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  • Christine Angot, la malade imaginaire - par Gilles Martin-Chauffier

     

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    Elle revient ! Et cette fois-ci c’est l’acteur et le banquier qu’elle croise qui font les frais des tourments de cette éternelle hypocondriaque, plus “moitrinaire” que jamais.

    Christine Angot a encore changé d’éditeur. Après Gallimard, Fayard et Stock, la voici chez Flammarion. Elle n’est jamais contente de ceux qui se battent pour elle. Etre son attaché de presse ne doit pas être drôle. Si on en juge par ses livres, c’est une personne qui ignore l’humour et ne supporte pas l’ironie. Ne pensez pas qu’elle compense cette lacune par un emploi habile du suspense, des portraits, du style, du dialogue ou de quelque autre ficelle romanesque éprouvée. Christine Angot n’a qu’une corde à son arc : la vérité. Elle dit ce qu’elle pense et raconte ce qui lui arrive. Point final. Que pense-t-elle ? Rien. Que lui arrive-t-il ? Rien. Ainsi l’an dernier est-elle tombée amoureuse d’un comédien. Il lui plaisait physiquement et elle aimait l’idée de séduire un acteur de théâtre qui, d’habitude, vit dans le texte. Elle l’avait repéré car il avait dit à droite à gauche qu’il aimait ses livres. Il aurait mieux fait de se taire, ça lui aurait évité de lire les 380 pages qu’elle consacre à sa dérobade. Car, pour finir, je vous le dis tout de suite, il l’enverra promener. On parle d’une histoire d’amour sans queue ni tête. Cela dit, ne regrettez pas l’échec de la tentative de séduction de Christine Angot. Eût-elle atteint son but qu’on n’aurait tout de même rien eu à lire. Où qu’elle passe, Angot ne regarde jamais autour d’elle. Dans un restaurant, elle ne voit personne et ne mange rien. Vous pourriez l’emmener à l’Elysée, elle n’a d’yeux que pour son magnifique paysage intérieur. A ce point, c’est même fascinant. Comme amant, au début du livre, elle a un banquier, potentat du Tout-Paris financier, propriétaire dans le Luberon, installé près du jardin du Luxembourg. C’est une espèce de César Birotteau déguisé en Casanova qui disserte sur Sollers et parle à son chauffeur comme hier les nouveaux riches s’adressaient à leur cocher. Va-t-elle le mettre en scène ? Non. Il ne sert que de faire-valoir à ses idées sur elle-même. A son propos, elle ne répète qu’une seule chose (quinze ou vingt fois) : pour jouir avec lui, il suffisait qu’elle se dise à l’instant propice que c’était un salaud. Si on était mal à l’aise face à une telle confidence, le livre serait réussi. Là, non. On a juste envie d’appeler le Samu et d’évacuer cette femme avant qu’elle ne brise la vie de sa fille, une adolescente, Léonore – dont on ne saura absolument rien sinon qu’Angot éclate sans cesse en sanglots devant elle sans rime ni raison. Ce n’est plus une mère, c’est le mur des Lamentations. Quand elle n’appelle pas son analyste, elle dissèque les désespoirs qu’elle s’invente, s’assied sous l’arbre à palabres et commente tout ce qui ne lui arrive pas. On dirait une pleureuse branchée sur pilote automatique. Avec ça, elle se juge stendhalienne et se trouve assez XVIIIe siècle. Erreur : elle serait plutôt XVIIe. C’est Christine Argan la malade imaginaire. Elle est faite pour le marivaudage comme Mme de Sévigné pour le labourage. A force de harceler son acteur, elle provoque son agacement, bêle comme un agneau et réclame qu’on la console. Etre son ami doit être un véritable chemin de croix. Pas à ses yeux, cela dit. Elle se prend sincèrement pour un incident passionnant dans la vie de ceux qu’elle croise. En fait, elle se croit romantique et rebelle car elle fait passer ses sentiments avant tout. L’ennui, ce sont les sentiments en question : vanité et nombrilisme. Pour le reste, zéro. Je vous expliquerais plus vite la théorie des trous noirs que la psychologie de cette égoïste. Elle-même, du reste, ne sait pas bien ce qu’elle raconte. Aux deux tiers du livre, elle envoie son fatras à son éditeur afin qu’il lui révèle ce que raconte le texte. Dommage qu’on ne nous ait pas mis ces explications en annexe. Mais peut-être Flammarion n’avait-il pas vraiment lu le manuscrit ? Sinon aurait-on laissé passer, par exemple, ce spécimen de littérature Angot : « Il était debout. Il avait remis son blouson, qu’il n’avait d’ailleurs pas enlevé. » Pour reprendre l’expression de l’auteur elle-même à propos de son travail, c’est vertigineux. Mais comme on dit en médecine : d’une totale innocuité. On lit cet interminable chagrin d’amour et on ne ressent rien.

    « Rendez-vous », de Christine Angot, éd. Flammarion, 380 pages, 20 euros.

    Auteur : Gilles Martin-Chauffier

    PARIS-MATCH - n° 2988 du 24/8/2006

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