Eh bien moi, j'aime bien Sollers ! Ou plutôt, je n'arrive pas à le détester. J'ai beau être d'accord avec tout ce que l'on peut dire de lui et qu'un jour Eric Neuhoff résumait en une formule cruelle ("Philippe Sollers aime la littérature mais je ne crois pas que la littérature aime Philippe Sollers"), je ne peux nier le plaisir que j'ai eu à vingt ans en lisant Portrait du Joueur, Le Coeur absolu, Théorie des exceptions ou plus récemment cette Vie divine, mi-ridicule mi brillante qui résume à merveille ce type qui avait tout pour être le meilleur et qui fut si souvent le pire. Que dire en effet de cet ex-maoiste de droite balladuro-ségolénien-sado-papiste qui à force de brouiller les pistes (une bonne idée en soi) aura fini par produire une image catastrophique de lui, brouillonne et galvaudée à force d'être stratégique - et de cette stratégie maladroite (le comble) qui n'aura jamais trompé personne et l'aura fait hélas passé pour le bouffon médiatique de notre époque alors qu'il aurait tellement voulu en être le témoin (le contraire de Houellebecq) ? De ce dindon de la farce permanent d'un système qu'il a cru dominer et qui a tant perdu dans des duels médiatiques imbéciles, qu'il soit face à Patrick Timsit il y a des années dans une émission de Guillaume Durand ou à face à Michel Onfray dans celle de Frédéric Taddéi ? De ce jongleur émérite qui a raté presque tous ses numéros et pour la seule raison qu'il ne comprenait pas la médiocrité de ses interlocuteurs ? Doge de la déception, marquis de la vanité, Sollers reste pourtant souverain quand il parle du large, de l'abandon, de la volupté, de la tristesse qu'il fuit mieux que quiconque, de la joie qu'il exprime et incarne comme personne. J'avoue, ou plutôt affirme qu'il y a des pages de lui que l'on n'oublie pas et dont peu d'auteurs peuvent se prévaloir, au rythme dansant, à la superficialité profonde, pleines de références jouissives et de force régénérante - ce qui est encore plus étonnant vu les derniers auteurs qu'il a publiés. Oui, quand son intelligence retrouve (si rarement) une humilité dont il n'a même pas l'air de se rendre compte lui-même, quand il redevient enfant allais-je dire, il redevient vraiment cet écrivain que l'on attendait de lui, compagnon de chevet, maître et complice en tout ou presque. Et cette Vie Divine que je chroniquais l'an dernier en est le meilleur exemple.
Article paru dans La Presse littéraire n°5 d'avril 2006, puis sur ce blog le 30 mai 2007 - il y a donc 16 ans.
Relu, corrigé et illustré le 29 septembre 2019.
Et repris encore aujourd'hui, ce 11 mai 2023 - une semaine après la mort de l'aîné qui va de soi.