Voici le chroniqueur télé Eric Naulleau devenu, en quelques mois d'antenne sur France 2, la bête noire des éditeurs, la créature vomitive des hommes politiques, l'individu répulsif des philosophes, la persona non grata des écrivains, le raseur accablant des chanteurs. Il fait fuir les invités de Laurent Ruquier comme un clodo gueulard tombé d'une benne à ordures dans une présentation de lingerie fine. Dès que sa grosse bouche molle et dédaigneuse-qu'il tente en vain désormais de faire disparaître sous la barbe de Frédéric Beigbeder-s'ouvre, un frisson de dégoût parcourt le plateau, le public et les téléspectateurs. Du moins tous ceux qui me parlent d'« On n'est pas couché ». Eric Naulleau est en train de devenir l'Erich von Stroheim de la télévision française : le gnome que vous aimerez haïr. D'abord enivré par le nouveau statut de procureur général de la création artistique française que lui a offert la productrice Catherine Barma, il commence à comprendre que, si l'art est facile, la critique est difficile. Il en a marre de passer pour le salaud qu'il sait ne pas être, car ce n'est jamais soi, le salaud, ce sont les autres. Il croyait que ce serait courageux de dire publiquement à des artistes qu'on déteste leur travail alors que c'est la lâcheté même, car les autres ne peuvent rien répondre pour leur défense. Ça revient à gifler quelqu'un de plus fort que soi quand il a les mains attachées. Du coup, Naulleau a l'air d'un couard qu'il ne croyait pas être et qu'il n'était sans doute pas avant de cachetonner à « On n'est pas couché ». Il ne sait plus comment échapper au personnage odieux, boursouflé, fort et stupide qu'il s'est fabriqué dans l'euphorie d'une notoriété télévisuelle inattendue. Il s'est vautré dans sa soudaine puissance médiatique comme un hippopotame dans une mare, grognant et soufflant son mépris à tort et à travers, persuadé de faire oeuvre de salubrité publique alors qu'il ne fait aucune oeuvre, rien que des saletés. Il erre désormais d'un plateau de France 2 à un autre, embarrassé quand il se tait et gêné de parler. Il a peur de décevoir en disant quelque chose de gentil et d'exaspérer en disant quelque chose de méchant. Du coup, il croise les bras sur sa forte poitrine d'intellectuel sédentaire et toise les autres invités avec l'air entendu de qui n'entend rien sauf cette petite voix intérieure qui répète inlassablement aux anges déchus qu'ils sont des merdes. J'aimerais l'aider, mais je ne sais pas comment. La seule chose qui pourrait le sauver, ce serait d'être quelqu'un d'autre. A défaut, peut-être devrait-il essayer d'écrire un beau roman, de tourner un bon film, de composer une jolie chanson. Quelle obscure timidité retient Naulleau au bord de la création, lui qui s'essuie les pieds avec tant d'aisance sur celle des autres ? De quoi as-tu peur, Eric ? Pas de passer à « On n'est pas couché » et de subir les apostrophes vexatoires, les remarques sournoises et les sous-entendus visqueux de Naulleau puisque c'est toi, Naulleau. De toute façon, tu n'as plus le choix. « Après la critique doit venir l'affirmation inouïe. » C'est une phrase d'Henri Thomas (1912-1993), grand écrivain français qui ne passait pas à la télévision, car il avait compris que c'est inutile.
Publié le 12/03/2009 N°1904 Le Point
Il faut sauver le soldat Naulleau
Patrick Besson