
Nous sommes le 28 mai 1955, à la Scala de Milan. Soirée mythique. Visconti assure la mise en scène. Callas va donner sa plus belle agonie. Le chef, prodigieusement inspiré, tend son orchestre au maximum. Il a fait de ses musiciens autant de nerfs et de veines surexcitées et suprasensibles. Quiconque connaît cet enregistrement sait qu'on ne résiste pas au cri final de Violetta - les quelques mots, parlés, "Cessarono gli spasimi del dolore. In me rinasce - m'agita insolito vigor !" ("Les spasmes de douleur ont cessé. je sens renaître en moi une vigueur étrange."), les cordes qui s'accélèrent, la mort qui s'accélère, la remontée vocale, "Ah ! Ma io ritorno a viver !" ("Ah, je me reprends à vivre !"), enfin le "Oh Gioia !" d'une terrifiante plénitude. Elle monte au ciel sans faire de philosophie, elle, sans faire son Isolde. L'orchestre se casse, une, deux, trois, quatre fois. Et le public qui n'en peut plus hurle son contentement. Cinquante ans plus tard, nous n'en finissons pas d'en faire partie. Et si, le 14 juin dernier, son enchanteur est mort (à quinze jours près!), l'enchantement n'est pas prêt de s'atténuer.
In memoriam Carlo Maria Giulini (1914-2005)