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Pierre Cormary - Page 232

  • XI - De l'arbitraire divin

     

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    19 - La liberté.

    La liberté, ce n'est pas la possibilité (indigne) de choisir entre le bien et le mal, mais celle, exclusive, de faire le bien. Est libre celui qui fait le bien - et aliéné, celui qui fait le mal. Le mal comme renoncement primal à la liberté. Ici, Kierkegaard s'emballe comme saint Augustin : sois libre, et fais le bien ; aime, et fais ce que tu veux ; le contraire du péché n'est pas la vertu mais la foi  - ok, ok. La foi n'a nul besoin de raison et de loi - absolument ! La foi est lumière après les ténèbres de la loi et de la raison - tu l'as dit, bouffi.

    M'ouais... Tout cela est bien difficile. Car enfin, qui a la foi au sens kierkegaardien ? Qui est libre au sens kierkegaardien ? On en vient à regretter l'éthico-religieux d'un coup. Pas étonnant qu'Adam et Eve aient choisi l'arbre de la connaissance à l'arbre de vie - le savoir (du bien et du mal - donc, la possibilité du mal) à l'innocence, le néant dialectique à l'être pur, le logos au Valde bonum. Ceci, il ne faut jamais l'oublier : l'homme a voulu fuir le jardin d'Eden, fuir son état d'innocence, fuir l'infiniment bon - et d'une certaine façon, fuir la liberté. Car l'Eden était la liberté réalisée, positive, la liberté en bien. Mais l'homme a préféré se retrouver dans un état d'avant la liberté divine - où sa seule et minable liberté à lui serait celle d'une alternative entre le bien et le mal. L'homme a volontairement chuté - un peu comme l'enfant fait délibérément une bêtise pour voir comment ses parents réagiront, quitte à connaître punitions et pleurs.

    « Les hommes sont malheureux parce qu'ils ne savent pas qu'ils sont heureux », disait Dostoïevski. Les hommes se sont trouvés plus intéressants d'être malheureux plutôt que d'être heureux. La béatitude les a ennuyés tout de suite. Mieux valait le souci, l'angoisse, le désespoir - autant de choses qui forcent à aller de l'avant, à construire, à se construire. Et parfois, à faire sortir Dieu de ses gonds, comme Job. Ou comme moi Kierkegaard avec Job. Ou comme moi avec Kierkegaard. Il faut dialoguer avec les grands hommes, ils sont là pour ça. Et dès qu'on écrit, on se retrouve avec eux. « Les prophètes sont nos collègues », me répète souvent Aurora quand je perds courage.

     

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    En fait, et Kierkegaard est obligé de le reconnaître, l'homme innocent était un homme incomplet. L'homme corrompu est un homme complet. On comprend la colère de Dieu. Comment ? Dieu donne tout à l'homme et l'homme refuse ce tout et va se faire voir ailleurs ? L'homme choisit son quant à soi plutôt que la lumière éternelle ? L'homme préfère se corrompre dans sa petite existence à lui tout seul, au risque de la mort, plutôt que jouir pour l'éternité de la seule vie divine ? Au début, Dieu fulmine et fout raclée sur raclée à l'homme (déluge, Babel, Sodome et Gomorrhe, Pharaon, Dalila) mais il finit par se calmer et décide de comprendre cet homme qu'il a créé et qui l'a fuit. Dieu décide même de se faire homme lui-même pour comprendre l'homme. Alors que l'homme renonce à Dieu, Dieu ne renonce pas à l'homme. Il se fait Fils pour cela. Fils de l'Homme. Là, impossible de ne pas lui tirer son chapeau.

    Par l'incarnation, Dieu se révèle en effet  bien plus qu'une loi abstraite ou qu'une organisation sans faille. Dieu est bien autre chose qu'une « raison supérieure ». S'il crée des ordres (de la nature, de la charité, du temps), il fait aussi des miracles qui contreviennent à ses ordres. Dieu se contredit de temps en temps par amour pour nous. Dieu, autrement dit, est ARBITRAIRE. Dieu est l'arbitraire pur - et l'arbitraire pur, c'est le  possible.

    C'est Duns Scot qui, le premier, osa ce mot d' « arbitraire » et avec celui-ci rendit à Dieu son scandale et sa folie. Mais c'est Pierre Damien, au XI ème siècle, qui s'éleva, « avec un courage qui nous étonne », précise Chestov, contre la récupération rationnelle de l'Ecriture et la nécessité toute antique d'admettre que Dieu a des limites. Non, Dieu ne peut avoir de limites - y compris dans les lois qu'il a lui-même instituées. Dieu peut changer l'heure et le fonctionnement de son horloge si ça lui chante. Dieu peut rectifier le tir comme on peut rectifier un texte Facebook. Devant Dieu, toute nécessité se révèle un néant. Et Dieu l'a prouvé au moins trois fois : avec Abraham en lui retenant le bras, avec Job en lui rendant ses biens, avec son Fils en le ressuscitant (et sans compter les innombrables miracles que ce dernier a fait, bien entendu...).

    Bref, Dieu est arbitraire total, possible total, liberté totale.

    « En se décidant à proclamer qu'à Dieu tout est possible, Kierkegaard s'écarta de la grand'route suivie par l'humanité pensante, par l'humanité chrétienne même. »

    Le vrai chrétien n'est plus le chevalier de la résignation mais bien le chevalier de la foi, celui qui sait que tout est révélation, miracle, grâce.

    Certes, l'homme ne renoncera jamais complètement à la raison et à la vertu. En tous cas, l'homme de nos contrées, celui qui est le produit d'Athènes et de Jérusalem - de la vérité rationnelle et de la vérité révélée. Mais l'homme sentira qu'il n'y a pas que son destin écrit d'avance. Que tout est possible à Dieu - donc, que tout est possible pour lui.

    Tiens, demain, c'est le "Printemps républicain" à la Bellevilloise. J'y serai. Comme quoi, à Dieu tout est possible.

     

    duns scot, pierre damien

     Rue Boyer, j'y crois pas...

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