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  • Salé ou sucré ?

    Déçu et déçu d'être déçu. Depuis combien de temps Tim Burton a-t-il fait un bon film ? Big Fish, oeuvre soit-disant "adulte" avait l'air de ne faire pleurer que son auteur tandis que le spectateur s'endormait ou quittait la salle de colère devant tant de niaiserie convenue et d'imagination pauvre, La planète des singes, malgré la performance de Tim Roth en chimpanzé castriste, évitait soigneusement son sujet (l'histoire d'amour entre l'homme et la guenon) et sombrait dans le film d'action vaguement parodique et au final ni palpitant ni drolatique, et même Sleepy Hollow, quand on y repense, se révèle froid et esthétisant, sans rapport avec le "chef-d'oeuvre" gothico-romantique qu'on avait voulu voir à sa sortie - un petit cauchemar de plasticien doué mais sans âme. Dur de l'avouer, mais le cinéma de Tim Burton, le plus prometteur de notre génération, est devenu décoratif, inutile et incertain. Et cette dernière sucrerie bébête et écoeurante donnerait envie d'utiliser cet adage honteux des parents snobs de l'ancienne mode : "c'était complètement idiot, on aurait dû y amener les enfants". D'ailleurs, ces derniers y vont et applaudissent même à la fin - ce qui, malgré tout, ne laisse pas d'émouvoir. Au moins discernent-ils un bon film même quand il est mauvais. Un Burton raté vaut tous les Michael Youn réussis.
    D'autant que Charlie et la chocolaterie, adaptation d'un classique de la littérature enfantine de Roald Dahl, avait tous les ingrédients pour faire un formidable conte sur l'enfance autant qu'une charge hygiénique et pédagogique contre celle-ci. Petit obèse répugnant bavant de chocolat, fillette gâtée pourrie qui martyrise ses milliardaires de parents, gamine sportive performeuse qui mâchouille du chewing-gum, petit monstre abruti par la télévision et les jeux vidéo, tous passent à la moulinette de Willy Wonca dont le pays de cocagne se révèle être une sorte d'enfer pour tous les méchants enfants et leurs crétins de parents. L'intérêt est que les châtiments qui s'abattent sur eux, et qui fait que le plus jeune spectateur ne les plaindra pas, ne viennent jamais d'un père fouettard - qui victimise toujours ceux qu'il punit - mais des conséquences logiques qu'entraînent les caprices des bambins. Rousseauiste plutôt que ségurien, Willy Wonca laisse agir la nature (certes surnaturelle chez lui) contre les petits sauvageons qui ont osé la défier. Lui-même n'en est pas pour autant un modèle de sagesse. Ayant été, au contraire des petits monstres, privé d'enfance (et donc de bonbons) par un père maniaque et dentiste, il a gardé son enfance pour plus tard, le temps de devenir une sorte de Michael Jackson chocolatier pouvant enfin vivre dans son Sugarland et inviter des enfants pour s'y perdre avec lui. Bien sûr, ce sera à lui d'être à son tour réformé par le petit Charlie qui lui apprendra à aimer les "parents" (mot que Willy ne peut littéralement pas prononcer), héros dickensien tellement raisonnable et édifiant qu'on se mettrait presqu' à préférer ses horribles camarades. Et la morale finale que l'on entend au moins deux fois dans le film - à savoir que la famille, c'est plus important que le chocolat - finit par bien faire.
    Quoique le ratage ne soit pas là. Passons sur la citation tarte à la crème de 2001 et constatons que Charlie est un film sans rythme ni nécessité organique dont on comprend immédiatement le fonctionnement : présentation d'un espace particulier, caprice et punition d'un des quatre sales gosses, séquence musicale affreusement lourdingue qui conclut la scène (insupportables "Oompa-Loompas" incarnés par l'acteur nain Deep Roy), épilogue. Au fond, c'est comme si Burton et Depp s'étaient fait plaisir et avaient trop fait confiance en leurs talents respectifs. Depp a beau renouer avec cette tendance lunaire et féminine qui a fait sa gloire, il ne retrouve ni la légèreté ni la tendresse qui l'avait rendu tant de fois inoubliable (notamment dans Ed Wood, leur chef-d'oeuvre à tous les deux), et sa composition, "tout en sursaut et en oscillation" comme l'a dit Libération, vire au tic agaçant. Quant à Burton, l'essentiel de sa mise en scène reste dans les effets numériques (l'excellent générique), la photographie de Philippe Rousselot, et par dessus-tout ces décors qu'on a raison de vanter - autrement dit, passe inaperçue. Les personnages ont beau se déplacer à toute allure dans un ascenseur cosmique, l'ensemble paraît figé et mort. Comme dans Sleepy Hollow, tout est beau, glacial et intéressant à considérer mais n'émeut presqu'à aucun moment. Bizarre film-concept dont on a finalement plus de plaisir à parler qu'à voir.


    Heureusement, reste Spielberg pour se consoler. Depuis la mort du père (Stanley Kubrick), l'enfant prodige et prodigue d'Hollywood est devenu un auteur à part entière et aligne des réussites d'une étonnante intelligence. En vérité, depuis IA, ce "grand film malade" et passionnant, et qui ne traitait rien moins que de l'eschatologie, Minority report, intenable course-poursuite contre le passage à l'acte, sans oublier l'épatant et très émouvant Arrête-moi si tu peux et le mélancolique Terminal, l'homme d'Indiana Jones (que j'adore au demeurant) a commencé une seconde carrière. Et cette Guerre des mondes, toute série B qu'elle est, s'impose comme l'une de ses meilleures mises en scènes. Autant Burton a fait un film plus que moyen d'un sujet en or, autant Spielberg réussit un petit chef-d'oeuvre visionnaire et éprouvant, fabuleusement bien filmé, d'un sujet pourtant mille fois traité. Car il n'est pas si facile de faire peur avec des martiens qui attaquent la terre ou des immeubles qui s'écrasent. La pyrotechnie n'est rien sans la chorégraphie de la caméra. Il faut être Paganini pour bien filmer une bagarre ou une poursuite - et nombre de films d'actions sont étonnemment pauvres en mise en scène d'action. Voyez déjà ce travelling virtuose et furtif, au début du film, où Tom Cruise traverse la route et est filmé sous les camions qui passent et qui nous promet que tout sera en mouvement et viendra d'en dessous. En attendant les plus beaux moments du film, déjà cités partout (le train en flamme qui passe, la terre maculée de sang, les morceau de vêtements qui tombent du ciel, les cadavres qui glissent le long de la rivière - autant d'images apocalyptiques que Spielberg a la probité de montrer sans insister). Rendre intéressant chaque angle, et sensé chaque plan, voilà qui, comme le dit Tlön dans ses fort remarquables notes, à vrai dire la meilleure chose que j'ai lue toutes presses confondues, constitue le propre de la série B. Et d'insister sur la thématique du regard, kubrickienne en diable, medium_guerre_des_mondes.4.jpgqui donne tout son
    sel au film.
    Spielberg et son scénariste l'ont voulu ainsi, éviter tout ce qu'on avait l'habitude de voir dans ce genre de film : "les destructions de monuments historiques, les scènes dans Manhattan ravagé, les brochettes de généraux dissertant autour d'une carte, les télés filmant la catastrophe... " et par dessus-tout refuser l'héroïsation de Tom Cruise. Prenant le contre-pied des Independance day et des Armageddon, ce n'est pas d'un ou de plusieurs hommes ultra-courageux et sacrificiels dont viendra le salut de l'humanité, mais de la simple incompatibilité de notre planète avec les extra-terrestres. Souvenons-nous que c'était déjà le cas de ET (auquel on croit trop que ce dernier film s'oppose) qui ne pouvait survivre sur la terre. Faisons confiance à la nature qui nous protégera bien des aliens, semble dire un Spielberg vaguement new-age, et surtout restons chez soi. Sinon, gare à nos bactéries qui sont nos meilleurs défenseurs. Comme dans Batman begins, c'est encore l'impureté qui a, heureusement, le dernier mot.

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