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enfantine

  • "Enfantine" par Patrick Besson.

    medium_besson-patrick2.jpgRetrouvé dans mes archives ce très bel article de Patrick Besson d'un Point de cette année et qui me donnerait presqu'envie d'être ce que je n'ai jamais voulu être en tant que fils - un père. Il est vrai que je ne croyais ni en Dieu ni à l'amour. Tout est possible, donc.

    Et voilà un exemple d'écriture.

    La chronique de Patrick Besson.
    Enfantine.

    On dit : « Si on faisait un enfant ? » Il faudrait plutôt dire : « Si on faisait un adulte ? » Les enfants sont provisoires comme les fleurs, alors que les adultes sont éternels comme les pierres. Quand j'ai compris que chaque jour mes fils disparaissaient un peu plus pour se transformer bientôt en hommes qui porteraient mon nom, j'ai laissé tomber pas mal de trucs, je veux dire pas mal de gens, afin de rester le plus de temps possible avec eux. Cette créature petite qui marche à côté de moi, alors que dans dix ans, donc dix secondes, elle me dépassera d'une tête. L'enfance de nos enfants est un don d'autant plus précieux qu'il nous sera bientôt retiré, comme notre vie. Mais beaucoup plus vite. C'est une peau de chagrin express. Le roman de Balzac sans les descriptions ! Attendre son enfant à la sortie de l'école et le voir sortir, je ne connais rien de mieux dans l'ordre du bonheur terrestre. D'abord, c'est le seul rendez-vous où il est impossible de ne pas aller. Tous les autres, il suffit de prendre la direction inverse et de débrancher le répondeur, on est peinard. Le nombre de lapins que j'ai posés dans ma vie : à Deneuve, Chirac, Marchais, Ardisson, Giesbert! Mais pas une fois je n'ai raté une sortie d'école. Il aurait fallu me tuer pour m'empêcher d'être chaque après-midi à 16 h 30 rue Vandrezanne. 16 h 30 ! L'heure où, avant d'être papa, je me mettais à écrire, puisque c'était celle où je sortais du restaurant. Je commençais ma journée de travail, alors que maintenant je la termine. C'est bon de finir sa journée à 16 h 30. Il y a encore un grand soleil. Les mamans se sont pomponnées. Elles se demandent toutes un peu ce que vous foutez là.Chômeur ? Pédophile ? Prof de fac ? Et voici cet être passager, flou et incertain - votre enfant - qui apparaît parmi des dizaines d'autres êtres passagers, flous et incertains : les enfants des autres. S'ensuit une éternité de plusieurs heures. Une épaisse tranche de temps. Ou plutôt de présent, car un enfant, c'est le présent. Chaque jour, il est d'une nouveauté telle qu'il détruit celui qu'il était, et donc celui que nous étions. Comme j'aurai aimé ces fins d'après-midi où je n'avais rien d'autre à faire que d'être là. La joie du gardien de prison, sauf qu'il y avait un seul détenu et que je l'avais fait moi-même. Et qu'il était super-mignon.

    Bientôt, je ne regarderai plus de dessins animés japonais ni ne verrai de films américains en VF. Super Picsou Géant disparaîtra de ma vie. Je n'achèterai plus de bonbons. Dans un grand magasin, je n'aurai plus peur quand je ne verrai pas mon enfant, puisqu'il ne sera pas avec moi et qu'il ne sera plus un enfant. Dans notre télé, il n'y aura plus ni la « Star Academy », ni « La ferme célébrités », ni la « 1re Compagnie », ni le « Bachelor », ni « L'île de la tentation ». Il est la seule personne sur terre à qui j'aurai dit, à chaque repas : « Mange ! » Les enfants, il faut leur dire de manger ou leur dire de ne pas manger : il n'y en a pas un à qui il ne faut rien dire. L'unique être humain à qui j'aurai demandé chaque soir de ranger ses affaires. Je ne donnerai donc plus d'ordre, puisqu'il n'y a qu'à lui que j'en donnais. Je ne jouerai plus au tennis, car c'est pour lui que je m'y étais remis. Ce sport de vieux, où on marche plus qu'on ne court, comme au golf. Le plaisir que ça m'a fait, de racheter un short et un polo blancs. Et surtout ma raquette : une grande Wilson. Blanche, elle aussi. On a beaucoup progressé dans les raquettes, depuis trente ans

    © le point 07/07/05 - N°1712 - Page 97 - 636 mots

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