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anders breivik

  • L'instinct de mort (sur Utoya, de Laurent Obertone)

    Sur Atlantico,

     

     

     

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    AVONS-NOUS TOUS QUELQUE CHOSE D'ANDERS BREIVIK ?

    Analyse du livre-choc de la rentrée, Utoya de Laurent Obertone.

     

    Il est inquiétant, ce Laurent Obertone. On ne sait pas d’où il vient ni pour qui il roule et encore moins jusqu’où il ira. Un défi pour les situationnistes et un cas d’école pour les inquisiteurs de la rive gauche – le pauvre Aymeric Caron d’On n’est pas couché qui avait tout fait pour confondre Obertone  lors de son passage dans l’émission s’en souvient encore. Malgré ces exhortations (« Avouez ! Avouez que vous êtes xénophobe, malsain, innommable ! Avouez ! »), il n’avait rien pu tirer de cet homme affable, presqu’anonyme, sans position idéologique particulière, et ayant l’intelligence de laisser parler son livre plus que lui. C’est que La France Orange mécanique en avait défrisé plus d’un, osant raconter le réel sans ambages ni mesure de précaution, autant dire une horreur pour les sociologues officiels – et d’autant plus horrible que son auteur ne disait pas autre chose qu’eux, se référant à leurs travaux et leurs chiffres,  sauf que lui le disait de manière lisible, dramatique, humaine, et pire que tout, compassionnelle, mais d’une compassion allant moins dans le sens des voyous, ces gens que Renaud Camus appelle non sans malice les « Sensibles » (des quartiers du même nom) que dans celui des victimes dont le danger est d’abord, et qu’elles aient été violées, meurtries ou assassinées, de « faire le jeu du Front National ». Las ! Aucune instance morale ni juridique ne condamna ni même n’inquiéta le brûlot obertonien qui se vendit comme des petits pains auprès d’un public heureux de pouvoir enfin se référer à un travail sérieux et compréhensible sur la délinquance hexagonale.

    Huit mois plus tard, revoilà le cauchemar de Aymeric Caron (« Avouez ! ») avec Utoya, un récit hallucinant sur l’affaire Breivik, car écrit du point de vue de celui-ci, à la première personne, et comme dans une tragédie classique, respectant l’unité de lieu, de temps et d’action. Certes, on serait en droit de se demander s’il n’est pas un peu tôt pour transformer en œuvre littéraire un événement aussi traumatisant que celui-là. Ce serait oublier qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la représentation s’est accélérée, l’actualité tweete, et que l’on ne compte plus les films ou les livres qui ont fait leur matière à partir de l’actualité la plus récente – tel en son temps Emmanuel Carrère dans L’adversaire, tirée de l’affaire Romand, ou tel Abel Ferrara dans son prochain film sur DSK avec Depardieu. En ce sens, Obertone est bien un post-moderne en phase avec son époque et qui dans ce livre suit un criminel exceptionnel un peu comme Gus van Sant suivait les tueurs d’Elephant, les filmant de dos, comme si on était derrière eux, qu’on écoutait ce qui se passe dans leur tête et qu’on tirait avec eux, à l’instar d’un jeu vidéo.

     

     

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    Culture et monstruosité

    Depuis le Richard III de Shakespeare qui s’ouvrait par la célèbre tirade du prince meurtrier s’adressant aux spectateurs et les prenant tout au long de la pièce comme témoins et complices de ses forfaits (et je ne compare pas du tout Obertone à Shakespeare, je dis simplement que le procédé est le même),  jusqu’à la confession hallucinante de Max Haue, le nazi des Bienveillantes de Jonathan Littell qui faisait du lecteur son confident, l’appelant d’ailleurs son « frère humain », en passant par le monologue fabuleux du rat des Mémoires d’un rat, de Andrzej Zaniewski, qui mettait en scène un rongeur racontant son existence de prédateur et de proie, métaphore de l’humanité la plus bestiale, le « je » du méchant est une vieille histoire littéraire. Et c’est d’ailleurs à ce dernier livre  que fait le plus penser Utoya tant son héros s’impose comme une sorte de  bête humaine pensante, barbare rationnel, idéologue au cerveau reptilien, dégénéré pourtant nourri des références les plus incontournables de la culture européenne. Car enfin, ce type qui a lu Hobbes, Orwell et La Boétie (certes de manière bassement littérale – mais le littéralisme n’est-il pas la plaie de notre époque ?), qui se prend pour Achille, Lancelot et même Winston Churchill, qui annonce sans rire qu’il profitera de la prison pour apprendre le latin, le grec, allant jusqu’à citer Goethe qui disait que plus on connait de langues étrangères, mieux on connaît la sienne, qui se targue même d’un QI de 135 ( !!!!), et qui regarde la série Rome (la série préférée de l’auteur de ces lignes !) est une illustration vivante des théories de George Steiner sur la défaite de la culture, son impossibilité à anoblir les âmes, sinon sa propension à accoucher de monstres froids. Comment fonctionne un fasciste, c’est-à-dire comment fonctionne quelqu’un qui ne raisonne que selon le sol, le sang et le sperme, et dont le vitalisme mortifère, le génétisme dégénéré (et désespéré), l’obsession de la pureté (c’est-à-dire de la mort) constituent la seule Weltanschaung - tel est le premier intérêt de ce livre renversant.

    Le paradoxe est que si Breivik est un fasciste au sens mental, « philosophique » du terme, il n’a pourtant pas agi comme un skin head ou comme un raciste furieux aurait pu le faire, en allant massacrer des gens issus de l’immigration et supposés « envahisseurs », mais au contraire comme un « intellectuel » bien décidé à liquider d’autres intellectuels supposés collabos. Le massacre d’Utoya n’est pas une ratonnade mais une sorte d’expédition punitive chez les « Terra Nova » de son pays,  destinée à réveiller les consciences « autochtones » - et avec le « souci » médiatique (et donc narcissique) de ne passer ni pour un nazi ni pour un antisémite. Contre ses frères d’arme qu’on supposerait être les antisémites, il explique en effet (ou si l’on préfère, Obertone explique à sa place, mais ce dernier ayant lu les mille cinq cent pages du pensum de Breivic ne se propose que d’en faire la synthèse) : « les Juifs sont une diversion pour les nationalistes qui n’ont pas le courage d’admettre que nos ennemis sont d’abord nos frères » et que « l’effondrement de notre nation [n’] existe [que] parce que nous le décidons». Un constat qui, indéniablement, sera partagé par un certain nombre de lecteurs conservateurs qui ne vont pas prendre les armes pour autant. Mais Breivik ne serait-il pas dans leur corps ?

    De même, lorsque celui-ci s’en prend à cette tendance tellement occidentale de l’autoflagellation permanente, et que, rappelant un souvenir d’école où pour le sensibiliser, lui et ses petits camarades, au racisme, on leur avait fait passer un film sur l’esclavage dans lequel seuls les Européens étaient dénoncés, il note : « Pas des Noirs par les Noirs, pas des Noirs par les Arabes, pas des Blancs par les Arabes, pas des Blancs par des Blancs. Uniquement des Noirs par des Blancs »,  force est de constater que ce propos, qui aurait d’ailleurs pu être signé Pascal Bruckner dans son fameux Sanglot de l’homme blanc, risque d’avoir un écho favorable auprès d’un public qui n’en peut plus de la culpabilisation permanente dans laquelle les professionnels de l’indignation veulent le tenir jusqu’à la lie.  


     

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    Morale et idéologie

    On voit dès lors le « problème moral » que ce livre va poser. Jusqu’à quel point Obertone, et son lecteur « réactionnaire », partagent, même en le taisant, surtout en le taisant, les avis de Breivik sur le monde  - et ce faisant, participent,  au moins symboliquement, à la tuerie d’Utoya ? C’était le piège dans lequel était d’ailleurs tombé Richard Millet dans son fameux et très maladroit Eloge littéraire d’Anders Breivik et qui lui avait valu d’être banni du comité de lecture de Gallimard. Serions-nous tous, nous, « les gens de droite », des Breivik en puissance, lui-même se définissant comme un homme de droite classique (quoiqu’actif) ?

    Pour aggraver notre cas, il faut bien avouer que l’on sourit de temps en temps aux provocations de celui-ci, quand il dit par exemple que « ces gauchistes qui estiment que la réalité n’est qu’une construction intellectuelle semblent tout à coup prendre mes balles très au sérieux » ; ou quand, tout à ses considérations vitalistes, il fait remarquer que l’on va beaucoup baiser grâce à lui et son carnage, parce que « les enterrements stimulent l’activité sexuelle, c’est prouvé » ; ou encore lorsqu’il fait le joli cœur avec les femmes, arguant que la spécialité de celles-ci est de « se passionner » pour une cause, un être, aussi terrifiant soit-il, et « de ne jamais juger » - la preuve, ces lettres d’amour que des criminels notoires reçoivent en prison de la part d’énamourées romantiques. Et sans parler de sa connaissance exacte des média et leur art d’héroïser le bourreau ou la victime d’un jour. Ainsi quand il refuse de tirer sur un gars trop jeune, et parce que ce dernier lui ressemble un peu, et qu’il conclut : « il deviendra une star ».  Célèbre juste pour ne pas avoir été abattu comme les autres - mais quel médiologue, ce Breivik ! Il est vrai que l’humour du salaud, toujours plus fort que les moraux, et dans le cas de Breivik, plus fort même que son avocat dont il dit un moment : « Je lis dans ses yeux le doute qu’ils ne voient pas dans les miens », a toujours fait mouche,  Un vrai Joker, ce gars du Nord !

    Alors, sommes-nous coupables de complaire à l’auteur de la plus fameuse tuerie de ces dernières années ? Devons-nous aussi passer au tribunal pour complicité passive ? Mais bien entendu, et comme tout le monde dès qu’il s’agit d’idéologie. Car il ne faut pas se leurrer : à chaque acte de terrorisme, le premier réflexe que nous avons est d’espérer que le coupable fasse partie du camp d’en face et que la victime nous appartienne. Pourvu que cela ne soit pas un islamiste de gauche mais un extrémiste de droite, a-t-on pensé tout de suite à gauche quand on a appris le carnage de Mohamed Merah. Pourvu que cela soit un islamiste de gauche et pas un petit gars bien de chez nous, a-t-on réagi à droite quand les premières informations sur Utoya nous sont parvenues. Et dans l’affaire Méric, toute la bataille médiatique consista à savoir, minute par minute, qui avait donné les premiers coups entre Clément Méric, l’internationaliste au patronyme si frenchie et Esteban Murillo, l’identitaire au nom si hispanique. Dans l’actualité récente comme dans l’Histoire, les morts ne sont là que pour accuser les gens avec qui on n’est pas d’accord politiquement.

     

     

    utoya,laurent obertone,anders breivik,norvège,tueur de masse,éditions ring

    Miodrag Dado Djuric, Expulsion à Montrouge,
    technique : peinture à l’huile ; toile
    dimensions : H :146cm; L : 114cm
    date de création : 1968


    Littéralisme et perversion

    Et c’est un fait que Breivik va rameuter beaucoup de monde autour de lui, et pas seulement des néoconservateurs hypocrites bien contents d’avoir un salaud utile qui a fait le sale boulot à leur place.  Car Breivik, et c’est là que le livre d’Obertone devient dévastateur, a dans ses cartons de quoi réjouir autant les nationalistes que les écologistes, les familialistes que les obsédés sexuels, les hygiénistes que les situationnistes (on ne compte plus les réflexions « debordiennes » qu’il n’arrête pas de faire entre deux fusillades), les chrétiens que les pagano-celtiques,  les partisans de la peine de mort comme les partisans de l’action directe, rouge, brune ou les deux. La « réflexion » breivikienne sur le monde est si infinie qu’elle se dissout au fur à mesure qu’elle se développe – et que c’est à ce moment-là que le livre prend toute son ampleur non idéologique comme on le croyait mais bien anti-idéologique. Plus on avance dans le récit, plus on se rend compte qu’on a affaire à un dingue qui nous a fait passer pour des idiots, et qui pire a rendu notre credo impossible.   Breivik, c’est l’instinct de mort + la rhétorique, le pan pan suivi du blabla. Un Narcisse sans cause qui s’en est trouvée une et qui l’a dévoyée. A l’instar de Bernanos qui disait qu’Hitler avait « déshonoré l’antisémitisme », on peut dire que Breivik a déshonoré le souci identitaire, si tant est qu'il qu’il en avait un. Sa transparence idéologique, trop nette pour être honnête, mélangée à son délire mégalomaniaque et sa prodigieuse inhumanité finissent par rendre gerbant ce que l'on avait cru vaguement partager avec lui. Au beau milieu de la lecture, on se rend compte de ce qu’on avait oublié et qui est simplement qu’un tueur n’est qu’un tueur. La tautologie a fait voler en éclat la théorie.

    Lui-même l’avoue : « Tout ce que j’ai préparé, tout ce que j’ai lu, tout ce que j’ai compris, pensé, décidé, affirmé, construit, haï, tout ça est devenu insignifiant depuis que j’ai laissé trois cadavres derrière moi.  (…) Après les années d’écriture et de haine, les mois de préparation mentale et d’assimilation doctrinaire, les semaines d’entraînement et de planification opérationnelle, les journées de mise au point : en une seconde je viens de de basculer du côté des tueurs »

    Ce que nous apprend ce livre, et qui du coup se révèle celui d’un moraliste impitoyable,  est celle que quelle que soit notre propension pavlovienne à dissoudre le réel, même le plus atroce, derrière l’idéologie qui est toujours vengeresse, est que le crime annule la cause, le sang versé vide l’esprit de sa substance, et comme l’a dit Obertone lui-même dans une interview, « l’acte balaye les idées ». En vérité, seuls ceux qui idolâtrent les idées, les idéologues, continueront de boycotter ce livre et de faire passer son auteur pour un propagateur de la pire espèce. Utoya est un pavé jeté dans la mare de l’idéologie, qui fut toujours le mal de tous les temps, et du littéralisme - à notre avis, celui spécifique à notre temps.  

    C’est pourquoi il faut toutes séances tenantes se plonger dans ce grand livre cathartique, accepter d’être traîné comme dans un train fantôme dans les méandres de cette âme malade et si terriblement mise en scène par son auteur, faire l’expérience de l’introjection puis de la prise de conscience, revenir à la raison, et finir par voir en ce type qui s’est pris pour un créateur de civilisation ce qu’il est vraiment - un psychopathe total, manipulateur King Size,  symptôme affolant de notre monde, et dont l'horizon psychique, que l’on ne révèlera pas, fait froid dans le dos. Froid comme l’enfer auquel il s’est condamné.

     

    Utoya, Laurent Obertone, Editions du Ring, août 2013, 430 pages, 20 euros.


     

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    Anders Breivik. Crédit Reuters 1 2 3 4 Page suivante Il est inquiétant, ce Laurent Obertone. On ne sait pas d’où il vient ni pour qui il roule et encore moins jusqu’où il ira. Un défi pour les situationnistes et un cas d’école pour les inquisiteurs de la rive gauche – le pauvre Aymeric Caron d’On n’est pas couché qui avait tout fait pour confondre Obertone lors de son passage dans l’émission s’en souvient encore. Malgré ces exhortations (« Avouez ! Avouez que vous êtes xénophobe, malsain, innommable ! Avouez ! »), il n’avait rien pu tirer de cet homme affable, presque anonyme, sans position idéologique particulière, et ayant l’intelligence de laisser parler son livre plus que lui. C’est que La France Orange mécanique en avait défrisé plus d’un, osant raconter le réel sans ambages ni mesure de précaution, autant dire une horreur pour les sociologues officiels – et d’autant plus horrible que son auteur ne disait pas autre chose qu’eux, se référant à leurs travaux et leurs chiffres, sauf que lui le disait de manière lisible, dramatique, humaine, et pire que tout, compassionnelle, mais d’une compassion allant moins dans le sens des voyous, ces gens que Renaud Camus appelle non sans malice les « Sensibles » (des quartiers du même nom) que dans celui des victimes dont le danger est d’abord, et qu’elles aient été violées, meurtries ou assassinées, de « faire le jeu du Front National ». Las ! Aucune instance morale ni juridique ne condamna ni même n’inquiéta le brûlot obertonien qui se vendit comme des petits pains auprès d’un public heureux de pouvoir enfin se référer à un travail sérieux et compréhensible sur la délinquance hexagonale. Huit mois plus tard, revoilà le cauchemar de Aymeric Caron (« Avouez ! ») avec Utoya, un récit hallucinant sur l’affaire Breivik, car écrit du point de vue de celui-ci, à la première personne, et comme dans une tragédie classique, respectant l’unité de lieu, de temps et d’action. Certes, on serait en droit de se demander s’il n’est pas un peu tôt pour transformer en œuvre littéraire un événement aussi traumatisant que celui-là. Ce serait oublier qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la représentation s’est accélérée, l’actualité twitte, et que l’on ne compte plus les films ou les livres qui ont fait leur matière à partir de l’actualité la plus récente – tel en son temps Emmanuel Carrère dans L’adversaire, tirée de l’affaire Romand, ou tel Abel Ferrara dans son prochain film sur DSK avec Depardieu. En ce sens, Obertone est bien un post-moderne en phase avec son époque et qui dans ce livre suit un criminel exceptionnel un peu comme Gus van Sant suivait les tueurs d’Elephant, les filmant de dos, comme si on était derrière eux, qu’on écoutait ce qui se passe dans leur tête et qu’on tirait avec eux, à l’instar d’un jeu vidéo. Culture et monstruosité Depuis le Richard III de Shakespeare qui s’ouvrait par la célèbre tirade du prince meurtrier s’adressant aux spectateurs et les prenant tout au long de la pièce comme témoins et complices de ses forfaits (et je ne compare pas du tout Obertone à Shakespeare, je dis simplement que le procédé est le même), jusqu’à la confession hallucinante de Max Haue, le nazi des Bienveillantes de Jonathan Littell qui faisait du lecteur son confident, l’appelant d’ailleurs son « frère humain », en passant par le monologue fabuleux du rat des Mémoires d’un rat, de Andrzej Zaniewski, qui mettait en scène un rongeur racontant son existence de prédateur et de proie, métaphore de l’humanité la plus bestiale, le « je » du méchant est une vieille histoire littéraire. Et c’est d’ailleurs à ce dernier livre que fait le plus penser Utoya tant son héros s’impose comme une sorte de bête humaine pensante, barbare rationnel, idéologue au cerveau reptilien, dégénéré pourtant nourri des références les plus incontournables de la culture européenne. Car enfin, ce type qui a lu Hobbes, Orwell et La Boétie (certes de manière bassement littérale – mais le littéralisme n’est-il pas la plaie de notre époque ?), qui se prend pour Achille, Lancelot et même Winston Churchill, qui annonce sans rire qu’il profitera de la prison pour apprendre le latin, le grec, allant jusqu’à citer Goethe qui disait que plus on connait de langues étrangères, mieux on connaît la sienne, qui se targue même d’un QI de 135 (!!!!), et qui regarde la série Rome (la série préférée de l’auteur de ces lignes !) est une illustration vivante des théories de George Steiner sur la défaite de la culture, son impossibilité à anoblir les âmes, sinon sa propension à accoucher de monstres froids. Comment fonctionne un fasciste, c’est-à-dire comment fonctionne quelqu’un qui ne raisonne que selon le sol, le sang et le sperme, et dont le vitalisme mortifère, le génétisme dégénéré (et désespéré), l’obsession de la pureté (c’est-à-dire de la mort) constituent la seule Weltanschaung - tel est le premier intérêt de ce livre renversant.
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     LAURENT OBERTONE SUR ARTE - http://www.arte.tv/guide/fr/049880-002/28-minutes?autoplay=1

     

    Anders Breivik. Crédit Reuters 1 2 3 4 Page suivante Il est inquiétant, ce Laurent Obertone. On ne sait pas d’où il vient ni pour qui il roule et encore moins jusqu’où il ira. Un défi pour les situationnistes et un cas d’école pour les inquisiteurs de la rive gauche – le pauvre Aymeric Caron d’On n’est pas couché qui avait tout fait pour confondre Obertone lors de son passage dans l’émission s’en souvient encore. Malgré ces exhortations (« Avouez ! Avouez que vous êtes xénophobe, malsain, innommable ! Avouez ! »), il n’avait rien pu tirer de cet homme affable, presque anonyme, sans position idéologique particulière, et ayant l’intelligence de laisser parler son livre plus que lui. C’est que La France Orange mécanique en avait défrisé plus d’un, osant raconter le réel sans ambages ni mesure de précaution, autant dire une horreur pour les sociologues officiels – et d’autant plus horrible que son auteur ne disait pas autre chose qu’eux, se référant à leurs travaux et leurs chiffres, sauf que lui le disait de manière lisible, dramatique, humaine, et pire que tout, compassionnelle, mais d’une compassion allant moins dans le sens des voyous, ces gens que Renaud Camus appelle non sans malice les « Sensibles » (des quartiers du même nom) que dans celui des victimes dont le danger est d’abord, et qu’elles aient été violées, meurtries ou assassinées, de « faire le jeu du Front National ». Las ! Aucune instance morale ni juridique ne condamna ni même n’inquiéta le brûlot obertonien qui se vendit comme des petits pains auprès d’un public heureux de pouvoir enfin se référer à un travail sérieux et compréhensible sur la délinquance hexagonale. Huit mois plus tard, revoilà le cauchemar de Aymeric Caron (« Avouez ! ») avec Utoya, un récit hallucinant sur l’affaire Breivik, car écrit du point de vue de celui-ci, à la première personne, et comme dans une tragédie classique, respectant l’unité de lieu, de temps et d’action. Certes, on serait en droit de se demander s’il n’est pas un peu tôt pour transformer en œuvre littéraire un événement aussi traumatisant que celui-là. Ce serait oublier qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la représentation s’est accélérée, l’actualité twitte, et que l’on ne compte plus les films ou les livres qui ont fait leur matière à partir de l’actualité la plus récente – tel en son temps Emmanuel Carrère dans L’adversaire, tirée de l’affaire Romand, ou tel Abel Ferrara dans son prochain film sur DSK avec Depardieu. En ce sens, Obertone est bien un post-moderne en phase avec son époque et qui dans ce livre suit un criminel exceptionnel un peu comme Gus van Sant suivait les tueurs d’Elephant, les filmant de dos, comme si on était derrière eux, qu’on écoutait ce qui se passe dans leur tête et qu’on tirait avec eux, à l’instar d’un jeu vidéo. Culture et monstruosité Depuis le Richard III de Shakespeare qui s’ouvrait par la célèbre tirade du prince meurtrier s’adressant aux spectateurs et les prenant tout au long de la pièce comme témoins et complices de ses forfaits (et je ne compare pas du tout Obertone à Shakespeare, je dis simplement que le procédé est le même), jusqu’à la confession hallucinante de Max Haue, le nazi des Bienveillantes de Jonathan Littell qui faisait du lecteur son confident, l’appelant d’ailleurs son « frère humain », en passant par le monologue fabuleux du rat des Mémoires d’un rat, de Andrzej Zaniewski, qui mettait en scène un rongeur racontant son existence de prédateur et de proie, métaphore de l’humanité la plus bestiale, le « je » du méchant est une vieille histoire littéraire. Et c’est d’ailleurs à ce dernier livre que fait le plus penser Utoya tant son héros s’impose comme une sorte de bête humaine pensante, barbare rationnel, idéologue au cerveau reptilien, dégénéré pourtant nourri des références les plus incontournables de la culture européenne. Car enfin, ce type qui a lu Hobbes, Orwell et La Boétie (certes de manière bassement littérale – mais le littéralisme n’est-il pas la plaie de notre époque ?), qui se prend pour Achille, Lancelot et même Winston Churchill, qui annonce sans rire qu’il profitera de la prison pour apprendre le latin, le grec, allant jusqu’à citer Goethe qui disait que plus on connait de langues étrangères, mieux on connaît la sienne, qui se targue même d’un QI de 135 (!!!!), et qui regarde la série Rome (la série préférée de l’auteur de ces lignes !) est une illustration vivante des théories de George Steiner sur la défaite de la culture, son impossibilité à anoblir les âmes, sinon sa propension à accoucher de monstres froids. Comment fonctionne un fasciste, c’est-à-dire comment fonctionne quelqu’un qui ne raisonne que selon le sol, le sang et le sperme, et dont le vitalisme mortifère, le génétisme dégénéré (et désespéré), l’obsession de la pureté (c’est-à-dire de la mort) constituent la seule Weltanschaung - tel est le premier intérêt de ce livre renversant.
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    Anders Breivik. Crédit Reuters 1 2 3 4 Page suivante Il est inquiétant, ce Laurent Obertone. On ne sait pas d’où il vient ni pour qui il roule et encore moins jusqu’où il ira. Un défi pour les situationnistes et un cas d’école pour les inquisiteurs de la rive gauche – le pauvre Aymeric Caron d’On n’est pas couché qui avait tout fait pour confondre Obertone lors de son passage dans l’émission s’en souvient encore. Malgré ces exhortations (« Avouez ! Avouez que vous êtes xénophobe, malsain, innommable ! Avouez ! »), il n’avait rien pu tirer de cet homme affable, presque anonyme, sans position idéologique particulière, et ayant l’intelligence de laisser parler son livre plus que lui. C’est que La France Orange mécanique en avait défrisé plus d’un, osant raconter le réel sans ambages ni mesure de précaution, autant dire une horreur pour les sociologues officiels – et d’autant plus horrible que son auteur ne disait pas autre chose qu’eux, se référant à leurs travaux et leurs chiffres, sauf que lui le disait de manière lisible, dramatique, humaine, et pire que tout, compassionnelle, mais d’une compassion allant moins dans le sens des voyous, ces gens que Renaud Camus appelle non sans malice les « Sensibles » (des quartiers du même nom) que dans celui des victimes dont le danger est d’abord, et qu’elles aient été violées, meurtries ou assassinées, de « faire le jeu du Front National ». Las ! Aucune instance morale ni juridique ne condamna ni même n’inquiéta le brûlot obertonien qui se vendit comme des petits pains auprès d’un public heureux de pouvoir enfin se référer à un travail sérieux et compréhensible sur la délinquance hexagonale. Huit mois plus tard, revoilà le cauchemar de Aymeric Caron (« Avouez ! ») avec Utoya, un récit hallucinant sur l’affaire Breivik, car écrit du point de vue de celui-ci, à la première personne, et comme dans une tragédie classique, respectant l’unité de lieu, de temps et d’action. Certes, on serait en droit de se demander s’il n’est pas un peu tôt pour transformer en œuvre littéraire un événement aussi traumatisant que celui-là. Ce serait oublier qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la représentation s’est accélérée, l’actualité twitte, et que l’on ne compte plus les films ou les livres qui ont fait leur matière à partir de l’actualité la plus récente – tel en son temps Emmanuel Carrère dans L’adversaire, tirée de l’affaire Romand, ou tel Abel Ferrara dans son prochain film sur DSK avec Depardieu. En ce sens, Obertone est bien un post-moderne en phase avec son époque et qui dans ce livre suit un criminel exceptionnel un peu comme Gus van Sant suivait les tueurs d’Elephant, les filmant de dos, comme si on était derrière eux, qu’on écoutait ce qui se passe dans leur tête et qu’on tirait avec eux, à l’instar d’un jeu vidéo. Culture et monstruosité Depuis le Richard III de Shakespeare qui s’ouvrait par la célèbre tirade du prince meurtrier s’adressant aux spectateurs et les prenant tout au long de la pièce comme témoins et complices de ses forfaits (et je ne compare pas du tout Obertone à Shakespeare, je dis simplement que le procédé est le même), jusqu’à la confession hallucinante de Max Haue, le nazi des Bienveillantes de Jonathan Littell qui faisait du lecteur son confident, l’appelant d’ailleurs son « frère humain », en passant par le monologue fabuleux du rat des Mémoires d’un rat, de Andrzej Zaniewski, qui mettait en scène un rongeur racontant son existence de prédateur et de proie, métaphore de l’humanité la plus bestiale, le « je » du méchant est une vieille histoire littéraire. Et c’est d’ailleurs à ce dernier livre que fait le plus penser Utoya tant son héros s’impose comme une sorte de bête humaine pensante, barbare rationnel, idéologue au cerveau reptilien, dégénéré pourtant nourri des références les plus incontournables de la culture européenne. Car enfin, ce type qui a lu Hobbes, Orwell et La Boétie (certes de manière bassement littérale – mais le littéralisme n’est-il pas la plaie de notre époque ?), qui se prend pour Achille, Lancelot et même Winston Churchill, qui annonce sans rire qu’il profitera de la prison pour apprendre le latin, le grec, allant jusqu’à citer Goethe qui disait que plus on connait de langues étrangères, mieux on connaît la sienne, qui se targue même d’un QI de 135 (!!!!), et qui regarde la série Rome (la série préférée de l’auteur de ces lignes !) est une illustration vivante des théories de George Steiner sur la défaite de la culture, son impossibilité à anoblir les âmes, sinon sa propension à accoucher de monstres froids. Comment fonctionne un fasciste, c’est-à-dire comment fonctionne quelqu’un qui ne raisonne que selon le sol, le sang et le sperme, et dont le vitalisme mortifère, le génétisme dégénéré (et désespéré), l’obsession de la pureté (c’est-à-dire de la mort) constituent la seule Weltanschaung - tel est le premier intérêt de ce livre renversant.
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    Anders Breivik. Crédit Reuters 1 2 3 4 Page suivante Il est inquiétant, ce Laurent Obertone. On ne sait pas d’où il vient ni pour qui il roule et encore moins jusqu’où il ira. Un défi pour les situationnistes et un cas d’école pour les inquisiteurs de la rive gauche – le pauvre Aymeric Caron d’On n’est pas couché qui avait tout fait pour confondre Obertone lors de son passage dans l’émission s’en souvient encore. Malgré ces exhortations (« Avouez ! Avouez que vous êtes xénophobe, malsain, innommable ! Avouez ! »), il n’avait rien pu tirer de cet homme affable, presque anonyme, sans position idéologique particulière, et ayant l’intelligence de laisser parler son livre plus que lui. C’est que La France Orange mécanique en avait défrisé plus d’un, osant raconter le réel sans ambages ni mesure de précaution, autant dire une horreur pour les sociologues officiels – et d’autant plus horrible que son auteur ne disait pas autre chose qu’eux, se référant à leurs travaux et leurs chiffres, sauf que lui le disait de manière lisible, dramatique, humaine, et pire que tout, compassionnelle, mais d’une compassion allant moins dans le sens des voyous, ces gens que Renaud Camus appelle non sans malice les « Sensibles » (des quartiers du même nom) que dans celui des victimes dont le danger est d’abord, et qu’elles aient été violées, meurtries ou assassinées, de « faire le jeu du Front National ». Las ! Aucune instance morale ni juridique ne condamna ni même n’inquiéta le brûlot obertonien qui se vendit comme des petits pains auprès d’un public heureux de pouvoir enfin se référer à un travail sérieux et compréhensible sur la délinquance hexagonale. Huit mois plus tard, revoilà le cauchemar de Aymeric Caron (« Avouez ! ») avec Utoya, un récit hallucinant sur l’affaire Breivik, car écrit du point de vue de celui-ci, à la première personne, et comme dans une tragédie classique, respectant l’unité de lieu, de temps et d’action. Certes, on serait en droit de se demander s’il n’est pas un peu tôt pour transformer en œuvre littéraire un événement aussi traumatisant que celui-là. Ce serait oublier qu’aujourd’hui, à tort ou à raison, la représentation s’est accélérée, l’actualité twitte, et que l’on ne compte plus les films ou les livres qui ont fait leur matière à partir de l’actualité la plus récente – tel en son temps Emmanuel Carrère dans L’adversaire, tirée de l’affaire Romand, ou tel Abel Ferrara dans son prochain film sur DSK avec Depardieu. En ce sens, Obertone est bien un post-moderne en phase avec son époque et qui dans ce livre suit un criminel exceptionnel un peu comme Gus van Sant suivait les tueurs d’Elephant, les filmant de dos, comme si on était derrière eux, qu’on écoutait ce qui se passe dans leur tête et qu’on tirait avec eux, à l’instar d’un jeu vidéo. Culture et monstruosité Depuis le Richard III de Shakespeare qui s’ouvrait par la célèbre tirade du prince meurtrier s’adressant aux spectateurs et les prenant tout au long de la pièce comme témoins et complices de ses forfaits (et je ne compare pas du tout Obertone à Shakespeare, je dis simplement que le procédé est le même), jusqu’à la confession hallucinante de Max Haue, le nazi des Bienveillantes de Jonathan Littell qui faisait du lecteur son confident, l’appelant d’ailleurs son « frère humain », en passant par le monologue fabuleux du rat des Mémoires d’un rat, de Andrzej Zaniewski, qui mettait en scène un rongeur racontant son existence de prédateur et de proie, métaphore de l’humanité la plus bestiale, le « je » du méchant est une vieille histoire littéraire. Et c’est d’ailleurs à ce dernier livre que fait le plus penser Utoya tant son héros s’impose comme une sorte de bête humaine pensante, barbare rationnel, idéologue au cerveau reptilien, dégénéré pourtant nourri des références les plus incontournables de la culture européenne. Car enfin, ce type qui a lu Hobbes, Orwell et La Boétie (certes de manière bassement littérale – mais le littéralisme n’est-il pas la plaie de notre époque ?), qui se prend pour Achille, Lancelot et même Winston Churchill, qui annonce sans rire qu’il profitera de la prison pour apprendre le latin, le grec, allant jusqu’à citer Goethe qui disait que plus on connait de langues étrangères, mieux on connaît la sienne, qui se targue même d’un QI de 135 (!!!!), et qui regarde la série Rome (la série préférée de l’auteur de ces lignes !) est une illustration vivante des théories de George Steiner sur la défaite de la culture, son impossibilité à anoblir les âmes, sinon sa propension à accoucher de monstres froids. Comment fonctionne un fasciste, c’est-à-dire comment fonctionne quelqu’un qui ne raisonne que selon le sol, le sang et le sperme, et dont le vitalisme mortifère, le génétisme dégénéré (et désespéré), l’obsession de la pureté (c’est-à-dire de la mort) constituent la seule Weltanschaung - tel est le premier intérêt de ce livre renversant.
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