieux à dire pour défendre leur point de vue. (…) Ce n’est pas du tout une question de moralité, c’est une question de charme. – C’est une conception féminine de la vie. – Les seuls bons artistes sont féminins. Je n’admets pas l’existence d’un artiste dont la personnalité dominante soit masculine. Ça n’a rien à voir avec l’homosexualité ; mais intellectuellement, un artiste doit être un homme avec des aptitudes féminines. C’est encore plus difficile pour une femme, parce qu’elle doit avoir des aptitudes masculines et féminines, et… ça devient très compliqué. Pour un homme, c’est plus simple. »

    « Parmi les jeunes metteurs en scène américains, je ne vois guère que Kubrick : The Killing n’était pas trop mal, mais Paths of Glory est dégoûtant ; je suis encore parti après la deuxième bobine. »

    « Vous devriez avoir honte de ne pas aimer De Sica : il faudrait que nous puissions en reparler dans deux cents ans. – Et Rossellini ? – Celui-là, j’ai vu tous ses films. C’est un amateur. »

     

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