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  • Interview Atlantico - Cette gauche assise sur la certitude de sa supériorité morale : généalogie d’une idée folle

    Sur Atlantico, le 15 avril 2013


     

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    Les récents scandales l'illustrent : depuis que la gauche morale a gagné, fallacieusement ou non, la bataille des idées de l’après-guerre, elle se sent immunisée contre toute forme d'impureté morale.


     

    Les récentes affaires qui salissent l’image de la gauche ont montré d’elle une figure peu reluisante dont elle s’est longtemps défendue, peut-être même par conviction. Est-ce que la gauche, parce qu'elle se croit l'incarnation du bien, se considère immunisée contre toute forme de mal ? (incapacité à voir ses failles)

    La force de la gauche vient du fait qu’elle a gagné, fallacieusement ou non, la bataille des idées de l’après-guerre et se sent immunisée depuis contre toute forme de critique - les fameuses « autocritiques marxistes » ou autres dont elle se targue ne faisant que renforcer sa certitude première qu’elle ne peut se tromper dans le fond. Elle a réussi à faire croire au public que la Révolution, c’était elle, que la défense de Dreyfus, c’était encore elle, que la Résistance, c’était toujours elle, et que tout ce qui se fait de bien dans notre pays depuis 45 avait son exclusivité. Comment douter de son humanisme combattif ? C’est là sa « conviction », et mieux,  son « éthique de la conviction », comme on dit, qui lui a fait soutenir, de Staline à Pol-Poth, les pires formes de totalitarisme de la seconde moitié du siècle dernier.  Mieux valait avoir tort avec Sartre que raison avec Aron. Dans La grande parade, ce grand esprit libre que fut Jean-François Revel  faisait remarquer, sur un plan certes bien plus tragique que celui qui nous occupe aujourd’hui, que lorsque les Khmers rouges de Pol-Poth, purs produits du marxo-léninisme ont commencé leurs massacres, la plupart des intellectuels de l’époque ont dit alors qu’ils étaient des nazis, non des communistes. On ne pouvait être un salaud quand on était communiste, alors que tout anticommuniste, lui, était un chien. Cette croyance en sa propre pureté idéologique ou morale a duré jusqu’à nos jours…. Quand vous parlez à quelqu’un de gauche, il est sincèrement convaincu d’être un gentil. Regardez Rue 89. Ils se demandent sans rire ce que Jérôme Cahuzac fait au PS : http://www.rue89.com/2013/04/04/question-tabou-faisait-cahuzac-chez-les-socialistes-241166 Le tabou, pour eux, ce n’est pas de reconnaître comme tout un chacun qu’on peut être un escroc quand on est de gauche, mais de se demander comment l’on peut être de gauche si l’on est un escroc - une contradiction qui n’entre pas dans leurs catégories mentales. Le mal ne peut être de gauche. C’est une sorte de catharisme, c’est-à-dire de croyance inébranlable en sa propre pureté.

    A-t-elle compris que la politique n'était pas seulement une question d'intention mais surtout d'action ?

    Vous avez dit le mot : intention. Après avoir été des décennies durant du côté de « l’éthique de la conviction », la gauche, qui a tout de même perdu une bonne partie de ses illusions révolutionnaires et de ses lendemains qui chantent (cent millions de morts, d’après Le livre noir du communisme de Stéphane Courtois, ça finit par être un peu lourd à porter, même pour un intellectuel de gauche), est désormais du côté de « l’éthique de l’intention », de la bonne et de la merveilleuse intention. Hélas, les bonnes intentions sont toujours punies. Mais tant pis, l’important, encore une fois, est de de se maintenir dans sa pureté, et cela grâce à la rhétorique. Il faut le reconnaître : les gauchistes sont souvent bien plus avisés dans le débat que les gens de droite – parce que les gens de droite, justement, privilégient l’action, le concret, ce fameux « réel » si peu idéologique, oubliant qu’être dans le réel ne suffit pas pour convaincre, et que l’argument d’autorité derrière lequel ils se réfugient si souvent et sans aucun sens rhétorique les fait passer pour des ringards imbéciles auprès de leurs adversaires ou dans le Petit Journal de Yann Barthès. Très rare qu’un homme ou qu’une femme de droite sache argumenter comme il faut.  C’est pourquoi ils se trouvent souvent démunis devant les arguments idéologiques et casuistiques d’une gauche pour qui le réel n’est jamais affaire que d’interprétation, de diversion, et parfois de négation pure et simple. J’entendais récemment Emmanuel Todd face à Alain Finkielkraut chez Taddéi. Par je ne sais quel tour de passe passe sociologique,  le premier expliquait au second que contrairement à tous les témoignages qui ne cessent de se multiplier depuis des années et qui vont dans le sens de ce que l’on est bien obligé d’appeler une faillite de l’Education Nationale (voir à ce propos les articles et le blog de Jean-Rémi Girard, souvent et avec bonheur interviewé ici : http://www.atlantico.fr/users/jean-remi-girard,), jamais le niveau scolaire n'a été en France aussi élevé et enviable qu’aujourd’hui, jamais les professeurs ne se sentis aussi en sécurité que dans leurs classes ! https://www.youtube.com/watch?v=lY-j93fplcY (à partir de 6’50’’) Comme à son habitude,  Finkie s’étrangla mais que pouvait-il bien faire d’autre ? En vérité, la gauche est un peu comme le Maître Tailleur face à Monsieur Jourdain dans Le Bourgeois Gentilhomme : Monsieur Jourdain, ce gros beauf, se plaint qu’il a mal aux pieds à cause des chaussures de son Tailleur, « et qu’il le sait parce qu’il le sent », le Tailleur lui rétorque qu’il s’imagine avoir mal. On ne peut rien contre ça.

    A-t-elle conscience que de ce que ce décalage va lui coûter ? (à quel point il la rend vulnérable)

    Ce n'est pas si sûr. Avec la gauche, le changement moral et idéologique, c’est jamais. Rappelez-vous la déroute du 21 avril 2002, Le Pen au second tour. Ont-ils eu une prise de conscience sur le fait qu’à force de nier le réel, le réel s’était vengé et en la personne idéale du grand méchant borgne ? Non, ils ont fait des manifs, ils ont pleurniché, et ils ont pensé qu’au fond, ils n’avaient pas été assez idéologiquement de gauche – au lieu de l’être pour une fois concrètement, c’est-à-dire en protégeant les pauvres, et pour cela, comprendre que pour les pauvres, l’ordre et la sécurité priment autant, sinon plus, que les réformes sociales.  Pourtant, depuis Chevènement, il y a des gens très valables à gauche, Malek Boutih en premier lieu qui tient un discours de vérité sur les banlieues (et qui s’est fait pour cette raison traité de facho à longueur d’années), ou aujourd’hui Laurent Bouvet qui tente de retrouver les valeurs originelles, sociales et non sociétales, du parti de Jean Jaurès,  de fonder une « nouvelle gauche » qui aurait autre chose à faire que de privilégier les communautés contre le peuple ou pire de voter des lois anthropologiquement scandaleuses – et d’ailleurs ultralibérales. Parce qu’il ne faut pas se leurrer : quand on fait le mariage gay, et bientôt la PMA et la GPA, on fait de l’ultralibéralisme. C’est cela que la gauche officielle, « schizophrène », comme dit Bouvet, ne comprend pas : le libéralisme moral dont elle fait sa gloire va de pair avec le libéralisme économique qu’elle fait semblant de conspuer. Et ce n’est pas faute de les avoir prévenus. Comme le disaient, entre autres, Clouscard en 68, puis Houellebecq dans les années 90 et 2000, il n’y a rien de plus  agressivement libéral que l’individualisme hédoniste, plus « thatchérien » que la jouissance sans entraves.  Libértaire = libéral. Mais non, ils ne veulent rien voir et continuent de mener leurs combats sociétaux antisociaux.  « Dieu  se rit des hommes qui se plaignent des conséquences alors qu'ils en chérissent les causes », disait Bossuet cité très judicieusement par Bouvet. La gauche devrait redevenir chrétienne pour redevenir légitime, tiens, c’est une idée…

    Ces affaires peuvent-elles marquer un tournant suffisant pour que la gauche fasse une introspection ? Un nettoyage interne ?

    Le vrai tournant, je crois, ne réside pas tant dans une improbable prise de conscience de la gauche (ou du reste de la droite, soyons impartiaux et irritants), à faire le ménage que le ménage obligatoire et de fait inquiétant qu’est en train d’imposer la nouvelle transparence médiatique.  La « purification », comme dit Mélenchon (de plus en plus à l’aise dans la rhétorique lepéniste, lui !), est en marche. Avec Edwy Plenel en grand inquisiteur (quel talent, reconnaissons-le lui !) et Eva Joly en mère fouettarde, ou plutôt en belle-mère du nord, qui est à la France ce qu’Astérix est à la Norvège, la République devient celle des journalistes et des juges. Même si Cahuzac est le seul menteur du gouvernement, il est un révélateur du besoin qu’a l’époque d’abolir le secret, le caché, la faille, et de s’installer dans le Loft mondial. Ce n’est pas tant que les hommes politiques soient plus corrompus qu’avant, c’est que « le droit de savoir », comme dit Plenel, et plus spécieusement, le « droit de voir », sinon « d’avoir » tous ceux qui échappent au panoptisme contemporain, est devenu l’exigence reine. Du coup, tous les filous sont beaucoup plus observables qu’avant. L’hypocrisie ou la pudeur ne sont plus de mise. Avec toute la technologie de surveillance ou de transparence qui existe aujourd’hui (et dont nous sommes tous les débiteurs ravis, nous la génération 4G), Mitterrand avec tous ses secrets n’aurait pas tenu trois ans. Chirac a failli y passer durant sa présidence. Sarko aussi. Il ne serait pas étonnant un jour qu’un président tombe pendant son mandat – et pas simplement parce qu’il a failli, mais parce que la moindre faille est aujourd’hui visible et que nous sommes devenus tous plus voyeurs et par conséquent plus impitoyables les uns avec les autres. Big Brother, aujourd’hui, c’est tout le monde. Les intellos de gauche passent leur temps à dire que nous avons besoin de contre-pouvoirs pour nous protéger du pouvoir, mais nous sommes en train d’en crever des contre-pouvoirs. A l’instar de l’enseignant, l’homme politique n’a plus aucun crédit. D’après les derniers sondages, il paraîtrait même qu’il inspire le « dégoût ». De Mediapart aux Guignols de l’Info, les contre-pouvoirs ont pris le pouvoir. Et c’est pour cela qu’il faut contre toute attente penser aujourd’hui à protéger le pouvoir.  


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