«Paris, le 05 septembre 08
Très chère Amélie,
Et voici mon petit article sur Le fait du Prince qui paraîtra dans Le Magazine des Livres à la fin de ce mois de septembre, adorable roman sur le désir pur, l’accomplissement magique de la vie, le rêve éveillé de chacun d’entre nous qui est de boire du champagne, d’avoir une montagne d’argent, et de vous aimer. J’adore vos envies de bonheur totalitaire, d’existence sans condition, et votre philosophie « littéraire » que l’on pourrait définir comme une immanence du caprice. Voilà, le reste est dans l’article.
Je vous embrasse comme je vous vénère. Dix ans, dans un mois, que nous nous connaissons ! Je n’oserais vous proposer une coupe de champagne pour fêter ça…
Avec tout ma ferveur.
Montalte
PS : avez-vous vu le dernier Batman ? Le meilleur film de super héros à ce jour, à mon sens, et surtout, surtout, le plus grand super vilain de tous les temps, ce « Joker », interprété fabuleusement par le regretté Heath Ledger. Ce qu’il a fait là le met au niveau des dix plus grandes incarnations de l’histoire du cinéma. Depuis l’Alex d’ Orange mécanique, je n’avais pas vu un « méchant » aussi souverain et sardonique… Sa façon de parler, de mastiquer, de jouer des épaules, de hocher la tête, un jeu très kubrickien au fond, mais sans l’aspect robotique de ce dernier. Un mélange de dandysme sauvage et de cruauté métaphysique. Le Joker, c’est celui qui diabolise la notion de choix, qui pervertit la sainteté de la décision, qui oblige le bien à faire le mal, qui rend fou l’ordre social – et qui gagne jusqu’à la fin. Car en obligeant le héros à endosser le rôle du criminel et à faire du criminel (Double Face) un héros, c’est bien le Joker qui l’emporte contre Batman, prouvant au monde entier (en fait aux spectateurs) que la paix civile ne peut fonctionner que sur un mensonge, une imposture nécessaire, un bouc émissaire comme dirait René Girard. Ce Dark Knight, c’est un peu comme L’homme qui tua Liberty Valence de John Ford, ce classique des classique qui disait déjà que l’on ne fonde rien d’après la vérité et que les peuples ont besoins besoin de morale, donc de croyance, donc de sacrifices, pour ne pas désespérer.
Je ne sais pas pourquoi je vous dis tout ça, mais j’avais envie de le vous le dire… Et puis, le masque, le maquillage, la grimace, l’anarchie baroque, l’énergie diabolique de la violence, la séduction du chaos, ce sont des choses que vous comprenez, non ? »
« Paris, le 9/9/2008
Cher Montalte,
Merci pour cet article magnifique.
Oui, j’ai vu le dernier Batman. J’ai adoré. Le Joker est absolument formidable, j’approuve tout ce que vous dites de lui. Ma scène préférée : celle des ferries – et la conclusion du Joker.
Permettez-moi de prendre votre mémoire en défaut = notre 1ère rencontre n’eut pas lieu le 5/10 mais le 15/10. Et regardez ce que j’ai fait pour vous. Comme notre 1ère rencontre eut bien lieu le 15/10/98 (un mercredi) à la « fnac » Montparnasse, j’ai exigé que le 15/10/08 tombe un mercredi et je dédicacerai ce jour-là à la « fnac » Montparnasse. Je porterai la même tenue qu’il y a 10 ans.
Si ce n’est pas là le fait du prince !
Je vous embrasse.
Amélie Nothomb.
PS = Le 15/10, entre 16 h. 30 et 19 h., prenez du champagne ! »
La suite de l'histoire ? Eh bien, j'allais évidemment à ce rendez-vous historique avec un Veuve Clicquot. Je m'installais tranquillement à une table en face de la longue queue de prétendant(e)s en quête d'autographe. La chère Nadia que j'aperçus embrasser Amélie me rejoignit bientôt et nous bûmes trois ou quatre blancs en attendant la fin de la file. Trois quart d'heure plus tard, j'allais lui apporter le champagne, lui tendre mon exemplaire du Fait du Prince sur lequel elle écrivit :
"A Pierre, alias Montalte,
10 ans jour pour jour, lieu pour lieu, alcool pour alcool, vêtements pour vêtements.
AN"
l'embrasser à mon tour, un peu ridicule, avoir un de ces échanges surréalistes dont la dame a le secret, et après, très heureux, très fier, aller avec Nadia dans une brasserie de Montparnasse champagniser tout notre saoul (c'est le cas de le dire) .
(Photo : Nadia Kuntzelmann)