« Non seulement les races n’existent pas, mais en plus, elles sont toutes égales » (proverbe de Jalons)
Je viens de finir Racisme : mode d’emploi de Rokhaya Diallo, et je sais désormais que je ne pourrai plus jamais regarder un zèbre comme avant, que je n’irai plus jamais à une exposition Soulages, que je ne ferai plus jamais de ski, que je m’interdirai de jouer aux dames, que je ne mettrai jamais mes enfants au piano, que je ne leur montrerai jamais aucun film en N&B, que je ne lirai ni n’écrirai plus rien, sauf en cas d’extrême urgence – un peu comme ce texte -, mais que dans ce cas, je l’écrirai en violet sur fond jaune ou en rose sur fond bleu, tant je me suis rendu compte que tracer des « caractères noirs sur fond blanc » était désormais criminel. Que même le penser relevait d’une délinquance mentale. « Racisme, monde d’emploi » - ou tout ce qui, dans la pensée et le langage, fait référence à une dualité « noir et blanc », et d’ailleurs tout ce qui, dans la pensée et le langage, fait penser à une dualité, est à bannir, à abolir, à vomir, à punir, à condamner, à exclure, à prohiber, à boycotter. Le racisme n’est pas un des préjugés majeurs de l’homme contemporain, c’est son péché originel. Tout discernement constitue en fait une discrimination, c’est « clair »… Je veux dire : c’est compris ? Toute altérité protège une hiérarchie. Toute singularité subsume un racisme. Toute érection porte atteinte à l’égalitarisme. Si je trouve que Rama Yade est une sacrée belle femme, c’est que j’ai envie de la mettre en esclavage, et si je ne la trouve pas belle, c’est que j’ai la peur inavouable qu’elle me mange tout cru ! D’ailleurs, trouver beau et laid quelque chose ou quelqu’un, c’est penser au mieux champ de coton, au pire Auschwitz.
Bref, il faut changer de paradigme, de perception, d’humanité. Ainsi, nous aurons tous participé à l’avènement de l’ère post-raciale, où chacun de nous sera enfin devenu une personne respectable et respectueuse, libre de son être et de son devenir, à condition de n’avoir plus ni identité, ni singularité, ni couleur préférée – car le racisme commence dans l’analogie, un peu comme la violence commence dans la couleur rouge, ainsi que raisonnait le personnage de Benoît Poelvoorde dans C’est arrivé près de chez vous, et auquel la rhétorique de Rokhaya Diallo fait si souvent penser : « Qu'est-ce qui te choque la première fois que tu vois ça ? La première chose qui te saute aux yeux ? Les briques ! C’est les briques rouges ! Mais le rouge, c’est la couleur de quoi ? Le rouge, c’est la couleur du sang, le rouge, c’est la couleur des Indiens, c’est la couleur de la violence ! Hein ? Alors que le fléau de notre société, et tout le monde s’accorde à le dire, est la violence, ils vont te foutre des briques rouges ! Mais le rouge, c’est aussi la couleur du vin, mon vieux. Qui dit vin dit pot de vin, parce que tout ça c’est magouille et compagnie, c’est politico-je ne sais pas trop quoi ! Mais tu vois, c’est des histoires de fric ! Ca me désole ».
J’exagère ? Pas autant qu’elle. Car il faut le lire jusqu’au bout ce livre de procureur et comprendre que pour Rokhaya Diallo, il s’agit d’en finir avec le racisme non pas en tant que mal particulier qui touche tout un chacun, mais en tant que fondement du monde, Arché mentale et philosophique, consortium à l’échelle mondiale et qui régit tous nos codes sociétaux. « L’évolution actuelle du racisme ne pourra être infléchie qu’à une seule condition : que les fondements du fonctionnement de notre société soient remis en cause… » : c’est la dernière phrase du livre de celle qui se présente comme citoyenne du monde à venir, républicaine mais d’une république non assimilable, laïque mais pas « bêtement » anti-burka, bref, plaidant ardemment pour tout ce qu’il faut être moins tout ce qu’il ne faut pas être. Qu’on se le dise, la post-humanité sera cool et queer ou ne sera pas !
Le retour de Sarah Jane
Scène originelle, au tableau ! Rokhaya Diallo découvre un jour qu’elle est noire à cause d’enfants qui lui dise, à elle et à son frère, que leur père ne veut pas qu’ils jouent avec eux parce que ce sont des Noirs. Le mal est fait. Tout ce qu’on pourra lui dire désormais, en bien ou en mal, sur l’altérité et la différence, aura toujours un rapport critique avec cette première et très mauvaise expérience d’altérité et de différence – et mademoiselle Diallo (car si on l’appelle par son prénom comme on pourrait le faire avec une jeune femme moderne et médiatisée, elle s’énerve illico pour cause d'antiféminisme raciste et vous voilà crucifié au plus haut degré de l’échelle de Richter du racisme qui en fait n’en comporte qu'un, car, nous allons le voir, Hitler et Michel Leeb, pour elle, c’est la même chose) n’aura de cesse de remettre à leur place toutes les personnes bien décidées à la « maintenir dans l’altérité ». A cause d’un con raciste de son enfance, Rokhaya Diallo a pour toujours confondu l’altérité avec le racisme, la différence avec la domination, la perception avec la sélection, un peu comme certains enfants violés confondent plus tard viol et sexualité. Et dès lors, s’est trompée de combat, car mélangeant le bon grain et l’ivraie, amalgamant l’absolu avec l’abject, confondant le tout et la partie, selon une pensée qui devient alors pure métonymie, mécanique de la traque, inquisition généalogique et sans pitié de la Scarlett O’Hara qui est en nous. Comme on préfère une Rachida Dati qui sur ces questions de racisme a toujours dit que ce n’est pas parce qu’elle en avait été quelquefois la victime qu’elle en avait fait sa structure mentale ! Qu’on apprécie ou pas la flamboyante ex-ministre de la justice, il faut lui reconnaître qu’elle fit oublier, à travers sa gloire et ses déboires, qu’elle avait des origines maghrébines, sauf, et c’est là le hic, pour les racistes et les antiracistes - les uns et les autres ayant en commun de tout ramener à cette question d’origine, les premiers pour en faire une sinistre comédie, les seconds pour en faire une tragédie. Faire tout pour tout pour s’affranchir de ses origines et en même temps stigmatiser le racisme des autres, autrement dit les forcer à se rappeler qu’ils vous les rappellent, c’est un peu l’approche schizophrénique de Rokhaya Diallo dans ce livre dans ce livre qui commence, comme il se doit, par une citation de Michael Jackson, modèle absolu de l’époque, puisqu’ayant aboli en lui les frontières de l’adulte et de l’enfant, de l’hétéro et de l’homo, et bien sûr, du Noir et du Blanc : « je ne vais pas passer ma vie à n’être qu’une simple couleur », aurait dit le Freak génial du Moonwalker. Le problème, c’est que celle qui apparaît sa plus grande fan stigmatisera plus tard les noirs qui veulent devenir blancs – à l’instar de Jackson ! Citant l’essayiste Albert Memmi, elle parlera (à juste titre) de « négation de soi » à propos de ces « négresses [qui] se torturent la peau pour la blanchir un peu », sans se rendre compte que son roi de la pop se retrouve immanquablement concerné par ce propos.
Voici donc un essai doublement accusateur puisqu’en tenant les deux bouts d’un discours contradictoire, d’un côté, « les Noirs sont des Blancs comme les autres » (avec une variante qui lui sert de provocation : « les Blancs sont des Noirs comme les autres »), de l’autre, « le Blanc est un loup pour le Noir », il rend impossible toute conciliation puisqu’il s’en prend au « culte du métissage » autant qu’au « racisme anti-blanc », à la « repentance » autant qu’à la « diversité », au « communautarisme » autant qu’à la République une et indivisible. D’un, côté, l’émancipation, de l’autre, la révolte. D’un côté, l’indifférence qui conduit à la liquéfaction. De l’autre, la différence qui conduit à la discrimination. S’émanciper, c’est mal, car c’est se renier. Se révolter, c’est pas bien car c’est s’essentialiser. A bien des égards, Rokhaya Diallo rappelle le personnage de Sarah Jane Johnson dans Mirage de la vie, le film sublime de Douglas Sirk, cette jeune fille noire à la pigmentation claire, sans cesse ombrageuse et vindicative, qui ne cesse de provoquer les Blancs tout en voulant se confondre avec eux, et finira par renier à la fois sa mère réelle parce qu’elle était trop noire, c’est-à-dire trop aliénée aux blancs, et sa mère symbolique, évidemment blanche, donc forcément raciste même dans son affection pour elle.
L’indéniable force de Rokhaya Diallo est qu’elle a l’art de changer de point de vue à tout bout de champ, ce qui la rend redoutable même dans l’incohérence – surtout grâce à l’incohérence. Comme si elle avait raison à chaque instant et tort tout le temps. Même nous pourrions la suivre ici ou là, mais à chaque fois qu’on se retrouverait d’accord avec elle (par exemple, sur l’incapacité de la science à invalider le racisme, ou sur la définition du racisme comme croyance opératoire aux races, ou même sur un film comme La chute qui avait choqué les belles âmes en son temps, et surtout sur le fait biblique que l’on sait depuis Babel que les races n’existent pas…), elle bifurque et nous demande alors de la suivre sur un point qu’elle vient de déconstruire à l’instant, et en oubliant ou feignant d’oublier qu’elle l’a fait. Sans compter les incessants glissements de sens qui fait la marque de sa rhétorique. Ainsi, page 25, passe-t-on sans complexe, et afin de démontrer que « le racisme est encore un cruel vecteur d’atrocité », de la ségrégation entre Noirs et Blancs aux Etats-Unis et en Afrique du Sud… au génocide des Tutsis par les Hutus… avant d’évoquer l’épuration ethnique dans l’ex-Yougoslavie…. puis de passer au problème des « intouchables » en Inde… pour finir avec les Palestiniens de Gaza, « emmurés dans le désespoir »… non sans avoir cité quand même les Tziganes toujours stigmatisés en Europe – le tout dans la même phrase. Un peu plus loin, elle mettra le IIIème Reich dans le même sac que l’Apartheid. C’est que pour Rokhaya Diallo, du moment qu’on traite du mal, tout peut se mélanger dans un queer de la douleur – tous victimes du racisme même quand on a affaire à des phénomènes qui, tout condamnables qu’ils soient, n’en relèvent pas. Je serais dans une émission télé en face d’elle et lui montrerais l’improbabilité de ce propos, qu’elle me couperait le parole aussitôt, m’assènerait que du moment que c’est de l’exclusion, de l’injustice, ou de la caste, c’est que c’est du racisme, et que si je coupe les cheveux en quatre, c’est qu’il y a en moi quelque chose de louche qui veut secondariser le racisme, ce qui fait donc de moi un raciste. Car le racisme est indivisible. Le racisme est ce qui se confond avec le réel (un peu comme dans Spinoza, Dieu se confond avec la nature). Le racisme est le monogramme de tout. Donc, elle a raison de tout mélanger, et j’ai tort de tout distinguer – d’ailleurs, la distinction, c’est de la discrimination. Et là, le public l’applaudirait et me huerait. Non, David, je n’irai pas chez Ruquier !
« La fille qui parle hyper vite »
C’est ce qui fait de ce livre un objet si fascinant : la pensée télé enfin mise en scène. La pensée télé qui est en effet la pensée de l’indivisible, de l’univoque, du bien totalitaire et qui oblige celui qui ose apporter la contradiction à passer pour un bouffon ou un salaud. Le truc, c’est que ce qui se passe à l’oral ne passe plus à l’écrit. Car « la fille qui parle hyper vite », comme elle se définit, ou plutôt comme elle se laisse définir par ses amis avec une certaine satisfaction (en quoi, elle a tort, car l’on sait depuis Flaubert que la bêtise est précisément ce qui va vite, ce qui nivelle, ce qui ne trouve rien problématique, alors que l’intelligence, c’est-à-dire ce qui juge, discerne et distingue, est ce qui va plus lentement [1]), n’a pas peur que ses arguments s’annulent les uns les autres, du moment que son discours avance, embrouille, et vous rende coupable de tout, y compris de le trouver confus. Ou paranoïaque. La méthode Diallo est en effet de montrer que les racistes sont partout et constitue une sorte de cartel invisible (nous allions dire «judéomaçonnique » !) qui organise sournoisement tous les rapports sociaux : car en effet, « le racisme est donc parfois maintenu à dessein dans le but de conserver un statut », lit-on page 61. Mais quel statut ? Et maintenu par qui ? Le FN ? Eric Zemmour ? Amélie Poulain ? Les compagnons de la chanson ? L’académie des neufs ? Alain Soral ? Alain Finkielkraut ? (qui apparaissent comme par hasard à la même soixante-cinquième page). De quel esprit complotiste Rokhaya Diallo est-elle le nom ? A ce propos, que signifient ces comparaisons moyennes avec « les chefs de bande que ces intellectuels n’ont pas été dans leur jeunesse » et que, « faisant parfois de leur leurs frustrations personnelles la source de la rage qui les anime, ils trouvent par le biais médiatique l’occasion de prendre une revanche sur la vie ? » En l’occurrence, c’est elle qui est chef de bande des Indivisibles, qui a une chronique régulière à la télé, et commence à être l’invitée récurrente et rageuse des débats de société. Car, puisque racisme extraordinaire et racisme ordinaire « sont les deux pendants d’une même logique » (page 55), rien n’échappera à l’antiracisme à visage inhumain de Rokhaya Diallo.
Même le slogan Touche pas à mon pote était raciste car il supposait que le pote n’avait que le droit de se laisser défendre par le non-touchiste. Et aujourd’hui, l’expression « black blanc beur » est crypto raciste puisque le seul mot écrit en bon français est le mot « blanc », alors que « black » est un mot anglais et « beur » un mot en verlan. A ses yeux, personne n’est insoupçonnable, pas même les métis, surtout pas les métis ! Qu’un champion de tennis, Joe-Wilfried Tsonga, dont l’un des parents est africain, ose dire qu’en lui les deux sangs, occidental et africain, coulent dans ses veines, et c’est presque s’il tient à son sujet un discours banania ! Même les personnages de dessins animés ou de séries américaines sont trainés au tribunal de l’antiracisme – l’indivisible mélangeant allègrement réel et fiction, cinéma et expérience personnelle. Preuve, page 48, où pour étayer sa démonstration du « tous racistes », elle passe sans crier gare d’un exemple tiré du film In the air avec George Clooney à un exemple tirée de sa vie réelle : « l’année dernière, je me suis rendue avec une collègue blanche à un rendez-vous… ». Ouais, c'est comme la violence urbaine d'Orange mécanique qui me rappelle vachement celle de Villiers-le-Bel...
Sauf que sur ce point je crains que Rokhaya ne connaisse ses classiques. Aussi lorsqu’elle prétend que dans les Simpson, les comédiens français qui doublent les personnages noirs adoptent systématiquement un accent créole ou petit nègre improbable alors qu’ils en sont dépourvus dans la version américaine, elle prouve surtout qu’elle n’est pas une habituée de la série vingtenaire et toujours au poil de Matt Groening (un des plus grands génies de notre temps, soit dit en passant). Il suffit de vérifier sur DVD. Par exemple, Carl, le compère noir de Leny, a un véritable accent africain en VF comme en VO . En revanche, le docteur Hibbert, inspiré à l’origine de Bill Cosby, s’il est doté d’une une voix haute et rigolarde, n’a aucun accent significatif dans les deux versions.
Tant pis ! Une page plus loin, elle se rabat sur les femmes asiatiques de Ally Mc Beal et de Grey’s anatomy [2], des personnages stéréotypés selon elle, qui, s’ils ne parlent avec accent, se comportent avec la froideur et l’insensibilité qui font « écho aux clichés relatifs aux Asiatiques. » Eh bien dites-moi ! Tant pis pour les films de Kurosawa, Mizoguchi et Ozu qui illustraient eux-mêmes, et avec quelle sensibilité, ce trait nippon de la retenue et de la pudeur. Plus question non plus de dire, à propos de la catastrophe qui s’est abattue ce mois-ci sur le Japon, que les japonais nous ont impressionnés par leur calme et leur dignité - ce serait faire du racisme positif, et en même temps sous-entendre que les peuples expressifs sont considérés comme des braillards sans noblesse ! Non, toute généralité ethniquo-culturelle est à bannir (les Suédois mangent autant de couscous que les Algériens, et les Chinois autant de paella que les Espagnols, et Ingmar Bergman, c'est la même chose que Pedro Almodovar !) Tout calembour est suspect, et on ne pourrait dire, par exemple, que « les Asiatiques sont bons en maths mais y sont cantonnés » - comme elle-même l’écrit page 51 de son livre, personne n’étant à l’abri d’un dérapage verbal, même pas elle qui a dû en rire jaune.
Adieu, Figaro !
Tout cela ne serait pas si grave si l’on ne sentait pas parfois notre inquisitrice flirter avec l’intégrisme réel. Quand par exemple elle minimise le cas Dieudonné et maximise celui de Michel Leeb, le sketch des « narines » étant visiblement plus obscène à ses yeux que celui sur Faurisson. Ou quand elle a l’air de regretter que Houellebecq n’ait pas été condamné après ses fameuses déclarations sur l’islam, amalgamant, comme tous les islamophiles le font, l’islamophobie à l’arabophobie, et l’anticléricalisme au racisme. Pendant qu’on pense à Figaro :
« … je me jette à corps perdu dans le théâtre ; me fussé-je mis une pierre au cou ! Je broche une comédie dans les mœurs du sérail ; auteur espagnol, je crois pouvoir y fronder Mahomet sans scrupule ; à cet instant, un envoyé de je ne sais où, se plaint de ce que j'offense dans mes vers la Sublime-Porte, la Perse, une partie de la presqu'île de l'Inde, toute l'Égypte, les royaumes de Barca, de Tripoli, de Tunis, d'Alger et de Maroc : et voilà ma comédie flambée, pour plaire aux princes mahométans, dont pas un, je crois, ne sait lire, et qui nous meurtrissent l'omoplate, en nous disant : Chiens de chrétiens ! - Ne pouvant avilir l'esprit, on se venge en le maltraitant »,
elle pense furieusement à Ben Laden.
["Ce que dit Ben Laden n'est pas faux", le 27 / 10 / 10, sur RTL dans On refait le monde.]
Alors qu’on croit qu’en tant que « féministe », elle prendrait le parti d’Elisabeth Badinter à propos des violences conjugales, elle critique le propos d’Elisabeth Badinter qui ose distinguer les violences conjugales punies dans notre droit et celles d’une certaine tradition islamique qui les permettent dans le leur. Etre scandalisé du sort des femmes afghanes relève selon elle d’un « féminisme opportuniste ». Dans sa bouche, la burqa serait « une expression culturelle » comme une autre, pas plus grave en tous cas que la chirurgie esthétique ou qu’un défilé de mode.
[Rokhaya Diallo sur la burqa, (surtout à partir de 01 : 45)]
Quant au voile des femmes talibanes, il vaut largement le voile des « bonnes sœurs » chrétiennes. "Mais il y a des femmes qui le veulent !", répondent en général les mauvaises soeurs. Certes, il y a des musulmanes qui portent le voile de plein gré. Le problème est qu'on ne les distingue pas de celles qui le portent contre leur gré. Grande différence avec nos religieuses qui ont fait de leur foi un métier et d'ailleurs qui ont le droit de se défroquer, mais non, il faut encore tout mélanger. Adieu Figaro ! Adieu Badinter ! Et bienvenue Rokhaya ! Il y a toujours ce moment, quand on essaye de débattre avec une intellectuelle altermondialiste et musulmane, où l’on se rend compte que la caricature de Mahomet est en fait pour elle beaucoup plus grave que la bombe réelle, le sort de la « fashion victim » infiniment plus douloureux que celui d’une victime de l’islamisme, et que la question des femmes voilées, excisées ou lapidées se pose finalement bien moins que celle de l’inégalité, d’ailleurs scandaleuse, des salaires entre hommes et femmes de nos pays. Ce qui se dit au Comptoir des Cotonniers serait mille fois plus antiféministe que ce qui se dit dans le Coran et les Hadiths ! Et que toute critique d’un système culturel ou politique non occidental, ou comme elle le répète toutes les deux lignes, « non blanc », relève d’une approche post-colonialiste doublée d’une tendance au suprématisme blanc. Comme toute volonté de faire respecter la loi en France est une violation des cultures minoritaires. Ainsi, à propos de l’affaire de Villiers-le-Bel où des voyous ont tiré sur des policiers, sa seule analyse est de dire que la police ne saurait être rien d’autre qu’une « force d’occupation » :
[Rokhaya Diallo et "la force d'occupation" face à Robert Ménard]
Babel, mode d'emploi.
Inversion du réel. Perversion du sens. Obsession Diallo. Outre s’en prendre systématiquement aux élites avec cette verve poujadiste caractéristique des gens d’extrême gauche, elle trouve à redire de cette notion si républicaine du mérite, celle-ci, accusée, page 212, « d’évacuer la notion d’égalité dans la mesure où elle justifie les inégalités sociales ». Mais alors, comment on va faire à l'école puisque noter un élève serait déjà le premier pas du processus inégalitaire ?
Ah Egalité ! Que de négations on commet en ton nom ! Avec Rokhaya Diallo, c’est la vie elle-même qui est coupable d’être diverse, bariolée et problématique. Et en ce sens, elle rejoint cette tentation d’une totalité sans extérieure chère à la gauche morale, ou celle d’une création sans péché, sans négatif, sans blessure chère au catharisme de notre époque. L’indivisible veut l’univoque. L’homme sans racines. L’individu sans visage. Le monde sans portes ni fenêtres (le monde burqa, en somme). Le monde sans impair, sans tiers, sans autre ni prochain. En fait, une autre tour de Babel, où chacun pourrait (et devrait) être tout le monde, sauf lui-même, où chacun parlerait toutes les langues, sauf la sienne – en fait, ne parlerait qu’une seule non-langue, celle du consortium. Car, si je suis blanc, chrétien, européen, français, j’insulte le reste du monde. Si je dis que les yeux des Asiatiques sont « bridés », je m’octroie le droit insensé de désigner par mon langage ce que j’estime être, enfin, toujours, selon notre indivisible préférée, la particularité forcément inférieure de ces derniers. « Qui aurait l’idée de donner un nom à la forme des yeux blancs ? », accuse-t-elle sans rire. Mais les Asiatiques, je suppose. A chaque peuple son regard et son langage. A chaque tribu le pouvoir de désigner l’Homme par son propre nom de tribu. A chaque nom le déploiement, sinon le don, de son soi - Claude Lévi-Strauss ayant tout dit là-dessus dans Race et Histoire :
« L'humanité cesse aux frontières de la tribu, du groupe linguistique, parfois même du village ; à tel point qu'un grand nombre de populations dites primitives se désignent d'un nom qui signifie les "hommes" (ou parfois — dirons-nous avec plus de discrétion — les "bons", les "excellents", les "complets"), impliquant ainsi que les autres tribus, groupes ou villages ne participent pas des vertus — ou même de la nature — humaines, mais sont tout au plus composés de "mauvais", de "méchants", de "singes de terre" ou d' "œufs de pou". » [3]
C’est avec cette réalité tragique mais anthropologique que notre héroïne veut finir. En finir avec le « méchant » sans lequel l’humain ne serait pas complet. En finir avec le dragon, avec Caïn, avec Judas, sous prétexte de positivisme pur, d’anthropologie sans histoire, d'Histoire sans travail du Négatif. L’anthropos défini non plus comme produit culturel de chaque peuple du monde mais comme monde généralisé sans peuple - comme monde générique, comme monde-mire. Et c’est ce monde idéal dont Rokhaya Diallo, et quelques autres « utopistes » post-humains, la spadassine Houria Bouteldja ou l’inénarrable Lilian Thuram, rêvent. Comme aurait dit mon pote Stephen Dedalus (pas de raison qu'il n'y ait qu'elle qu'ait le droit de mêler fiction et réel !) l’antiracisme est un cauchemar dont j’essaye de me réveiller.
Un jour, il faudra écrire le livre noir de l’antiracisme. Ses jugements sans sommation. Ses exécutions sans sursis. Sa terreur subventionnée. Sa haine profonde de l’humanité réelle. Sa toxicité indistincte. Son aryanisme post-racial. En attendant, nous refermons celui-là, accablé par tant de candeur négatrice, et qui nous aura fait presque perdre notre sens de l’humour. En quoi, nous aurons bien eu tort. Le mieux aurait été sans doute de réagir à la façon de Julius Hibbert, le docteur noir des Simpson dont nous parlions un peu plus haut et que nous sommes allés voir pour l’occasion et lui demander ce qu’il pensait, en tant que personne de couleur, du livre de Rokhaya Diallo. Sa réponse ne s’est pas faite attendre :
Pierre Cormary
NOTES :
[1] « J’aime la compagnie des cons car je suis toujours le plus intelligent », disait Wolinski. Si au moins c’était vrai ! Hélas, la force du con est telle que précisément vous ne pouvez plus être intelligent avec lui. Avec quelle puissance, quelle évidence, quelle vie, oserais-je dire, il nous assène ses idées ! A bien des égards, il est plus fort que nous. Il nous surprend par son impudence, sa sincérité, son sérieux imperturbable, la logique interne de son raisonnement. Il nous surprend car il ne fait pas partie de nos catégories mentales. Le con, c’est celui que nous n’avions pas prévu. N’avez-vous pas remarqué que lorsque vous êtes obligé de discuter avec un con, c’est toujours lui qui l’emporte ? C’est que le con n’est pas arrêté comme vous par le bon sens, la charité ou le sens de l’humour. Dénué de toute prudence comme de toute probité intellectuelle, le con fonce dans son raisonnement avec une cohérence imparable que vous êtes bien en mal de freiner. Le con est celui qui pense plus vite que vous. Il perçoit des détails que vous avez laissés de côté, confond l’essentiel avec l’accidentel, rassemble des éléments épars qui n’ont rien à voir avec la question – ou de manière tellement lointaine que vous ne les aviez pas pris en compte – et avec une habileté brutale et irritante qui vous laisse sur le carreau. Car sa méthode est de vous embrouiller et de vous rabaisser. De vous mettre à son niveau. Or, à son niveau, vous ne comprenez plus rien. Il peut donc triompher de vous haut la main. Quel contentement pour lui d'avoir ridiculisé votre sensibilité et votre logos ! Con comme la lune dit-on. Eh oui ! Con comme une évidence, une nécessité cosmique, un bout de réalité insignifiante mais suffisante pour tout contrarier, influer sur les humeurs et bouffer de l’intelligence. Oserons-nous dire que Racisme : mode d’emploi agit de même ?
[2] Lucy Liu dans le rôle de Ling Woo dans Ally Mcbeal et Sandra Oh dans le rôle de Christina Yang dans Grey’ s anatomy (note pour les amateurs).
[3] Claude Lévi-Srauss, Race et histoire, chapitre trois « l’ethnocentrisme », un texte qui, comme tous ceux du maître, ne correspond pas exactement au credo SOS racisme de notre temps, autrement dit, qui ne ment pas.
[Cet article a été publié une première fois dans les "pages rouges" du RING, le 21 mars 2011. ]
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"Une analyse aussi rigoureuse que percutante, sur un personnage à vrai dire comique dont les apparitions médiatiques m'avaient stupéfié. Enfermée dans ses clichés militants, ses formules creuses débitées à grande vitesse. Inculte, stupide et pressée d'exister dans le champ du bavardage "d'idées" (il y a des émissions pour cela). Les éditions Larousse se déconsidèrent en publiant de telles "auteures"."