En ce début de Semaine Sainte, je tombe dans mon Livre Bleu sur ces deux merveilleuses prières du Bienheureux Claude de La Colombière, jésuite avisé du XVII ème siècle qui fut canonisé par Jean-Paul II en 1992.
La première se présente comme un Acte de confiance en Dieu :
« Mon Dieu, je suis si persuadé que Vous veillez sur ceux qui espèrent en Vous, et qu’on ne peut manquer de rien quand on attend de Vous toutes choses, que j’ai résolu de vivre l’avenir sans aucun souci, et de me décharger sur Vous de toutes mes inquiétudes (…) je puis même perdre votre grâce par le péché ; mais jamais je ne perdrai mon espérance, je la conserverai jusqu’au dernier moment de ma vie, et tous les démons de l’enfer feront à ce moment de vains efforts pour me l’arracher (…) Pour moi, Seigneur, toute ma confiance, c’est ma confiance même (…) Je suis donc assuré que je serai éternellement heureux. (….) Je connais, hélas ! je ne connais que trop que je suis fragile et changeant, je sais ce que peuvent les tentations contre les vertus les mieux affermies, j’ai vu tomber des astres du ciel et les colonnes du firmament, mais tout cela ne peut m’effrayer : tant que j’espèrerai que je me tiens à couvert de tous les malheurs, et je suis assuré d’espérer toujours, par que j’espère encore cette invariable espérance »,
et me convainc de mon côté quiétiste, à savoir que je m'en remets plus à la volonté de Dieu qu'à la mienne - et que la liberté est moins "en acte" qu'une définition dans laquelle s'inscrit béatement mon être. La liberté comme background et la volonté comme grâce, oui, cela me va très bien. Persister dans mon être plutôt qu' "agir", c'est mon truc à moi. De toutes façons, j'ai toujours pensé que l'action, c'était pour les cons et les méchants. Dans l'Histoire comme dans les films d'aventure, ce sont toujours les méchants qui agissent en premier et qui obligent les bons à réagir - c'est-à-dire à réparer leurs actes (l'action devenant ainsi synonyme de destruction, de mort et de souffrance et réaction synonyme de réparation, retour à la normale, reprise du bonheur).
La seconde est une déclaration d'amitié au Christ-roi :
« JESUS, vous êtes le seul et le véritable AMI.
Vous prenez part à mes maux, vous vous en chargez, vous avez le secret de me les tourner en bien. Vous m’écoutez avec bonté lorsque je vous raconte mes afflictions et vous ne manquez jamais de les adoucir. (…) Je suis assuré d’être aimé si je vous aime. Vous n’avez que faire de mes biens, et vous ne vous appauvrissez point en me communiquant les vôtres.(…) Vous souffrez mes défauts avec une patience admirable ; mes infidélités mêmes, mes ingratitudes ne vous blessent point tellement que vous ne soyez toujours prêt à revenir si je le veux. »
Ce que disait Rémi Brague : entre Dieu et nous, l'amour n'est ni contractuel ni conditionnel. Certes, la prière dit qu'il nous aime si on l'aime, mais non au sens d'une récompense ou d'un échange de bons procédés (on "n'échange" pas avec Dieu), mais plutôt au sens qu'il nous répond si on l'appelle. Dès qu'on se tourne vers lui, il est là. En fait, il nous suivait depuis le début comme une ombre mais nous n'avions pas baissé les yeux à terre (tant nous crevons d'orgueil) refusant de se rendre compte que cette ombre était en fait... la nôtre. Plutôt crever de rage et risquer l'enfer que pleurer en Dieu et risquer d'être consolé - tels nous sommes, mauvais chrétiens ou non chrétiens. Avec des instants de soulagement et de liberté - quand nous nous reconnaissons pécheurs.
C'est quoi, être chrétien ? C'est se sentir souillé (pécheur) et pardonné à tout instant. C'est être coupable et innocenté en même temps - à la lettre, le contraire de l'homme moderne originellement innocent mais culpabilisé à tout instant. C'est cela qui est comique : l'homme néo-moderne, refuse d'être stigmatisé par le péché originel (notion grotesque pour lui) mais n'a pas de mal à admettre ensuite, la queue entre les jambes, qu'il est est coupable de tous les malheurs du monde - enfin, surtout s'il est blanc, bobo et bébé. Ces post-cadums ! Ils commencent par la bonne nature et finissent par la mauvaise histoire, au contraire du chrétien qui commence par la mauvaise nature et finit par la bonne histoire.
Plus tard dans la journée, je tomberais sur cet article remarquable de François Miclo, le "papiste" de Causeur,
qui rappelle que l'Eglise Catholique a beau préciser par ses voix les plus officielles qu'elle admet l'avortement thérapeutique et intègre le préservatif au dispositif sanitaire et moral (comme en Ouganda où les services catholiques mènent avec succès leur mission d'humanité, tout en distribuant la capote en cas de besoin), la désinformation et le dépit antipapiste sont telles que l'on préfère écouter Pierre Berger et Christophe Dechavanne, forcément plus affranchis quant aux positions officielle de l'Eglise, plutôt que Mgr Vingt-Trois ;
que par ailleurs le rôle de l'Eglise n'est pas de "coller" aux messages publicitaires du temps ni aux modes de communication, mais de continuer à délivrer son message bi-millénaire, à savoir la rémission des péchés, la résurrection de la chair et la vie éternelle ;
qu'il est faux de croire que la parole de Benoît XVI vide les églises, je crois plutôt, qu'elle les remplit de manière plus sélective quoique toujours aussi abondante (jamais je n'ai vu ma paroisse de Saint Léon aussi pleine que ce matin pour un dimanche des Rameaux) ;
qu'enfin, il faut comprendre que, comme le disait Marx, c'est l'infrastructure qui conditionne la superstructure, et que dans l'affaire qui nous occupe, c'est moins l'Eglise Catholique (superstructure) qui organise la vie sexuelle des gens que "le mode de production matériel" (infrastructure) - et que si les Africains, comme du reste les prolétaires de Liverpool au début du siècle dernier, ont du mal avec la contraception et l'avortement, c'est moins parce que le Pape a fulminé contre ceux-ci que parce que l'enfant fut toujours, pour tous les pauvres du monde, une force de production, autant que le sens de leur existence. Et c'est ce que l'on voudrait, en Occident, leur enlever. Leur résistance à la mort indigne trop notre lassitude à la vie.
(Et qu'on ne vienne pas me dire que là comme ailleurs, je ne parle que pour moi ! Non, je ne parle jamais pour moi, je parle toujorurs pour nous, et si mon "je" est un je d'aisance, mon "nous" est un "nous" objectif.... Mais peut-être ce genre de précision ne vaut-il que pour les proches, la famille et les amis, qui sont toujours les derniers à comprendre ce que l'on écrit.)
Nous qui consommons, nous avons autre chose à faire que des enfants à tout prix. Le bien-être (la consommation) est notre infrastructure à nous, et notre être une superstructure qu'on est bien en mal d'appeler "super", la consommation stérile quoi qu' hyper-festive nous prenant toute notre énergie. Tout doit être consommé, l'extime, l'intime, le social, le sexuel. Au fond, notre monde est celui de l'état d'urgence perpétuel, sanitaire ou érotique. Il faut baiser tout de suite et se protéger tout de suite. Pas le temps de penser à autre chose. De toutes façons, penser, c'est dangereux. "Sortez couverts", ça veut dire : "foutez-vous une capote sur le gland et sur la glande pinéale". Le visage lévinassien de l'autre, l'éthique habermassienne de la responsabilité, tout cela sont des trucs d'intello à côté de la plaque. Le seul réel admis, c'est le concret d'ici bas, là maintenant. Aujourd'hui, le concret est l'ennemi déclaré du réel comme le bout de plastique l'est de toute réflexion.
Et l'esprit qui réfléchit, l'esprit qui ose faire son travail d'esprit, l'esprit qui résiste - et non au "matérialisme" comme on le dit trop souvent (résister à Démocrite ? à Epicure ? à Marx ? il n'en a jamais été question), mais bien à l'absence d'esprit et à l'absence de chair qui va avec, à l'homme désaffecté de son humanité et prisonnier de son infantilisme, immanquablement sadique-anal, et dont le dégoût de la vie va pair avec un dégoût du sexe... Car il ne faut pas se leurrer. Tout, de nos jours, conspire contre la chair. Media, porno, féminisme, hygiénisme, obsession de la capote, tout va dans le sens d'une abolition de la sexualité, sinon des sexes. On sexualise tout autant que l'on désexue tout. Pourquoi déteste-t-on Benoît XVI à ce point ? Mais c'est évident ! Parce qu'il est le seul homme au monde qui tienne encore une parole aimante et adulte sur "la chose". Le seul qui dise encore que l'amour est sexuel et que la vie est une maladie sexuellement transmissible. Le seul pour qui castration et distinction (au sens biblique du terme - entre l'homme et la femme, le beau et le laid, le normal et le pathologique, la raison et la folie) aient encore un sens. Nous allions dire, le seul artiste digne de ce nom. Car qu'est-ce que l'artiste, et surtout l'écrivain, sinon celui qui décrit le réel contre la tentative de chaque époque à nier ce réel ?
Comme par hasard (pas tout à fait par hasard), j'ouvre ce soir un Philippe Muray, et je tombe sur ces lignes admirables qui concluront ce beau jour :
"Voilà à quoi un écrivain d'aujourd'hui a affaire : à des lieux et à des personnes qui ignorent la castration et la Bible. C'est cette ignorance extraordinaire, et sans précédent dans l'histoire humaine, qui produit ces faces hilares, ces regards inhabités, ces cerveaux en forme de trous noirs, ces propos dévastés d'où tout soupçon de pensée critique s'est en allé, cette flexibilité à toute épreuve, et cette odieuse nouvelle innocence qui les entoure comme une aura. L'absence, dans l'humain actuel, de la pensée critique, est le sujet essentiel du nouvel art critique. Karl Krauss, en 1930, écrivait : "Cela peut être le signe de la mort d'une culture, que le ridicule ne tue plus, mais agisse comme un elixir de vie."
C'est clair, il faut passer dans le bêtiser de la nouvelle star, ou se suicider... Aujourd'hui, c'est le ridicule qui fait vivre.