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  • La reprise II - Postillon et imposture

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    « Non qu’il dise une chose et en pense une autre ; mais parce qu’il pousse à l’extrême sa pensée, en sorte que, faute d’être saisie avec la même énergie, elle apparaît, un moment après, tout autre. »

    Kierkegaard, La reprise.

    Donner une résonance secrète aux choses, ouvrir une quatrième dimension au monde, ausculter l'existant. Pour l'être grossier, « tout d'une pièce », cette auscultation n'est rien d'autre qu'hypocrisie et leurre. A son bon sens, univoque et concret, les résonances ne sont que des arrangements, les échos des mensonges, le perspectivisme une sophistique honteuse. Et ne lui parlez pas de la « dialectique », cette élégante duplicité. Non, pour lui, soit le vrai est tautologique, soit il n'est pas. Si vous souffrez, c'est que vous souffrez, si vous jouissez, c'est que vous jouissez - mais pas les deux, jamais, à moins, bien sûr, que vous ne soyez tordu. Dans ce cas-là, il faut vous soigner. « Ca c'est ben vrai ça ! » Pauvre Kierkegaard qui rejetait de toutes ses forces l'hégélianisme mais que le charbonnier de la foi ou la mère Denis rejetteront comme hégélien ! Ah, il n'est pas facile d'être complexe et cohérent lorsque l'on confond votre complexité avec de la complication, et votre cohérence avec de la suffisance. Vous dites une chose, « ils » en comprennent une autre. Ou pire : « ils » la comprennent de travers et vous la retournent contre vous ! Comment leur faire admettre aussi que les choses ne sont pas symétriques ? Qu'il y a du même et de l'autre en chaque chose ? Que le réel n'est ni simple ni double mais impair ? Voyez l’Ecclésiaste. Dans votre grande sagesse, vous plaidiez à la fois pour l'objectivité et la subjectivité, mais voici des « objectifs » qui ne croient pas en vous et des  « subjectifs » qui y croient trop - sans compter les adeptes de la pensée Queer pour qui objectif et subjectif, singulier et pluriel, masculin et féminin, ne sont que des concepts interchangeables. Même pas des concepts d'ailleurs, non, des genres. Tout est genre, la voilà la pensée ultimate d'aujourd'hui, le credo métro bobo sexuel,  la vérité tendance – « Think different, think indifferent ». Encore que cette notion de « vérité » n'aille pas non plus de soi. Trop réactionnaire. Trop Paternel. Trop Répressif - et remarquez que je n’ai pas écrit « paternelle » et « répressive » comme la règle des terminaisons l’aurait exigée, car pour les femmes savantes de ce début de siècle, pas question de mettre ces adjectifs, si odieusement masculins, au féminin. Le langage aussi est un genre qu’il faut faire évoluer dans le sens du progrès. Comme dit Philaminte, l’humanité féministe moderne se doit de plaider pour «  le retranchement des  syllabes sales qui dans les plus beaux mots produisent des scandales ». Mais alors, comment dire le vrai sans retomber dans la Vérité (sinon le Divin brrrrrrrrr....) ? C'était un problème pour Derrida, ça.  Et bien, on s'arrangera. On dira le vrai mais en montrant bien qu'on n'est pas dupe. On le dira  « barré ». Et on sera barré d'ailleurs. « Ca, c'est ben vrai ça ! »

    *

    Donc, le jeune homme souffre. Il n'arrive à rien. Tout dissone en lui. Aucun écho. Aucune harmonie, aucune mélodie. En lui, tout revient en lui. Donc meurt. Il passe sa vie à mourir en lui. Alors qu'il se sent tellement fait, et comme tout un chacun, pour l'éternité. Mais l'éternité... Pour quelqu'un qui n'arrive même pas à être en devenir, c'est... très loin ! Si au moins, il était un cor de postillon ! Mais non, même pas. Vive le cor de postillon ! Le seul instrument dont on n'est jamais sûr de tirer le même son. Alors que celui qu'on tire de lui est toujours affreusement le même, et si laid. Le voilà qui désespère :

     

    « Continue sans désemparer, toi, drame de la vie, que nul ne peut appeler comédie, nul tragédie, parce que nul n'en voit la fin ! Continue, sans désemparer, toi, drame de l'existence, où la vie n'est pas donnée de nouveau, pas plus que l'argent ! Pourquoi personne, jamais, n'est revenu de chez les morts ? Parce que la vie ne sait pas captiver comme le sait la mort, parce que la vie ne possède pas la persuasion comme la mort. Oui, la mort persuade à merveille, pourvu qu'on lui laisse la parole sans répliquer. »

    La vie comparée à du fric, la mort plus bandante que la vie - et la femme qui ne vient jamais. Pas de doute, le jeune homme va mal. Mais peut-être est-ce lui qui, au lieu de se plaindre, devrait aller à la femme. Hélas ! Les seules femmes qu'il a jamais eues sont celles qui sont venues à lui sans lui demander son avis,  alors que celles vers qui il est allé ne l'ont pas reçu. « Ecoute, Pierre, je t’aime beaucoup, mais en tant qu’ami, tu comprends ? » Non seulement le premier pas lui a coûté des larmes et du sang, mais en plus il a été interdit du second ! Ca valait bien la peine, à l’esthète, d'essayer d'être un homme ! Autant retourner sur Redtube le reste de la vie dans ces conditions ! Ah mon cher Constantin, qu'adviendra-t-il de nous ?

    *

    La solution, c’est Job. « Si je n’avais pas Job ! » hurle le jeune homme intérieurement. Oui, si nous n’avions pas Job, comment pourrions-nous supporter ne serait-ce qu’un dixième de nos misères ? Job est celui qui nous apprend à souffrir sans souffrir de notre souffrance. Ici, âmes coupables s'abstenir. Souffrir de tout, sauf d’être coupable, voilà qui est proprement infernal pour le diable, et totalement immoral pour les hommes. Souffrir de tout sans se sentir puni, voilà qui est folie en l’enfer et scandale sur la terre. Souffrir innocemment ! Mentalement impossible ! Et pourtant, c’est ainsi que le Christ a souffert. Rappelez-vous, La passion du Christ de Mel Gibson, Jésus fouetté jusqu’à l’écorchement, crucifié jusqu’à l’écartèlement, mais au fond, se portant comme un cœur, comme si les coups glissaient sur lui et que les clous le chatouillaient. Quand on ne souffre pas de soi, on ne souffre pas – c’est ce qu’il faut comprendre. Quand on ne souffre pas de son âme, on peut oublier qu'on souffre de son corps. Ainsi Job. Il subit les pires injustices, connaît les pires tourments mais est encore capable de dire « Le Seigneur a donné, le Seigneur a ôté, que le nom du Seigneur soit loué ! » Job est l'homme du non-ressentiment absolu. Incapable d'en vouloir à quelqu'un ou à lui-même, incapable de faire de sa douleur une raison de haïr la vie - alors que moi, il suffit que je me coince le doigt dans la porte pour avoir envie que la terre explose ! Par-dessus tout, Job se fout complètement de ce que ses « amis » lui disent - que Dieu est un salaupio absolu, ou que lui-même a dû malgré tout faire quelque chose de mal, car comment supporter toutes ces douleurs sans porter plainte contre X ? Il faut que la douleur ait un sens pour que la vie en ait un ! Sauf que Job, est à mille lieux de légiférer sur ses souffrances. Pire, « Il prétend être en bonne intelligence avec le Seigneur ; il sait qu’il n’est pas coupable, mais qu’il est pur, au plus intime de son cœur, où, de plus, le Seigneur le sait avec lui ; et pourtant l’existence tout entière le réfute. Là se trouve la grandeur de Job : la passion de la liberté chez lui n’est pas étouffée ni adoucie par une fausse expression. » Aucune mauvaise foi en lui, c'est-à-dire aucune « dialectique » dans ses chagrins. Job pleure toutes les larmes de son corps, mais jamais contre lui-même et jamais contre Dieu. Et c’est le diable – le dialecticien- qui doit s’arracher les cheveux. On l'oublie souvent, c’est le diable qui souffre le plus dans le livre de Job - le diable et les « hommes » qui se demandent comment Job tient le coup en croyant à l’amour de Dieu de manière aussi absurde. Ce qu'ils ne comprennent pas, c'est que Dieu nous aime même si nous ne nous aimons pas. Avoir la foi, c’est croire que Dieu est toujours avec nous et non avec nos afflictions. Et c’est le plus difficile tant nous sommes convaincus que le mal est contre nous ou pire que nous sommes le mal. Etre chrétien, c'est reconnaître que si le mal est en nous, il n’est pas nous. Exactement comme Dieu d’ailleurs. Dieu est en nous mais Il n’est pas nous. Si cela était, cela signifierait que l’amour de Dieu revient à l’amour de soi-même. Or, le moi est haïssable et ma seule chance d’aimer, c’est aimer autre que moi.

    *

    « Père céleste, ne sois pas avec nos péchés contre nous, mais avec nous contre nos péchés. »

    écrit Kierkegaard dans son Journal en août 1847. Prière immense capitale, bouleversante, qui m’accompagne depuis des années et a contribué à ma reconversion. C’était en 1996. Sans cette phrase que je me suis répété des milliers de fois, je ne sais pas ce que je serais devenu, je ne sais même pas si je serais là…

    - Mais si, vous seriez là ! Tous vos petits problèmes dépressifs, « suicidaires » de votre période vingt-cinq – trente ans, allons-y puisque cela vous fait plaisir, n’ont jamais été vécus que sur un mode d’épanchement lyrique odieusement complaisant et destiné à faire votre intéressant.

    - Ah, voix off ! Petite conscience sadique ! Mauvais parent en moi ! Je vous attendais…

    - Vous voulez qu’on vous plaigne, et pis c’est tout.

    - Sans doute, sans doute, mais ce sont ces complaisances lyriques et intéressantes qui ont pu me sauver.

    - Foutaises ! Un homme, un vrai, serre les dents, relativise ses douleurs et AGIT au lieu de se plaindre.

    - Et bien, vous accepterez que je ne sois pas votre « homme », et que si j’ai en effet exagéré (et, dans d’autres cas, diminué) mes peines, c’était pour pouvoir les supporter. A ma manière, j’ai agi – bien que je déteste ce mot, « agir ».

    - Evidemment vous le détestez, parce qu'il vous oblige à vivre pour de bon, sans rire et sans littérature. Mais une vie sérieuse, non littéraire, est insupportable pour un fin de race comme vous, n'est-ce pas ?

    - Mais quelle vie sérieuse ? Proust écrivait que « la vraie vie c'est la littérature », et Kafka notait dans son journal que « tout ce qui n'est pas littérature m'ennuie et je le hais »

    - Ca y est ! J’en étais sûr. Il fait Kafka dans sa culotte, et il fait Proust Proust pour se défendre. Mais rester à son niveau, ça, il ne sait pas.

    - Mais je suis à mon niveau. C’est au vôtre que je crève.

    - C’est que le mien, c’est celui d’un homme qui baise, qui épouse et qui corrige, pas d’une chochotte, fière de l’être qui plus est.

    - La femmelette ne croit plus au dieu père fouettard, pour tout vous dire.

    - Pourtant, l’enfer existe, mon petit merdeux…

    - Mais il n’y a personne dedans, mon grand monsieur.

    - Je vous emmerde, vous et Frossard ! C’est facile de se faire sa petite religion catho-hédoniste, de ne prendre que ce qui nous arrange, et de refuser tout ce qui fait mal, c'est-à-dire tout ce qui rend libre. Votre refus de l'enfer n'est qu'un refus de la liberté. Et là-dessus, vous pourrez tergiverser tant que vous voudrez (et mal piger Job en passant mais on ne va pas trop vous demander, hein), ce qui est sûr, c'est que celui qui ne prend pas en compte le risque réel de la damnation éternelle prouve qu'il n'a rien à foutre de la vie, de la liberté et de sa pseudo foi en Dieu - celle-ci n'étant d'ailleurs qu'un palliatif honteux à ses contrariétés d'enfant gâté.

    - Finalement, Frossard a tort : ne doivent aller en enfer que ceux qui pensent que d’autres y vont.

    - Rhéteur de Prisunic ! Misérable farceur !

    - Heu... Kierkegaard dit beaucoup de bien de la farce. La farce, c'est la reprise comique du réel. C'est une tonalité affective capitale pour qui veut saisir la grossièreté de la vie et des hommes. La farce corrige notre esprit de sérieux, et pour le coup nous rend vraiment libre. Monty Python, le sens de la vie, vous voyez ?

    - Je vois que vous ne faites que fuir.

    - Fuir mon moi haïssable, oui.

    - Eh bien, moi, j’assume mon moi, je prends mes responsabilités et je préfère mon sérieux éthique à votre lâcheté esthétique.

    - Oui, « les coups tordus » de l’éthique. La « visite-contrôle » de la bonne conscience a toujours eu son succès auprès des sérieux de la vie. C’est fou ce que l’on tient à sa culpabilité ! Constantin a bien vu ça.

    - Et vous prétendez croire en Dieu !

    - N’incriminez pas Dieu, je vous prie. Dieu nous aime beaucoup tous les deux.

    - Dieu vous brisera !

    - Voilà que vous parlez comme Bernanos maintenant. Et quand même cela serait-il ? « Quelle félicité ne doit-on pas ressentir malgré tout d'être blâmé par Dieu ! répond Kierkegaard. D'ordinaire, un homme s'endurcit fort aisément sous le blâme ; mais quand c'est Dieu qui juge, l'homme se perd lui-même et il oublie sa douleur dans l'amour qui veut l'éduquer. » Quant à briser quelque chose, Dieu brisera surtout les chaînes que des gens comme vous et comme moi se sont posées.

    - Dieu est Justice !

    - Du point de vue social, sans doute. Mais là nous étions entre individus. Le rapport entre Dieu et l’homme est singulier, amoureux, Unique, complètement anti-social. Cela aussi constitue le scandale de Job. Non seulement celui-ci ne se sent pas réellement abandonné par Dieu, mais encore il se sent plus proche de Lui que d'aucuns de ses amis – ces derniers s'acharnant à tout faire pour perdre Dieu à ses yeux. Un peu comme vous avec votre éthique vengeresse qui veut absolument que quelqu’un paye.

    - Eh bien, fuyez si cela vous arrange ! Fuyez puisque vous n’êtes pas capable de prendre vos responsabilités ! Inventez-vous un Dieu nounou et foutez-nous la paix !

    - Ce que vous êtes dur ! Ce que vous rajoutez à la dureté du monde !

    - Dur mais juste, oui. La seule morale valable.

    - Et pourtant, comme dit Constantin, « Malheur à qui dévore la veuve et l’orphelin en les frustrant de leur héritage, mais malheur aussi à qui veut tromper insidieusement l’affligé au sujet de la consolation qu’il recevrait, à donner, un moment, libre cours à son chagrin, en « contestant Dieu » ! »Laissez-moi donc le temps de contester Dieu le temps qu’Il me reprenne en lui. Laissez-moi le temps de faire la paix avec Lui. Ne m’enlevez pas la consolation de la contestation. D’autant que c’est une contestation pour rire. Un simulacre de désapprobation.

    - Vous faites semblant alors ? Vous ajoutez l’hypocrisie à la lâcheté ?

    - Vous êtes vraiment l’homme d’une seule pièce dont on parlait au début, vous, alors ! Mais non, je ne suis pas hypocrite ! Mais je suis faible, je suis lâche, je suis révolté, mais j’aime Dieu, et j’aime qu’Il me laisse Le haïr pour de faux. Car ce faisant, je M’en rapproche.

    - « Pour de faux »… Quel langage infantile !

    - Vous ne voulez pas comprendre. Vous êtes coincé dans votre virilité impuissante. Moi, j’essaye de me décoincer, de sortir de moi. Et comme Job, quand je suis éprouvé par Dieu, je Le rejette un moment, mais pour revenir vers lui, être repris par Lui. Voilà.

    - Pauvre fou !

    - Tout n'est que folie dans le Christianisme, le saviez-vous ? Folie et reprise. Dieu reprend l'homme en Lui, mais se reprend Lui-même dans l'homme par le Christ. Le Fils reprend le Père. Et la Mère reprend le Fils. La Mère reprend aussi le pécheur « contre » ou plutôt contre l'avis du Père.  Et le Saint Esprit reprend le mauvais esprit de chacun. C'est d'ailleurs cela le sens du pardon - tout peut se reprendre à tout moment. Cela s’appelle la liberté. Et je trouve ça magnifique.

    *

    « La tempête a cessé – l’orage est passé – Job a été blâmé devant le front de l’humanité – Le Seigneur et Job se sont compris l’un l’autre : ils se sont réconciliés, « de nouveau Job habite sous sa tente dans l’intimité du Seigneur, comme aux jours d’autrefois » (…) Cela s’appelle une reprise. »

    Retrouver les siens, la fortune, la joie. Etre devenu Unique (Enkelte) devant Dieu. Unique, et non plus seulement individuel. Avec la reprise, ce qui devient demeure, ce qui demeure devient, et cet Etre-là, et ce Devenir-là s’appellent Amour. Alors là, oui, l’on peut revenir au domaine des Sablonnières, l’on peut revenir à Copenhague, à Berlin ou à Nice. Mais pour s’y installer vraiment, pour y construire réellement sa vie. L’erreur de Meaulnes ou de Constantin était d’être revenu en touriste dans le pays de leur rêve – alors qu’il fallait y revenir en tant qu’époux, paysan, ouvrier, curé, instituteur, médecin, écrivain pourquoi pas, en  professionnel pour tout dire, et non en vieil enfant prodigue du pays, ado mal dégrossi qui n’a rien fait de son être, rêveur velléitaire qui attend encore que « quelque chose se passe », esthète onaniste à moitié impuissant. C'est que si la vie doit se comprendre en arrière, elle doit se vivre en avant. Là, je suppose que la volupté est très grande. Là, le renouvellement perpétuel peut avoir lieu. La vie en cascade. L'éternel retour jubilatoire. Et la musique enfin ! Notre musique. Oui, revenir dans le lieu aimé, moins pour s'en rappeler les douceurs que pour en préparer de nouvelles à nos enfants. Nos enfants : nous en mieux. La vraie reprise n’abolit rien mais accomplit tout. C'est ce qu'il faudra leur dire aux jeunes gens quand ils craindront, en devenant adulte, de perdre le sucre de leur enfance et le sel de leur adolescence - que l’homme et la femme accompli(e)s  sont ceux qui maintiennent l’enfant et l'adolescent dans l’adulte à condition d’en être devenu un(e). Il ne s’agit donc pas de renoncer à une partie de soi-même (méthode à rejeter du côté du ressentiment) mais de s’accomplir à partir de ce que l’on a, de devenir ce que l’on est, de faire confiance à Dieu. Unité de l’être. Harmonie de l’âme. Reprise entière du moi dans la femme et l’enfant (ou dans l’homme et l’enfant, pour complaire aux féministes) et en Dieu.  La reprise est ce qui donne de l’esprit au corps, de l’amour au désir, du désir à l’autre, de l’éternité à l’instant, du lien entre les choses. Fin des dissonances. Fin des ruminations. Enfin, je ne suis plus cet esthète qui n’avait sa musique qu’en tête, enfin je peux chanter mon être par la bouche.

    ................................................................. Mais si l'opération ne réussissait pas ? Si cette joie n'était qu'une joie passagère, l'ultime ruse de l'esthétique ? Ai-je été appelé par Dieu autant que je l’ai dit ? Et une femme m'a-t-elle repris pour de bon ? Hélas ! Je crains fort de n'avoir été repris que par l'idée. L'idée de la reprise. L'idée de la femme. L'idée de la prière. L'idée de l'amour. Pour le reste, je suis comme au début, privé de foi comme de femme. Quelle farce ! Et quel gras ! Je reste bien cette grosse frite barbotant dans sa mayonnaise. Au mieux, suis-je devenu platonicien – j’ai désormais une certaine idée des formes, ce qui n’est pas si mal. Au pire, suis-je un nouveau monsieur Teste qui a tout compris, rien vécu - et qui s'est arrangé pour ne rien vivre. Karine. Suzanne. Marie. Vous n'aurez été que des filles sur une photo de classe. Et je ne ferai mon carême ce mois de mars que pour me faire croire que je crois – encore que Pascal prétend que les gestes préparent la foi. Dussé-je me taper la tête contre les murs, m'arracher de la chair pour la manger, ou me saouler à mort, je dois bien reconnaître que « ma » reprise relève plus d'une tonalité affective que d'une réalité effective. Quelques notes que je vais répéter tout le reste de ma vie. Triste mélodie, mais mélodie quand même. Eventuellement pourrais-je me faire passer pour un « poète du religieux », un « substratum indicible » qui épatera les gogos, un monsieur Loyal de la mystique, un misérable désespéré qui croit qu'il peut donner de l'espérance, un faux gai luron qui voudrait que les autres croient, aiment et vivent comme il aurait voulu le faire, un imposteur sincère qui doit croire en ses simulacres s’il ne veut pas périr, un suicidé en puissance, un.... stalker.

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